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2046

 

Un métrage, une image : In the Mood for Love (2000)

À ma mère

À chacun sa chambre : dans la 237 de Shining(Kubrick, 1980), l’attraction d’interdiction aboutissait à la strangulation puis à la décomposition ; dans la 2046 du film homonyme (2004), d’abord de In the Mood for Love, un second écrivain esseulé, hanté, presque autant impuissant, disparaît, se met en retrait, se passionne de « wuxia », ensuite de SF, donc du passé, du projeté, tandis qu’avec sa muse complice il ne s’amuse, pratique plutôt le roleplayen replay. « Elle est bien apprêtée pour aller acheter des nouilles », en effet, en reflet, salut au Noodles de Leone (Il était une fois en Amérique, 1984), dont le thème de Morricone resurgira selon The Grandmaster (2013), écho révélateur. À la sortie de celui-ci, on put penser à Antonioni, à L’avventura(1960) et à La Nuit (1961), davantage qu’au duo sado-maso de Vertigo(Hitchcock, 1958), idem modèle d’adultère doux-amer, n’en déplaise au cinéaste effectuant le rapprochement entre Tony Leung & James Stewart, types épris et patraques. Disparu des radars depuis près d’une dizaine d’années, occupé à superviser la restauration et la numérisation de ses dix opuspar la cinémathèque bolognaise, au labo bien nommé L’image retrouvée, suivant les vingt ans de cette romance au retentissement critique de consensuelle acclamation, à l’exception de Charles Tesson, estampillé spécialiste du ciné asiatique, les experts m’indiffèrent, sinon me désespèrent, vous itou ?, qui osa parler de « mise en plis » au lieu de mise en scène, Wong Kar-waï semble lui-même prisonnier de ses propres volutes de fumée, certes moins opiacées que celle de Robert De Niro, quoique, d’un temps et d’un métier arrêtés, immortalisés, en boîtier enterrés, à l’instar du départ de la magnétique Maggie Cheung, retraitée prématurée. Muni d’humour et de mélancolie, en sourdine poignant et in extremissurprenant, ce titre historique et géographique, autarcique et pudique, cristallise un style, la nostalgie sublime, ponctue le parcours d’amour et de désamour de leitmotive thématiques et de musique. Il s’agit en définitive d’un voyage immobile, d’une esquisse subtile de l’étroitesse des appartements, des sentiments, des couloirs, des histoires. Un sac, une cravate, un mur, un murmure, du mah-jong, du rouge à lèvres, des pantoufles roses, des plantes vertes, les aiguilles indociles d’une grosse horloge morose, une cloison de séparation, Madame Suen & M. Ping, qui disent ça, qui ne disent rien, un patron à l’unisson, de Gaulle de traviole, In the Mood for Love ne cède au décoratif ni se focalise sur les accessoires et l’accessoire, entoure son couple d’une petite foule concrète et cool, dénuée de malice à défaut de moralisme. La vie sans mariage ? Disons un mirage, une fiction d’émotion, aux larmes d’intimiste mélodrame, terminé au milieu d’un lieu sacré, d’un mausolée, logique symbolique, le moine muet tel le réalisateur miroité. Le film de fantômes affiche in fine un enfant, comme s’il fallait conjurer les occasions manquées, apaiser la peine partagée. M. Chow passe à côté, au propre et au figuré, de Madame Chan, pourtant l’épilogue lui apporte une sorte de libération, ouvre l’horizon. Via Angkor Vat, il ne traverse la « vitre poussiéreuse » du temps perdu, qui ne se rattrape plus, oui-da, Barbara, à part chez Proust, le minutage d’un métrage, ralenti, rajeuni. Secondé par le semé DP Doyle, Wong accumule les dé/surcadrages, ne se soucie pas tant de romantisme que d’anachronisme, car les signes sensuels et temporels ne cessent de se répondre, de correspondre, parmi une tapisserie à la linéarité d’autrefois, irréversible et illusoire à la fois, que l’épiphanie du final fait basculer au sein du divin, de l’éternité, du cyclique, du mythologique – du solaire cimetière cinématographique…               


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