Exils # 72 (21/01/2025)
Comédie policière douce-amère, Adieu poulet (Granier-Deferre, 1975) annonce un second scénario de Veber, celui de Coup de tête (Annaud, 1979) itou interprété par Dewaere. S’il s’agit aussi d’une histoire de traque et d’une satire politique sur fond de corruption, ce film de son temps, désormais de cinquante ans, l’âge du personnage de Ventura, voilà, s’apprécie surtout en « baroud », portrait impressionniste d’un « idéalisme » jusqu’au boutisme. Muni d’humour, dès la découverte du cadavre d’un vieillard queutard de lupanar, agité à l’électricité, secousses irrespectueuses à faire se gondoler la candide prostituée, mention spéciale à la séquence d’assaut à l’hôpital, où croiser un Zardi incontournable, tandis que Sarde compose en mode minimum syndical, il possède un masculin tandem en rappel du couple d’entourloupe de L’Emmerdeur (1973), dirigé par Molinaro, avec déjà Lino. À notre époque médiocre de moralisme et de tribalisme, les féministes se feront un plaisir d’ire d’en souligner la supposée misogynie, oh oui, puisque Mairesse, jeunette et en jupette, y distribue des tracts et s’y fait traiter de « salope », puisque qu’une vraie-fausse infirmière, en sous-vêtements sous sa blouse, s’y fait qualifier de « gouine » par une vraie-fausse victime, en fait un flic emballé incapable de l’emballer, à cause ou malgré sa main au fessier. Au siècle dernier, on pouvait donc se permettre ce type de répliques drolatiques, n’en déplaise au MLF, équilibrées par le sentimentalisme armé d’un tueur désirant retrouver sa moitié, par le pouvoir revendiqué d’une « maquerelle » BCBG, MILF corruptrice aux relations de bon ton. En vérité, Veber et de mecs sa paire ne se soucient du dit deuxième sexe, à l’opposé du duo de marginaux des Valseuses (Blier, 1974), sans cesse à baiser, sinon à téter, ah le sein de Fossey, des filles juvéniles, des dames mûres, Miou-Miou & Moreau. Ventura vit seul, Dewaere idem, un dynamisme père/fils les conduit, les dévie, comédiens point sereins, en dépit d’une bière partagée, d’une estime et d’une amitié par-delà les années, d’une mise en scène au carré, qui vise en définitive à secouer le cocotier du côté de Rouen, variation provinciale, fluviale, à cathédrale, de capitale, que surplombe de façon symbolique la claire tanière du commissaire.
Prendre de la hauteur signifie ne pas céder à la fureur, au vigilantemovie, à la souvent lucide démagogie du fameux tous pourris. Coup de tête se conclura de manière similaire, selon une démission de l’action, un retrait assumé, les notables coupables prisonniers de leur peur, d’une lâcheté décuplée, justice ironique préférée à celle classée expéditive. Adaptateur très distancié de Raf Vallet, l’auteur de Mort d’un pourri (Lautner, 1977), eh oui, jamais émule de Jim Thompson, Francis ne fait pas le ménage, ne donne aucun Coup de torchon (Tavernier, 1981), termine le film sur une prise d’otage en boucle bouclée, cependant cette fois-ci délestée d’exposé, de Marianne explosée, buste auguste où les féministes, bis, identifieront la destruction au quotidien commise par la domination évidemment masculine, pas seulement durant le calvaire judiciaire et incendiaire de l’increvable Jeanne d’Arc. Quelque chose des épilogues de Carpenter John passe ici, je pense au diptyque New York 1997 (1981) et Los Angeles 2013 (1996), achevés via un cynisme de bon aloi. Se soumettre ou se démettre disait Turenne, mettre ou se faire mettre corrige Gainsbourg : Verjeat – applaudissez le patronyme autant évocateur que celui du rival Pignol – refuse en douceur le rôle en replay de sauveur, salue son suiveur sidéré, adieu (mon) poulet, suppression du point d’exclamation du bouquin, file enfin à Montpellier, mutation de promotion à la con. Davantage qu’une guéguerre des sexes, cet héroïsme démuni de virilisme paraphe au final la fatigue existentielle d’une profession et d’une génération. La condition policière, quelle misère, semble résumer le dialoguiste, moins mélenchoniste que réaliste. Le « devoir », l’« honneur », ce genre de genrées valeurs, paraissent à présent démodées, dotées de dangerosité, ou alors caricaturées selon le juge « Saint-Just » de Rich. Chez Melville & Peckinpah, un peu chez De Palma (L’Impasse, 1993), le topos de pathos manie la mélancolie, la survie, le sursis, décrit un royaume de fantômes, de morts-vivants revenant, revivant, se souvenant, se suicidant, condamnés à céder leur place à des ersatz. Chez Veber associé au solide illustrateur Granier-Deferre, la tragi-comédie se substitue au mélodrame, le « ragoût haricots » au mâle lamento.
Dans Bande de flics (1977) d’après Joseph Wambaugh, admiré d’Ellroy, Aldrich ausculte une fraternité fracassée, des disciples désenchantés, des hommes tourmentés, au fond pas si différents d’adversaires aussi violents. Dans Adieu poulet, les « politiciens » et les « gangsters » vont de pair, Guiomar ne se marre, les ripoux coursent les voyous, le service d’ordre sème le désordre. « Gestapo » ma non troppo, nid de vipères d’hier, tout ceci semble certes ressortir un brin du bac à sable face au machiavélisme radical du Bouquet d’Un condé (Boisset, 1970), traduction du Lesou du Doulos (Melville, 1962). Demeure un divertissement assez amusant, qu’incarne un casting choral irréprochable, annuaire de cimetière d’un certain cinéma de ce temps-là. La nostalgie active du flic irréductible rejaillit ainsi sur celle du complice fumeur et du contemporain spectateur, peut-être en quête de pères populaires, petit exercice psy de freudienne cinéphilie, alors que Herzog élut Murnau au-dessus du nazisme, que la Nouvelle Vague, peu portée sur le catalogue des Films Ariane, se réclama de Renoir et de réalisateurs américains, en réaction à la production franco-française des années cinquante, considérée figée, étouffante. Le rapport paternel et filial s’avère en vérité réversible, les masques sociaux s’échangent, il faut fissa en finir et ailleurs saisir une seconde chance, loin des bonzes mutiques et des loquaces indics, morale pragmatique du métrage économique.