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La Femme insecte : The Crimsom Kimono

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Shōhei Imamura.

- Ma vie n’est pas une existence…

- Si tu crois que mon existence est une vie !

Hôtel du Nord (Marcel Carné, 1938)

Décédé en 1956, Kenji Mizoguchi ne vit ceci, sorti en 1963, on peut pourtant penser qu’il ne pouvait apprécier pareil traitement d’un toutefois familier argument. Car Imamura ne carbure à la came du mélodrame, ni au dolorisme du manichéisme, moins encore à la victimisation à la con de notre époque. Les proies, les « prédateurs », les « porcs à balancer », les martyres médiatisées, les saintes, les salopes, il s’en moque, il connaît de près Cochons et Cuirassés (1961), il observe à la Brecht son pays, sa patrie, en train de se fissa se transformer, ni meilleurs ni pires qu’auparavant, plus américanisés assurément. En 1964, le compatriote Mikio Naruse entrelacera sens féminin du sacrifice et capitalisme importé, de supermarché, selon l’émouvant Une femme dans la tourmente. LaFemme insecte se fiche en fait des mouchoirs, se soucie d’entomologie, séduit via sa différence de survival vu à distance, aux hommes indeed« stupides », en effet « obsédés » par une virginité vaine et trafiquée, transfusée, féline, fichtre, cependant lucides, cf. le constat de Karasawa, au sujet de son « fantasme libidineux de vieillard », amant amoureux arnaqué après sa philosophie au plumard, à défaut du sadien boudoir, aux femmes inflexibles, victorieuses en définitive, Nobuko opine, au volant, du  haut de ses vingt ans. Kitano fréquenta et raconta le quartier (lointain) d’Asakusa ; Imamura, bourgeon de bourgeois, s’encanailla du côté de Shinjuku, suivit subitodes études d’agriculture et d’histoire, cela se voit. Il ne considère pas, par conséquent, la prostitution comme un problème, à mettre en scène, dans un dessein de lamentation, de moralisation, davantage en tant que passage, mélange d’outrages et d’avantages.

Si sa dédoublée, documentée, topographie, rurale et urbaine, d’une « condition féminine » tout sauf sereine, donne presque le désir de devenir féministe, Imamura assume la réversibilité des rôles, la dérision des idoles, le vrai-faux inceste aussi, disons à la Demy, la linéarité saccadée d’une elliptique chronologie, les arrêts sur image(s) de « temps scellé », on songe à La Jetée (Chris Marker, 1962), un brin tarkovskien, de récit suspendu, mis à nu, ce dévoilement, au propre, au figuré, vous le valez bien, clients ou cocus, filles fortes et fragiles affublées « de petite vertu ». Au début de La Horde sauvage (Sam Peckinpah, 1969), les morts-vivants se figent un instant, entrent dans l’Histoire, remplis de désespoir. Contrairement à tous ces mecs mélancoliques et malhonnêtes, Tome Matsuki ne se (re)pose, ne prend la pose, ne s’appesantit, va vers la vie, inextremis une montagne vomie gravit, Sisyphe inversée aux godasses cassées, combattante clivante, actrice complice et délatrice de l’humaine et universelle tragi-comédie, jouvencelle et maquerelle aux prises avec une sinistre destinée, à l’insu de son plein gré, éprise de pureté, pourquoi, à part pour toi, crois-tu que j’encaissais, manigançais, tout ça, digne héritière de ta mère, à l’évidence ouvrière, ensuite nourricière puis un peu putain, un peu prisonnière, beaucoup guerrière ? Durant quarante ans, le spectateur épouse le parcours doux-amer d’une Japonaise et donc du Japon, néanmoins Imamura ne singe Balzac, ne vide son sac, laisse à autrui la supercherie de la sociologie. Leçon de réalisation, remarquez la rigueur des cadres, des compositions en Scope, la puissance discrète de la profondeur de champ, le beau boulot du dirlo photo Shinsaku Himeda, La Femme insecte n’impose de leçon d’interprétation à personne, construit les contrastes, pratiques les reprises, boucle la boucle karmique et cinématographique.

Ce percutant portrait psychologique et politique, non démuni d’ironie, ah, ces haïkus joviaux et moroses en voix off, jadis récompensé à domicile, repose bien sûr en partie sur Sachiko Hidari, primée en Allemagne et constamment remarquable, soleil noir d’un conte cruel (de la jeunesse) en clair-obscur, auquel la « femme fontaine » lumineuse et rieuse du testamentaire mais pas mortifère De l’eau tiède sous un pont rouge (Imamura, 2001) répondra à sa manière, humide et intrépide. Le regard acéré du cinéaste dissimule en sourdine une certaine tendresse, une tristesse certaine, je pense précisément à ce plan de Tome & Cathy, marche « métisse », lente et légère, à proximité d’un aéroport, précédant le brûlant « accident domestique », je repense à la relation de Midori & Ken, couple « interracial » dont l’amour immanent remonte le moral, malgré les billets adoubés, le minot derrière le dos, le père quasi proxo. Si l’existence s’apparente à un jeu dangereux d’exploitation en reflet, en replay, si les rivières des vies infimes s’écoulent en parallèle au fleuve impérial, national, le réalisateur jamais ne se complaît au creux paresseux, nauséeux, de l’accumulation des horreurs, filme au fond une ferveur, pas seulement celle, cynique, insitu, de l’effarante confession-condamnation parmi la « secte de la Terre pure », amen et au suivant repentant, puisqu’il sait saisir, à la Baudelaire, la beauté de la laideur, l’énergie de l’agonie, le sexe et le ciel, majuscule optionnelle. Plutôt Fassbinder que Godard (Vivre sa vie, 1962), Shōhei associe ainsi les espèces terrestres, insecte d’incipit ou insecte à la Kafka, tisse une toile familiale et fatale de darwinisme et de pragmatisme, à rendre dépressif le posé Ozu, son professeur fameux et (à lui) affreux.


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