Les funérailles, les semailles, les retrouvailles…
Fini en février 1937, à « Aubignane », ah bon, auto-publié la même année, collection au titre explicite : « Les films qu’on peut lire », escorté d’un générique d’occasion, d’introduction, partagé en quatre parties, presque en autant de saisons, Regain de Pagnol transpose le roman homonyme de Giono, paru sept ans plus tôt, servit sans doute de base au tournage, au film en mars commencé, dans la foulée, d’ailleurs en parallèle à celui du Schpountz(1938), appréciez la décapitation en point commun, dont le début et la fin toutefois diffèrent, gare à la place de la « diligence », annonce d’accouchement substituée au soc labourant. Ce vrai-faux scénario, délesté d’indications techniques, sinon scéniques, séduit par sa maîtrise suggestive, l’économie de ses didascalies. Ici, on « suit » ou « précède » les personnages, on ne « regarde » plus qu’eux, en train de se déplacer « contre le ciel », c’est-à-dire, aussitôt traduit, d’une caméra muni, on utilise des travellings avant, arrière, du champ et du hors-champ, voire du plan-séquence, une contre-plongée d’ensemble, de silhouettes et d’espace soulignés. S’il sait conserver la sensualité sudiste du matériau d’origine, remarquez Irène/Arsule en assistante en sueur du rémouleur sauveur, utilisateur, « mouillée d’un drôle de vent qui fait l’homme », observée topless près du bassin point malsain, la chaleur chavirante d’une poitrine masculine d’énamouré noyé ; s’il n’en trahit l’esprit pacifiste, rétif à l’uniforme, à la soumission, aux interdictions ; s’il évoque, en écho, la désertification rurale, l’immigration italienne, la vieillesse invalide, en famille, le tout assorti d’un filigrane de féminisme soft, ce western revisitant le vaudeville appartient bel et bien, du premier au dernier mot, visage, paysage, à Pagnol lui-même.
Comme on peut écouter, à côté d’un opus ciné concerné, la partition accompagnatrice per se, « musique de film » à la fois au service et autonome, le texte repose sur lui seul, possède sa propre valeur-saveur littéraire, lapidaire. A contrario de la précision disons obsessionnelle du travail de Leo Marks, rédacteur du Voyeur (1960) de Michael Powell, produisant l’impression de lire un script plutôt qu’un scénario, un territoire détaillée au lieu d’une carte esquissée, Regain rappelle la décantation du Crash (1996) de Cronenberg, avatar de Ballard, autre itemécrit caractérisé selon sa simplicité, sa densité, le poids de sa légèreté. Ainsi, deux cent trente-neuf pages, tout au moins en édition de poche millésimée de 1978, suffisent au dramaturge/cinéaste/romancier pour donner à visualiser, rendre audible, un univers sensible, au double sens du terme. Tragi-comédie ponctuée par la perte d’un mari, au fond du puits, une pensée désolée à destination de l’épuisé, spolié, assoiffé, Jean de Florette, puis d’un empoisonné petit, un « viol en réunion », en région, dramatique et drolatique, une arrestation abusive, morceau de bravoure digne d’un Kafka délocalisé, déridé, remplie de solitude(s) et de solidarité(s), dépourvue de pathos, cf. le trépas express de la pieuse et sacrilège Mamèche, Regain vieillit bien, esquive l’écueil de sa réputation pétainiste, n’oppose une quelconque sclérose conservatrice, autarcique, au problématique « progrès », accorde à son braconnier sédentarisé, rasé de près, relooké au mieux, sous les yeux d’une muse amoureuse, aimée, active, lucide, des stigmates christiques, assourdit le symbolisme du blé, de la fertilité, de la maternité, graine semée, semence versée. Giono jalousait le mythe, le lyrique ; Pagnol dépeint des êtres humains, ni héros, ni salauds, des cultivateurs de leur fort et fragile bonheur, acquis à l’ombre de la « peur », de la douleur, du malheur.
En résumé, on revisite ce Regain-ci avec le sourire et la gorge serrée, en preuve supplémentaire de l’évident talent de l’auteur, de la pérennité de son beau labeur, en conte amusant, émouvant, stimulant, d’auparavant et cependant à destination de notre aride et stérile temps.