Une œuvre, un plan : Zombie (1978)
Un mort-vivant couvert de sang, aux faux airs d’Iggy Pop, sa chemise blanche maculée du rouge et précieux liquide vital se détachant – sans jeu de mots – sur un fond orangé peuplé d’inquiétantes silhouettes : on ne souligne pas assez la beauté des films de George A. Romero, leur mélancolie foncière, aussi, ni son art du cadre, mélange de précision et d’allusion, de dénotation et de connotation (pour parler comme les professeurs de français), les sens empilés à la façon d’un mille-feuille, héritage de Hitchcock, bien sûr, et d’Antonioni à sa suite (pour se limiter à deux « maîtres du suspense » métaphysique).
Observons l’arrière-plan de l’image, afin d’y décrypter – en français ! – une enseigne révélatrice et narquoise : GRANDE MARQUE ; oui, nous voici bien dans un centre commercial, lieu symbolique d’une satire souvent drolatique, surtout dans le montage du cinéaste, moins opératique et survitaminé que celui de son complice-producteur Dario Argento, de la société de consommation américaine (et mondiale/mondialisée), mais cela ne suffit pas, car Zombie nous dit bien d’autres choses. Par sa nature de huis clos, de catastrophe avérée, généralisée, dès le début avec le « studio-réalité » (William S. Burroughs) de la TV survolté, dépassé par les événements (caméo du réalisateur à son poste, mais pour le petit écran), par sa chasse domestique, individualiste et tribale (représentants « raciaux » groupés dans l’immeuble liminaire, non-morts du temple mercantile, motards en avatars caricaturaux d’un esprit de liberté, d’indépendance marginale (cf. L'Équipée sauvage avec Brando en fantasme fassbinderesque), par l’importance accordée au personnage féminin central, l’opus dialogue et répond à son contemporain (et tout autant controversé, pas pour les mêmes raisons) requiem réalisé par Cimino (grands espaces, guerre historique, communauté nationale blessée) servant de titre à ce billet.
Cinéma éminemment politique, qui ausculte et autopsie le malaise de la société étasunienne, dont le consumérisme ne constitue qu’un symptôme parmi d’autres (il sévissait déjà chez les ménagères rurales des Femmes de Stepford, achevé au même endroit, entre des rayons de produits étendus, quasiment, à la planète entière). Le scénario prévoyait un double suicide final : en moraliste lucide mais pas pessimiste, « Big George » opte pour une coda moins désespérante, avec l’assomption d’une femme enceinte blonde flanquée de son ange gardien noir. Pastichons le slogan publicitaire : Lorsqu’il n’existe plus de place sur Terre transformée en Enfer, le couple édénique part écrire ailleurs la fin ouverte de son histoire – dans les tunnels utérins et « fascistes » de la base militaire du Jour des morts-vivants, par exemple...