Mécanique misogyne ? Mosaïque magnanime…
Site cinéphile, aussi voici : « – Je l’ai branlé dans le couloir de la sortie du cinéma, le foutre est tombé sur la moquette rouge. Lorsque les spectateurs sont sortis, je les ai regardés marcher là-dessus sans le savoir. Ça, ça me fait bander. » De librairie succès, idem adapté au ciné (La Mécanique des femmes, Jérôme de Missolz, 2000), ce petit livre assez libre évoque une enquête subjective sur la sexualité féminine. Classé en « récit » par son éditeur, gare à Gallimard, le recueil sans écueil entrecroise ainsi souvenirs, dialogues et monologues, natures mortes, lignes « écrites » mises en abyme, tel (déjà) un montage (de l’)intime. Calaferte accumule les hommages et les témoignages, davantage que les dommages et les outrages, même s’il n’esquive la violence des avortements, saupoudre l’ensemble de sa fresque leste d’un zeste d’inceste, d’un soupçon de pédophilie féminine ou masculine, parité, please. Toujours fragmentaire, jamais austère, cette mécanique anatomique et psychologique, ludique et mélancolique, se caractérise par son caractère cru et lyrique, par un impressionniste, voire impressionnant, ressassement de sexe et d’océan, flux et reflux des rencontres, des déclarations, des copulations, des instants (r)échauffants ou refroidissants, amusants ou attristants. Rien de sadien, certes, au sein de toutes ces scènes peu obscènes, plutôt le spectre de la mort à conjurer encore, s’étreindre avant de s’éteindre, ordre donné à l’autre « d’arracher sa robe » ou alors de devoir « devenir folle », impératif définitif, au propre, au figuré, puisque termes ultimes du texte bref, d’interlocutrice dont le speechsemble surgir autant de sa bouche que de sa matrice, nouvelle « Ève », « rivale divine », « feu de femme » voulant être « faite libre » par un type, contradiction d’émancipation que les lectrices féministes oui ou non apprécieront.
Tandis qu’écouter « Quelque part, lointain, un cri apeuré de femme », une suivante demande : « Es-tu avec moi dans mon âme ? », une troisième constate : « Je suis toute décousue », une énième, peut-être la même, déclare : « Sais-tu que quand tu jouis dans ma bouche tu as la tête du Christ ? » Ici, la disponibilité dirigée s’avère vite de mise, malgré les désillusions, les détestations, les sidérations, par exemples celles de règles à la Carrie. Ni Stephen King ni Millet Catherine, ni Georges Bataille ni Pauline Réage, Louis Calaferte esquisse souvent avec tendresse, parfois avec détresse, des silhouettes guère suspectes de femmes fréquentables, impitoyables, lucides, intrépides, qui sans cesse prennent l’initiative, les hommes, en somme, réduits à d’obsédants et obsédés sextoys, à des échanges interchangeables, maladroits ou adorables, portraits express dessinant en sus celui du narrateur insaisissable. Introduit, terme idoine, par une citation dépressive de Paul Valéry, non démuni d’humour, d’amours rémunérées, de désamour assumé, admiré par une certaine Maurane, La Mécanique des femmes séduit à sa modeste mesure, condensé testamentaire, exercice de style tout sauf stupide, pourtant pas vraiment révolutionnaire. En train, en autobus, à l’hôtel, point à la truelle, dans la rue, sur une avenue, dans les chambres, entre les plates-bandes, les héroïnes s’activent et (se) renversent le(s) sens du titre. En résumé, le furtif (à soutif) défilé de leurs ardeurs, laideurs, de leur intensité, multiplicité, les transforment en définitive en mécaniciennes plus ou moins sereines du désir impossible à épuiser, à punir, à défaire, à satisfaire, industrie suave et « sale », sordide et exquise, charnelle et cruelle, physique et mystique, de softmachines, depuis sa rive, Bill (Burroughs) opine, souffrantes et jouissantes,(dé)bandantes et (in)dépendantes, (qué)quête d’expertes, de sperme, surtout d’unisson fécond, fugace, « dégueulasse » et doué de grâce.