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Les Pas perdus : Les Infidèles


Cadeau de Noël ? Miroir d’un soir…


Aux filles confinées, pour leur fidélité.

Premier (et avant-dernier) opus d’un directeur de la photographie (par exemple Traitement de choc, Alain Jessua, 1973) peu prolifique, Les Pas perdus (Jacques Robin, 1964) émeut en mineur, avatar avéré de Brève Rencontre (David Lean, 1945) déplacé à Paris. L’argument remémore évidemment Été violent (Valerio Zurlini, 1959), avec déjà Jean-Louis Trintignant, et Les Chemins de la haute ville (Jack Clayton, idem), autres récits d’infidélité, de maturité, de parenthèse (dés)enchantée. Éclairé par Claude Lecomte, collaborateur de Michel Deville & Jean-Loup Hubert, monté par Nadine Trintignant, musiqué par le jazzmanJacques Loussier, ce métrage précis, impersonnel, transpose un ouvrage de René Fallet, l’auteur de Un idiot à Paris (Serge Korber, 1967) ou La Soupe aux choux (Jean Girault, 1981), ici dialoguiste déguisé en mutique bistrotier. Tandis que Jean Carmet compose un copain peinturluré, marié, que Michel Vitold délivre en coda un caméo de mari diplomatique, Catherine Rouvel (Le Déjeuner sur l’herbe, Jean Renoir, 1959 ou Chair de poule, Julien Duvivier, 1963) incarne une Hongroise amoureuse (et malheureuse),  une confidente in fine enfuie. Film d’amour et de désamour, film de classes et d’impasses, Les Pas perdus verse aussi, dès le début, vers le méta : les (rapidement) amants font connaissance au cinéma, la gare Saint-Lazare ressemble (et abrite) à un aquarium, l’atelier spécialisé (dans la pin-uphyperbolique) à un studio, la chambre du célibataire, couloir sonore, affiche son artificialité (d’horizon décoré). Dans LesPas perdus, on parle de Brigitte Bardot, on mate (et se marre à) du slapstick(en duo), on rêve sa vie, on réalise son envie. On se réinvente volontiers, Yolande devient Paille de fer, Jo (re)devient Georges, on se retrouve à l’obscurité tombée, on s’embrasse, on s’enlace, on se promène, on se projette, terme connoté.


Face à une Michèle Morgan attirante, maternante, énergique, nostalgique, Trintignant tresse l’adolescence à la constance, la juvénilité à la virilité. Sous ses allures de romance éphémère, contraire, promise à se dissoudre, Les Pas perdus s’affirme en fable affable, où un couple dépareillé, parfait, essaie délicieusement, désespérément, de conférer un soupçon de couleur, de douceur, de chaleur à une France essoufflée, divisée entre capitale au travail et banlieue bourgeoise. Si les âmes (sœurs) se reconnaissent, savent s’aimer en vitesse, avec tendresse, l’idéal lutte avec le trivial, le visage de l’élue surplombe une effigie dévêtue, la jalousie (et le racisme poli) s’immisce au sein du double destin, cf. la séquence de danse (puis de dispute) assez sidérante sise au « bal nègre ». Même merveilleux, audacieux, un trimestre d’étreintes, de romantisme en train, de tourisme incertain, ne saurait suffire à faire disparaître tout le reste, des journées, des années, d’invisibles enfants à élever, alors l’item se termine de manière douce-amère, par le retour du « principe de réalité » (des psys) supplantant (en partie par correspondance, un ensoleillé dimanche) celui « de plaisir ». Georges/Jean-Louis s’intéresse aux courses automobiles, détail autobiographique, possède un circuit électrique, gifle sa bienfaitrice, se fait larguer, loin de l’éternité, rimbaldienne ou non. Yolande rejoue (et renoue avec) ses dix-sept ans, offre sa féminité si soignée, si insatisfaite, gare à la belle-mère ferroviaire, à un homme-enfant désarmant. Le « réalisme poétique » enterré, la Nouvelle Vagueévacuée, les structures sexuelles, par conséquent sociales, pas encore ébranlées, terme connoté, bis, par le renversement des seventies (de sa pornographie explicite, certes surtout ludique), au ciné, au lit, demeure un film aimable, estimable, un brin documentaire, jamais révolutionnaire, remarquez quand même deux séduisants plans-séquences d’impatience, de mise à distance.


Sans la grâce talentueuse de son tandem d’interprètes principaux, sans la sensualité sincère de la sudiste Catherine, sans la scène satirique située chez les flics, sans sa voix off de confession, de testament acoustique déposé sur la Seine, quelle déveine, en écho assourdi à l’Eurydice subitoassassinée, en solo réécoutée, de Blow Out (Brian De Palma, 1981), Les Pas perdus pourrait s’apparenter à un roman-photo un peu falot, un film d’autrefois, oublions à présent ces silhouettes-là. Muni de ceci, de sa mélancolie de Martini, il s’apprécie en petit poème impressionniste consacré aux locomotives à l’arrêt, aux destinations seulement songées, aux roses aussitôt achetées, fissa fanées, aux lendemains désillusionnés, à l’instar (et à sa mesure mesurée) du Fanfaron (Dino Risi, 1962), lorsque Jean-Louis, cette fois-ci (é)conduit, découvrait l’hédonisme dépressif, en effet « à tombeau ouvert », d’une Italie matérialiste. Dans l’Hexagone du mitan des années 60, néanmoins on ne meurt plus, on ne se bat plus en duel, on ne commet plus de crime classé passionnel, pardon aux féministes actuelles, on accueille, surpris, la femme de sa vie, de plusieurs nuits, en pyjamasympa, en « dernier amour » privé de retour. Plutôt qu’une perte de temps imposée au spectateur (curieux) reclus, Les Pas perdus déploie donc du temps précieux, du temps perdu, qui donne un sens (et une souffrance, puisque passion) à l’existence, qui (s’)enivre et s’évanouit, comme eux, comme toi, comme moi et comme le cinéma, ne le savais-tu pas ?         



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