Parure de Zorro, petit saligaud, repas d’achat, tablée désertée…
Pour la peu cupide et plutôt joueuse Jacqueline
En 1976, Veber vient de travailler avec Lautner (Il était une fois un flic, 1972), Robert (Le Grand Blond avec une chaussure noire, idem), Molinaro (L’Emmerdeur, 1973), de Broca (Le Magnifique, aussi) ou Verneuil (Peur sur la ville, 1975). Le scénariste-dialoguiste à succès décide donc de (dé)passer le cap de la réalisation, conseil d’ami de Claude Berri, le patron de Renn Productions. Deux ans avant Coup de tête (Annaud, 1978), Le Jouet s’avère une satire sentimentale du Capital, un magnat des médias à la place des notables du football. Escorté du solide DP Étienne Becker, fils de Jacques et frère de Jean, lui-même sorti de la direction de la photographie des dépressifs Le Vieux Fusil (Enrico, 1975) et Police Python 357 (Corneau, 1976), Veber revitalise et rajeunit ici sa fameuse formule du tandemmasculin, je te déteste et je t’aime bien, promise à être reprise, appliquée, dupliquée, sur sa sienne trilogie en compagnie de Pierre Richard & Depardieu Gérard (LaChèvre, 1981, LesCompères, 1983, Les Fugitifs, 1986), voire sur LeJaguar(1996), Bruel & Reno en duo illico. On sait que Dick Donner remaka celui-là (TheToy, 1982), on ignore ce que l’intéressé en pensa – pas grave, puisque ce métrage mal-aimé, probablement le meilleur de l’auteur, résiste à l’usure des décennies, ne se réduit à du « théâtre mis en boîte », Pagnol s’y colle, carbure à la colère contenue. Comme selon Bergson, on parle souvent à propos de Veber d’une « mécanique » (« plaquée sur du vivant », rajoute le Henri du Rire) millimétrée, au risque d’identifier ou de transformer fissa ses films classés comiques en machines sinistres, répétitives, guère inventives, ni poétiquement, ni politiquement. Mais la mise à distance, l’obsession de la construction, la gymnastique anonyme des répliques qui piquent, fonctionnent cette fois-ci de façon satisfaisante, sinon excellente, fondements formulés, en reflet, d’une fable affable dédiée à un monde déshumanisé, à des employés objectivés, à des « pantins » un brin bergsoniens, bis.
En faisant s’affronter la maladresse et l’incrédulité chaleureuses de Richard, le cynisme glaçant et glacé de Bouquet, remarquez au passage la chaumière à la Chabrol (LaFemmeinfidèle, 1969), Veber donne à voir non seulement la toute-puissance de l’argent menaçant, du père jusqu’à l’enfant, capable de tout et tous (nous) acheter, quitte à absoudre l’absurdie, à couper l’appétit, au-delà il dénude son brio de dramaturge démiurge, le tamise d’un moralisme jamais marxiste, le gamin devient vite orphelin, reste auprès du dédoublé licencié, papa par procuration et non vecteur de révolution. Écrites, composées (amitiés à Cosma), cadrées au cordeau, interprétées avec âpreté, intensité, félicitations à Ceccaldi & Aumont, les deux séquences suivantes arrivent en sus à faire ressurgir le souvenir de Playtime (Tati, 1967), autre conte et document du temps d’antan, encore de maintenant, certes très supérieur, par exemple au niveau de la vertigineuse (et ruineuse) utilisation du son, autre observation en situation du refroidissement des rapports (in)humains, au sein magnifique et malsain d’un vrai-faux futuriste espace urbain. Dans la première scène, le gosse Greco ordonne, réifie, se fout des exposées panoplies, il veut « ça » ou rien, il le vaut bien ; dans la seconde, il se tait, sidéré par l’arrogance réfrigérante et convaincante de la proposition paternelle. Au présent, au passé, le pouvoir des billets s’appuie sur l’homologue de la parole, questionnement incessant (pourquoi cela « ne se fait pas » ?) ou ultimatumà la gomme (« trente secondes » pour répondre). Maître du rythme, portraitiste d’une drolatique déprime, le cinéaste immortalise en définitive des occasions de soumission, de déraison, de démonstration d’aliénation.
Richard & Guybet, les scénaristes novices de Onauratoutvu (Lautner, 1976), psychodrame ludique contemporain, à base de projet détourné (LeMiroirdel’âme, amen, se métamorphose en LaVaginale, voui), presque spolié, de pornographie franco-française veryseventies, c’est-à-dire artisanale, à nouveau sentimentale, Miou-Miou aime, elle ne (se) « mouille », malgré l’humidité, au propre, au figuré, des Valseuses de Bertrand Blier (1974), craignent de perdre leur compagne, leur emploi, leur réputation. Le journaliste du Jouet signe à son tour un pacte faustien, au lieu d’être damné y gagne une conduite critique + une inespérée paternité. À sa manière douce-amère de mélodrame entre mecs, de rencontre des classes traitée avec classe, LeJouet prolonge et renverse l’individualisme du didactique téléfilm 325.000 francs (Prat, 1964), découvert via la découvreuse destinataire, autre histoire de joujoux relous, d’acquisition et d’exploitation, où Roger Vailland, plume de Vadim, pas uniquement, se met en scène et en abyme : Busard, alias Rolland (LesGrandesGueules, Enrico, 1965 ou LaSecondeVérité, Christian-Jaque, 1966), qui se pendit à la Prat, putain, anti-héros doté d’un patronyme ironique, explicite, y termine diminué (émasculé, pontifient les psys), tourmenté, mauvais mari, petit propriétaire foutu en l’air, donc moins bien que Perrin, aux pépins enfantins, attachants et enrichissants. D’un ouvrage au suivant se rejoue ainsi la tragi-comédie du système économique de nos vies, dont le libéralisme ne libère personne, asservit les envies, oblige le cycliste d’usine à convoiter des rêves de dérisoire bourgeoisie, le frisé sidéré à subir tout sourire l’outrage ou chialer au chômage.
Les récits de Veber & Vailland n’apparaissent par conséquent excessifs et fictifs qu’aux inconscients et aux naïfs, depuis longtemps réalisés en réalité, désormais décuplés au royaume macronien, tout va mal, tout va bien, de vos esprits et de vos corps apeurés, dressés, vaccinés, je vais durant mes derniers (?) huit mois prendre soin. Si des larmes de joie, rarement, de tristesse, généralement, irriguent en sourdine l’imagerie du X, disons sa subjective réception, si des larmes de douleur et de soulagement traversent le territoire horrifique, des larmes de rage se dissimulent à peine sous la surface du divertissement, qu’il s’agisse d’items estampillés « à l’italienne » ou d’exercices hexagonaux. Dans la France effarante, effarée, de 2021, le film quasi quinquagénaire de Veber invite à prendre l’air, à fuir du fric l’empire inique et délétère, à favoriser les valeurs du combat et du cœur, au ciné, en la Cité, hors d’atteinte, hors de prix, nécessaires et salutaires, hier et aujourd’hui