Cet amour-là, à plusieurs voies…
À Jacqueline, davantage durassienne que moi-même.
Vous découvrez L’Homme atlantique (1981).
Vous le découvrez, oui.
Vous le visionnez car l’amie qui elle aussi vous vouvoie vous l’adressa.
Alors vous écoutez Marguerite Duras. Alors vous regardez Yann Andréa.
Duras déclame sa déclaration de désamour. Elle dirige Andréa à distance.
Le film affiche sa réalisation jusque dans sa narration. Il comporte peu de plans. Il comporte l’empilement d’une mise en abyme au miroir.
Dans la villa vide, la voix s’élève. Dans l’écran d’encre, elle se donne à entendre.
Absente et présente, voilà. La cinéaste enregistre une présence et une absence.
Un homme parmi des milliards.
Une élection ou une introspection.
Sa proximité, son altérité.
L’image multipliée de sa mort au milieu d’un règne mortel.
Le son de l’océan. Le paysage d’une plage.
Les mots échafaudent aussitôt un hors-champ.
Ils identifient une différenciation dite irréductible, Dieu au-delà.
La silhouette un peu proustienne pose un instant. Elle regarde à travers l’écran.
Fantôme favori d’un hôtel hanté, panoramique point à la Kubrick (Shining, 1980).
Ici, juin s’avère déjà le début de l’hiver. Absence de descendance, pas de souffrance. Ménage de funérailles. Propreté de trépas.
Il faut oublier. Vous devez oublier. Oubliez l’objectif. Oubliez-vous.
Pourquoi écrire, sinon pour se guérir du mensonge d’un amour en effet finissant.
Duras s’adresse inlassable à l’incompréhension d’Andréa.
Le bonheur pourrit. La comédie s’impose.
Le départ d’Andréa, son souvenir vraiment hésitant. Pourquoi ne pas (en) faire un film, puisque écrire serait certes trop, dorénavant.
La rose ordinaire, le vol velouté de l’oiseau.
Le passé du plan, le danger de se ressembler.
La salle, à elle seule le monde entier.
Duras ordonne devant Dieu.
Andréa revenu, prié de mourir à sa propre vue. Vous seul pouvez l’accomplir, oui.
Au bout du voyage, évidemment le montage, la caméra décide de votre regard.
Obscur objet de prédilection, elle ne mentira pas, pas une seule fois à vous consigner elle ne parviendra.
Elle voulait vous tuer.
Ses vallées, ce détail, le ciné. S’en éloigner.
Le film restera ainsi. Andréa demeure muet, caché.
Marguerite Duras ne vous aime plus, elle n’aime plus rien, plus rien que vous, encore, même vivant ou mort.
Ce soir estival, il pleut.
Plus d’images à fournir au feu froid du film.
La fin d’un amour, son recommencement, son égarement.
Elle sait tout cependant à propos du filmé, elle sait ne pas pouvoir le prolonger.
Une saison menteuse, affreuse.
Je ne vous aime plus, en tout cas comme le premier jour.
Quoi faire de ça, de cette immensité explorée par les yeux fermés, de leur insignifiance originelle, peut-être cruelle.
Subir une exaltation.
Vous ne saviez pas vivre. Vous ne saviez plus que faire de vous.
Des roses parfumées, écartelées, effondrées.
Une femme seule qui oublie. Attachée à ce que la vie ne vous quitte pas.
Une mort admissible, souhaitable, la sienne, au final.
Une provocation constante, impénétrable.
Vous êtes l’homme atlantique. Vous l’ignorez, vous l’apprenez vite.
Vous venez de visualiser L’Homme atlantique.
Vous venez de le revoir, de le réécouter, oui.
Vous incitez la lectrice si assidue à relire vos textes sur Nathalie Granger (1972) et India Song (1975). Sur Moderato cantabile, le roman, par Duras pour Peter Brook adapté.
Elle travailla à La Voleuse (1966), avec Romy & Piccoli.
Elle esquissait des spectres. Elle dissociait l’audio et le visuel. Elle déroute ou envoûte. Sa singularité séduit ou déçoit, littérature lovée au ventre du cinéma, voire l’inverse.
De tout cela, l’Atlantique ne participe, en procède pourtant. La mer, la mère, l’amant, l’émouvant.
Une filmographie d’indépendance, de confidence, de temps scellé, métastasé, articulé, désarticulé.
Plus rien ne pourrait vous arriver, présent pérenne du replay.
Hors ressusciter, image et son, à chaque diction, à chaque projection.