La famille, l’asile, la lumière, l’interstellaire…
De façon formelle, sens duel, Horse Girl (Jeff Baena, 2020) s’affirme en effet un téléfilm Netflix, il faut toutefois dépasser sa stylistique impersonnalité, afin de l’apprécier à sa mesure modérée, puisque tu le sais, lecteur, téléspectateur, « la vérité est ailleurs », en l’occurrence, dans ces circonstances, du côté d’un portrait de femme ne manquant pas de flamme. Co-écrit et co-produit par Alison Brie, actrice convaincue, convaincante, illustration à base d’improvisation d’un scénario illico psycho, inspiré par la folie familiale de l’intéressée principale, Horse Girl associe solitude, somnambulisme, sentimentalisme, studio bousillé, singulière insanité, songes-mensonges (?) et ravissements extra-terrestres, peste. Certes, les insectes de Bug(William Friedkin, 2006) constituaient un sommet de ciné cinglé, en partie porté par une Ashley Judd méconnaissable, enfin recommandable. Horse Girl, s’il ne saurait se situer à ce haut niveau, en possède pourtant une poignée d’échos. Il s’agit, en résumé, d’une mise à nu, au propre, au figuré, cf. la frontal nudity incongrue, sise au milieu des clients sidérés, de l’héroïne/scénariste, qui semble ici désireuse d’affronter ses démons à domicile, son héritage génétique problématique, à l’instar, jadis, d’une certaine Marilyn Monroe, si anxieuse de savoir si elle allait un jour perdre le ciboulot. Crainte de comédienne, hantise de transformiste, analysent les psys cinéphiles. Une autre voie que celle de la dimension méta, appelons-la existentielle, plurielle, paraît plus stimulante, sinon clémente. Sarah travaille dans un magasin de loisirs créatifs, elle en vient à créer sa réalité, à élaborer, avec une logique psychotique, à expérimenter, avec une sincérité exemplaire, un « roman familial » élargi au raptspatial.
Orpheline de père, malgré un beau-père sympathique, rempli de fric, dédommagement d’absence ; récent témoin de la mort de sa mère, elle-même dépressive ; amie d’une jeune femme handicapée, à cause d’une juvénile chute de cheval, Sarah rejoindra in extremis une communauté immaculée, inaccessible, à peine esquissée-évoquée par sa subjectivité, promesse d’appartenance et présence de violence, cf. les coups sur son corps. On pense alors, bien sûr, à Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968), mais Horse Girl ne se soucie point d’amour maternel, ni de maudit rituel. L’esseulée Sarah, fissa délaissée par un béguin effrayé, qui la conduit, de nuit, au cimetière, sur la tombe de sa mother, pratiquons, je t’en supplie, je t’en prie, prend ton temps, une expertise nécrophile à la Yves Montand, se gave en vidéo d’épisodes d’une série explicitement intitulée Purgatory, connerie addictive incluant des clones, assistez au caméo de l’estimable Robin Tunney, achève son voyage mental par une assomption presque poignante, avec point lumineux au creux du ciel bleu, en sus d’une monture solitaire, indifférente à la folie ambiante, à la Giorgino (Laurent Boutonnat, 1994), encore un conte de féminité très tourmentée. Mélodrame d’ADN, d’identité miroitée, de dédoublement désarmant, de boucle bouclée du passé, remarquez la croupe de l’équidé à deux reprises aperçues, selon deux différents points de vue, Horse Girl ainsi se termine sur un doux-amer happy ending, sillage de Shining (1980). Kubrick, schizophrénique, montrait, on s’en souvient, le sinistre bonhomme de neige pris au piège, de son labyrinthe infanticide, de son impuissance créatrice, de sa « fugue psychogénique » peut-être fantastique, hypothèse d’aise de la photo finale d’autrefois, te (re)voilà au bon endroit, chez toi.
Alison Brie, frêle et forte, ne manifeste nul fantôme, vêtue de la belle robe de sa grand-mère réputée marteau, de la même couleur que le gros rouleau, vivatde la « voyante », à laquelle elle ressemble désormais comme deux gouttes d’eau, ou de larmes semblables, qu’elle croit, après tout pourquoi pas, réincarner, « femme du futur », CQFD, elle se déchausse, se couche, s’élève, s’évapore, clair mystère de femme fragile, brisée, aliénée, pas seulement par d’improbables aliens, et cependant sorte de sainte tarkovskienne, apaisée, souriante, extatique, surplombant un écrin édénique. Un navet de numérisée TV ? Une imparfaite pépite.