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Les Choses de la vie : Intersection

 

Absence de ceinture de sécurité, impact décuplé…

On le savait avant Deleuze, l’image de ciné, oui ou non sonorisé, manifeste du mouvement, du temps, mais pas seulement, en outre elle rend émouvant le premier, elle développe ou réduit le second en durée. Les métrages se soucient aussi d’espace(s), de paysages, de visages, de carambolages ; ils multiplient en plus les paroles et les points de vue. Tout ceci se discerne, s’étudie, dans une scène célèbre des Choses de la vie (Sautet, 1970). Le même événement, un routier, rural accident, trois véhicules impliquant, s’y déroule à deux reprises, en replay similaire et cependant différencié. Le camionneur magnanime, rétif à charger la victime, concède un « il roulait à sa vitesse », ainsi résume le rythme et affiche le subjectif. En gris, blanc, rouge, remarquez les couleurs des carrosseries, sans feu rouge, surgit une tragédie ressentie au ralenti. Cette leçon de cadrage, de découpage, de montage, de minutage, en sus de musique mimétique, atmosphérique, rédige une équation dont on connaît la solution. Pas d’inconnu(e) en vue, juste un transport de porcs, quadrupèdes pas encore suspects de notre contaminée modernité, un calage stratégique, un Piccoli tabagique, qui perd le contrôle de sa bagnole, pas celui de sa clope, obsédés de l’hygiénisme, bienvenue au sein un brin malsain des années soixante-dix. Très sectionnée, la collision, plutôt le contournement, terminé en plein champ, le tronc penche, ne flanche, ne perd jamais sa claire et classique lisibilité, mise en scène de ciné, donc au carré, en quelque sorte racinienne, à défaut de bazinienne. Fi de théorisée « ontologie », du chasseur et du lion par un plan unique réunis, puisque le réalisme revient, « fait retour », dit le cinéphile psy, disons en différé, à échelle temporelle réelle, c’est-à-dire de manière brève et directe.

Au lieu de cogiter à Crash(Cronenberg, 1996), on (re)pense à Rubber (Dupieux, 2010), à son pneu animé, mateur, presque amateur, filmé au moyen d’un appareil photo. Les quatre chocs de l’auto à vau-l’eau, gare à l’étroit caniveau, se voient décomposés, scorés, soulignés sur la bande-son par une partition de saison. L’acteur reconverti en cascadeur voltige en virtuose, qu’importent les ecchymoses, au creux de son habitacle secoué, au pare-brise éclaté, constatation contradictoire d’écrin et de crevoir, visualisation d’une violence douce, sur l’estivale route, pour personnage en déroute. Roulant « à tombeau ouvert », idiotisme idoine, salut à Scorsese & Cage (1999), le citadin point serein croise au carrefour des manuels amènes, incapables de corriger sa trajectoire ni de dérouter le (mélo)drame. S’il s’inscrit à l’insu de son plein gré, en cible par le cinéaste téléguidée, à l’intérieur d’un sillage su par cœur, convoi de corbillards de stars, où suivre James Dean, Albert Camus, Julien Duvivier, Jayne Mansfield, le chauffeur chauffard, craignant d’être en retard, ne rate son rendez-vous de Samarcande, qui patiemment, piétons ou pas, tous nous attend. Art funéraire, territoire mortuaire, royaume de cimetière, le cinéma carbure à tout ça, plus qu’à l’essence, à l’inconscience, à la dangerosité de l’excès, de l’accéléré. Les Choses de la vie, durant ces quatre minutes et demi d’anthologie, ensuite traduites en mode anecdotique, académique, hyperbolique, risible et mystique, par le copieur peu inspiré Rydell (Intersection, 1994), en tandem avec un morceau musical à la truelle, nous (dé/re)montrent les choses de la mort, la répétition pratiquée en préfiguration prodiguée, en identification solaire, au grand air, au calme de la campagne, de la fonction funèbre du film, de tous les films.

À défaut ici de l’Eurydice d’Orphée, de la Béatrice de Dante, une pensée dédoublée, souriante, sensuelle, sudiste et triste, à la chère Romy Schneider, à l’amie Lea Massari, les témoins masculins, en train de monologuer de près, de loin, en filmage reportage, servent de catalyseurs près du verger en fleur, de psychopompes dépourvus de coup de pompe (à essence), d’inconscients et infernaux nochers dotés d’une sympathique, en contrepoint au symbolique, franco-française trivialité. Plus tard, telle la passagère elle-même deanesque, in finerepêchée, trépassée, pourtant, au départ de l’histoire, apparemment, survivante, de Carnival of Souls (Harvey, 1962), le conducteur ignore qu’il (se) meurt, se souvient, pour rien, depuis son propre et idemhumide au-delà de coda – cela s’appelle le cinéma. 


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