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Les Femmes des autres : Miracle à Milan


Possession à Amityville ? Exorcisme en Lombardie… 


Vous appréciez Husbands (John Cassavetes, 1970) ? Vous aimerez Les Femmes des autres (Damiano Damiani, 1962), parfait contemporain du Fanfaron (Dino Risi, idem) et davantage désenchanté, désespéré. Précieux, sinon audacieux, portrait de groupe d’une masculinité tourmentée, d’une féminité affirmée, Les Femmes des autres escorte au cours d’une éclairante nuit cinq mecs « médiocres », quatre maris et un célibataire quasiment quadragénaires (le presque polygame compterait double), cinq amis longtemps après réunis, désireux de « s’amuser », de préférence accompagnés, et plus si éphémères affinités. Un avocat revenu de Rome, rongé par l’ennui, un architecte doté d’un frère, sa « croix » à lui, vivotant à ses crochets, un médecin aux relations financières, à l’« insupportable » épouse portée sur la citation littéraire, un fils au père directeur d’usine, petit moustachu qui « sue » et, last but not least, un gérant de ciné de quartier, on y passe Hiroshima mon amour (Alain Resnais, 1959) et Sayonara (Joshua Logan, 1957), sentimental et convivial : voici nos lascars du soir, ni salauds, ni héros, autour desquels gravite une kyrielle de demoiselles, pas vraiment vierges, déjà usées, désabusées, à l’exception d’une cinéphile curieuse, alors mineure, c’est-à-dire âgée, en ce temps lent, de dix-neuf ans, récitant les dialogues de Marguerite Duras, diantre, nevermoreà Nevers, voui, admirant le Rashōmon (1950) d’Akira Kurosawa, oh là là, et des deux dames partageant la vie, les jours et les nuits, du partageur César, plutôt amical qu’impérial, Montand, fous le camp, en dépit de ta Rosalie/Romy, improbable couple d’amies magnanimes, à domicile, d’un gamin (d’une autre) et de gamines (la « sœur retardée » sait fumer, flirter, ouf) muni, sorte d’utopie en modèle réduit, « harem » jamais blême.

Au-delà, au-dehors, cela sent le froid, le tabac, l’alcool et la mort, car la soirée supposée ivre, lascive, vire vite à la virée funèbre, à la veillée dessillée déroulée au milieu d’une Milan mortuaire. N’en déplaise à Vittoria De Sica, pas de miracle là-bas, ici-bas, juste un instantané d’une justesse et d’une détresse assez sidérantes, voire sidérées. Patraque et non dionysiaque, l’odyssée se détraque, la voiture américaine devient vaine, gros corbillard pour « impuissants » queutards, bélier inversé pour défoncer celle d’un « malade » (du toubib à lunettes) mécontent, on le comprend, je vais vous apprendre à draguer ma passagère. Tout, rien, se termine au matin, glacé, embrumé, à proximité d’un terrain vague, d’un bar crade, d’un pont à se pendre. César voulait revoir la chère Lara, pas celle de Lean, conquête ouverte, offerte, de jeunesse, à s’échanger, tu te souviens, vaurien, désormais mal tournée, ex-voleuse incarcérée, à présent prostituée au nez balafré, fausse blonde à la tristesse et à la colère réelles, cruelles ; il se fera tabasser par des routiers tout sauf sympas, descends de là, tu ne vois pas que tu nous emmerdes et ton ancien béguin de catin hissée à bord aussi ? Les quatre suiveurs observent la rouste à distance, avec contenance, puis le groupe se sépare, il se fait tard, tôt, on s’appelle, on se reverra bientôt, tu parles. Tandis que tout le monde remonte en bagnole, l’avocat avise le chasseur de gaypalucheur, le séducteur de « négresse » sculpturale, le téléphoneur infernal, la ménagère amère en pleure, pas de bonheur, en train de s’éloigner, amoché, de se rendre aux bureaux de la Rank, histoire d’y retirer un film, amen et amitiés aux anti-homophobes/racistes. La vie, leur vie, cette chose si « sérieuse », si fastidieuse, ainsi se poursuit, à quel prix, selon quel déni ?



Filmé de manière millimétré, cet ouvrage tragi-comique, chorégraphique, admirez les placements et les déplacements à l’intérieur du plan, de chaque plan, le plan-séquence de présentation, de paroles et promenade en travellingpanoramique gauche-droite, le mouvement ascendant-descendant en grue sur la place de la discorde, point de la Concorde, fait fissa passer I vitelloni(Federico Fellini, 1953) pour une démonstration de démagogie, de nostalgie, et Il sorpasso (titre en VO du Risi supra) pour un film de vacances inoffensif. En effet, himself flanqué de son trio de scénaristes, Ugo Liberatore, Vittoriano Petrilli, Enrico Ribulsi, Damiani ne ralentit, donne dans le radical, le dévoilement trivial, crucial. Les Femmes des autres ne se contente pas de démasquer le fameux miracle économique italien, de le considérer, dès l’orée des années 60, bel et bien enterré, tant pis pour prologue de BTP, il constitue à chaque instant une radiographie au radium de ce que signifie, parfois, souvent, malheureusement, être un homme et une femme, pas seulement auparavant, parmi la péninsule. « J’ai honte, de moi, de nous » déclare le docteur au bord des larmes, naguère sur le point de faire ravaler au bâtisseur batifoleur son accusation-insulte de « cocu ». La honte, pas celle, discutable, médiatique, psychodramatique, d’Adèle Haenel, ni celle, quoique, molto catho, contexte oblige, tous les personnages, peu pirandelliens, peuvent l’éprouver, l’expérimenter, pour plusieurs raisons, et le spectateur, la spectatrice, en reflet, d’hier ou d’aujourd’hui. Cependant Damiani ne condamne, en « moraliste » préoccupé par la « pureté » (Pier Paolo Pasolini) ne donne une manichéenne, misandre, leçon de moralisation à la con, dépeint avec empathie, avec précision, le projet d’« orgie » jamais joyeuse, restons dans la trattoria aussitôt fermée, comme autrefois, ne me parle pas de tes enfants, pas maintenant, l’euphorie factice, guère complice, infinedégrisée, via une gueule de fois qui n’en finirait pas.

Le ciné (dé)fait pour rêver, pour (s’)exiler, pour oublier, pour encaisser, sens duel, accessoirement se soumettre au film-réalité, aux fadaises, au confinement, tu dois savoir ce que j’en pense, ce que j’en fais, lecteur de mon cœur, lectrice de malheur, et Les Femmes des autres se situe exactement à l’opposé du ressassé, du surgelé, du prémâché, du décomposé imposé le mercredi, oh oui, merci, baise-moi, abrutis-moi, je ne vaux pas plus que ça. Petit précis de culpabilité partagée, de désillusion(s) en réunion, de mélasse de classes, cf. la bagarre évitée avec l’employé de fonderie humilié, aliéné, « taureau » dompté par la douceur, dérisoire en anglais chanteur, asticoté par le lâche moqueur, ensuite esseulé-reparti en surprise et consolante compagnie, ce méconnu métrage mérite mon hommage, mérite que j’énumère son casting choral impeccable, commençons, courtoisie, par Dominique Boschero, Jacqueline Pierreux, Letícia Román, nommons les noms de Walter Chiari, Riccardo Garrone, Mino Guerrini, Paul Guers, Gastone Moschin et Francisco Rabal. Co-production franco-italienne introduite par une chanson mélancolique, œcuménique, de Sergio Endrigo, Les Femmes des autres, akaLa rimpatriata, traduisons par la réunion, demeure donc une admirable mise à nu et mise à sac, pas uniquement de l’être-là masculin, où se lamenter au miroir, gratteur de guitare, où se suffire, en feignant de refuser, d’un coup d’un soir, d’ailleurs insatisfaisant, en tant que jeune femme (se) justifiant (de) son refus d’engagement, justement en raison de ses « juvéniles » ans. Peu soucieux d’esquisser des prédateurs (immémoriaux dominateurs) et des proies (du capitaliste patriarcat), des violeurs (à virer, à vilipender) et des victimes (à sacraliser, à caster), Damiano Damiani déshabille avec pudeur des individus minables mais aimables, de grands enfants médisants et attachants, des mutant(e)s du romantisme et du cynisme, pour lesquels, en définitive, le divertissement dépressif, pas déprimant, pas de myopie, pas de parti pris, pas de révisionniste amnésie, s’avère une aventure, antonionienne ou non, un diagnostic d’échec doublé d’une implicite possibilité d’écoute, de confiance, de seconde chance, à égale distance de la manifeste mascarade de la camaraderie, des amis à demi, et de la stérile guerre des sexes, recommencée jusqu’à la nausée, pas qu’au (sein du) ciné.



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