Égout itou, plus propre mais autant létal que celui de Kanał…
Comment mourir le mieux, sinon de la main d’un ami, même malheureux ? Au son d’une célèbre cithare de trop tard, on passe ainsi de Wajda à Welles, on explore un autre décor, on ranime une autre mort. Modèle de rythme aux cadres obliques, le requiem cette fois manifeste du mensonger macchabée utilise le son à l’unisson, affirmons à nouveau, que vous le vouliez ou non, en chœur avec le spécialiste Michel Chion, le cinéma comme « art sonore », hier et encore. Au creux de tunnels-caveaux, de catacombes européens remplis d’ombres voire de vauriens, de clairs-obscurs d’impostures, beau boulot du dirlo photo Robert Krasker, pour ceci oscarisé, ensuite au côté de Visconti sur Senso(1954), ah, revoici Alida Valli, à proximité d’une immense roue de la destinée propice à séduire le symboliste Malcolm Lowry (et le John Huston de Au-dessous du volcan, 1984), se trame une traque patraque, en puissante profondeur de champ sur fond de trafic de pénicilline imaginé par Graham Greene. Escorté de Korda & Selznick, Carol Reed (re)visite une Vienne en ruines, anticipe Ie triangle de Trapèze (1956), donne toute sa dimension à une détonation, à un effondrement lentement. Blessé, le cynique salaud du sieur Orson se traîne vers un escalier en métal et en colimaçon dont se souviendra le Robert Wise, d’ailleurs ex-monteur de CitizenKane(1941), à l’occasion de son idemacoustique et remarquable La Maison dudiable (1963). Le réalisateur de l’ironique Notre agent à La Havane (1959), Graham again, alterne au montage passivité du cadavre et mouvement du mort-vivant. Tel le Polonais précité, la fuite ne suffit, la grille quadrille. Expressionniste, Mister Reed ? Surtout expressif, insitu et en studio, prompt à « mettre la main à la pâte », à prêter les siennes prises au piège, humaine araignée, moral sortilège, à sa star absente, deux plans envahis par le vent.
Trois ans plus tôt, à l’époque du Criminel(1946), Welles, déguisé en rural nazi, pareillement amoindri, périssait au sommet d’un clocher, amitiés à la mission fatale de Sueursfroides(Hitchcock, 1948), transpercé par une lame idoine. Ici, en silence, Harry supplie Holly de l’achever, lui-même et le film, bien peu dangereux en dépit de l’avertissement du gueulard Trevor Howard. Ce qui suit constitue un instant assez superbe de mélodrame masculin, d’amitié tourmentée, instrumentalisée, en coda exécutée. Que Joseph Cotten décide en définitive d’accéder à sa requête, de répondre à sa demande muette, avec une poignante et cependant discrète tristesse empreinte de tendresse, understatementdu traitement britannique oblige, possède bien sûr une portée personnelle, décuple l’impact cruel. Le cinéaste suggère l’acte funéraire, seconde détonation, garde hors-champ le geste de mansuétude malaisant. En écho au Clint Eastwood du Retour del’inspecteur Harry (1983), Cotten revient de loin, au propre, au figuré, en vient à ressembler à un Orphée armé. Au terme du périple punitif, le flic fatigué (r)accompagnait la chère Jennifer Spencer de la regrettée Sondra Locke, happyending doux-amer. Le romancier US ne saurait savourer pareil apaisement, puisqu’au moment du recueillement de boucle bouclée, l’Anna Schmidt sans merci ni oubli de la cara signora Valli, muse indocile du directif David, l’ignore et donc le déshonore. Coucou suisse sarcastique ou nécessité de l’obscurité, Lime brille et s’éteint en soleil noir, en Arlésienne sinistre, en empoisonneur doté d’un cœur, grâce à la grâce du sous-estimé acteur. Le « film noir » se transforme fissa en film mouroir et miroir où contempler, magnifiées, déformées, l’image et les images du passé, des trépassés.