Un métrage, une image : Aux frontières de l’aube (1987)
Stephen King connaît-il NearDark ? Sans doute, puisque les vampires de DocteurSleepse déplacent aussi en camping-car, aucun hasard. L’intitulé français possède une pseudo-poésie, frise le contresens, ne rend justice au symbolisme du titre d’origine, pragmatique et programmatique : jadis éclaireur biblique, aujourd’hui candide en jean, Caleb se situe aussitôt à proximité d’une double obscurité, celle de la nuit, à « écouter », lui intime l’intime Mae, comme son cœur ouvert, offert, à l’avide buveur, dont l’étoilée « clarté » va l’« aveugler », celle de l’esprit, sommé de se soumettre à un « instinct » malsain, de donner la mort démuni de remords. Mais l’amoureux malheureux veut/vaut mieux qu’une immortalité imposée, qu’une longévité galvaudée, à demi stimulée par un sadisme de meute endimanchée. Vrai-faux western, NearDarkretravaille la bataille entre sauvagerie et civilisation, force et droit, immensité et communauté, sacro-sainte trinité d’une imagerie à la fois fondatrice, affaiblie, enterrée, ressuscitée, en société, au ciné. Face à la Frontière, la famille du fermier, orphelin à moitié, vacille, se redessine, se recompose, se décompose, afin qu’une transfusion du père au fils la/le rétablisse inextremis, sang lié versussang versé, coulant vers le néant. Le conte d’éducation, de « conversion », nocturne et diurne, ironique et romantique, moral et jamais moralisateur, se souvient ainsi de La Prisonnière du désert (Ford, 1956) ou Bonnie et Clyde (Penn, 1967), davantage que de La Horde sauvage (Peckinpah, 1969). Ni Génération perdue(Schumacher, 1987), ni Vampires (Carpenter, 1998), placé parmi Hitcher (Harmon, 1986) et Cohen & Tate (Red, 1988), NearDarkconstitue en sus une trilogie, en forme de roadmovie, due au co-scénariste et ici producteur Eric Red, qui délocalise en Homer la Claudia des incontournables « chroniques » sensuelles et existentielles d’Anne Rice. Escorté de Kathryn Bigelow, tandem de style, trois ans avant BlueSteel (1990), il signe un script picaresque, devenu un opus précis, dont la modestie sincère séduit, bien servi via un casting choral impeccable, mention spéciale au couple en (dé)route Adrian Pasdar (L’Impasse, De Palma, 1993) & Jenny Wright (StElmo’sFire, Schumacher, 1985), à l’emporté prématuré Bill Paxton, porteur d’un pantalon emprunté à Jim Morrison, par ailleurs auteur du troublant Emprise (2001), bien éclairé, à contre-jour de minuit, au soleil d’incendie, par le directeur de la photographie Adam Greenberg (Terminator, Cameron, 1984, LaBamba, Valdez, 1987), bien musiqué par les types de Tangerine Dream, alors sortis du Bayou(1987) de Kontchalovski. Bigelow, en solo, maîtresse de son sujet, lestée d’assurance, délestée de complaisance, manie l’immoralisme et le romantisme, la violence et l’innocence, l’horreur et l’honneur. Échec économique, pas critique, NearDarks’avère vite une réussite sympathique, se finit sur une astucieuse solution de transfusion, matrériel médical d’émotion, arrêt sur image des amants revenants, car caressés par l’astre après le désastre, lumière blonde et ombre brune enlacées, libérées…