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L’Évangile selon saint Mars

 Exils # 92 (13/03/2025)

Après quatre années de « boucherie héroïque », voici enfin un film pacifiste, entre utopie et pédagogie : A Trip to Mars (akaLe Vaisseau du ciel, Holger-Madsen, 1918). Ici la science-fiction s’associe au sermon, non pas de manière imposante et menaçante (Le Jour où la Terre s’arrêta, Wise, 1951), mais au sein très sain d’une communauté costumée, remplie de ruralité, de sérénité, sorte d’antidote aux sectes suspectes de The Wicker Man (Hardy, 1973) ou Midsommar (Aster, 2019). Ces Martiens aux traits humains s’avèrent végétariens et leur justice rapide tout sauf expéditive. Pas de prison à l’horizon, sinon en mentale incrustation, plutôt une barque dépourvue de Charon, une « île des morts » plus ancienne que celle du spécialiste Zelazny, où apprécier en compagnie de spectres immaculés un preste « happiness of death ». Pendant le premier des deux uniques travellings du titre, la caméra s’avance vers un écran dans l’écran, un film dans le film, afin d’informer, d’édifier, les visiteurs énervés – coup de feu tiré, oiseau zigouillé, grenade lancée, citoyen touché – et vite (auto)jugés du péché originel et criminel du peuple apriori parfait, leçon de colonisation, de conversion et donc de rédemption. Plus tard, le père de l’explorateur sans peur – « courage et foi », ça va de soi, agenouille-toi – connaîtra la tentation du suicide liquide, capturé en travelling arrière, avant que la Providence et les télégraphistes ne le délivrent du supplice, n’annoncent in extremis le retour du fils prodigue, que sa descendante aussitôt survenue, intervenue, ne détourne sa bouche de la ciguë. Deux miracles ou leurs simulacres surgissaient déjà, puisque la planète tant désirée apparaît, au sortir de la traversée d’une symbolique « endless night of space », William Blake & Jim Morrison s’en délectent à l’unisson, car le cadavre ne tarde à ressusciter, adieu à la culpabilité.

En définitive, disons que le Dreyer d’Ordet (1955) se délocalise, que cette « caverne » mortelle ne ressemble à celle de Platon, davantage à un sas en carton-pâte, un cimetière des éléphants pour sage ancêtre remerciant. Du Danemark à la Suède, il suffit d’un saut de géographie, de silhouettes à contre-jour sur une plaine ou une crête, d’un plan de A Trip to Marsà un autre du Septième Sceau (Bergman, 1957). Lorsque les protagonistes, aux prénoms et patronymes connotés – le professeur Planetaros, son fils Avanti, sa fille Corona, l’adversaire Dubius –, aux lourds cuirs sombres ou en robes blanches légères – et décorées de croix égyptiennes –, antagonisme vestimentaire, ne passent leur temps à s’exprimer via un expressionnisme tempéré, à prier seul ou ensemble, à partir puis revenir, boucle bouclée du voyage et du métrage, ils font du prosélytisme, de la propagande à végétales guirlandes, en chœur et en faveur d’un humanisme non exempt de puritanisme. La « supériorité » – et le salut – de l’espèce de surcroît télépathe, qui pratique un « langage universel » mutique, évite le vin et les conserves, ne saurait en effet se dispenser d’une « danse de la chasteté » exécutée sur un dance floor par en dessous éclairé, déployée en montage alterné avec celles sensuelles ou cruelles du monde immonde de Terriens valant moins que rien. On le sait, l’abstinence carbure à l’obsession, les soi-disant innocents salissent le sexe, les éternels inquisiteurs ne veulent que votre bonheur. À défaut d’être martial, le moralisme martien, de prime abord œcuménique et cordial, pudique et sentimental, dissimule ainsi en sourdine une misanthropie et un hygiénisme – halte à l’alcoolisme, « européen » ou point – hélas plus proches du naturisme annexé par le nazisme que du Christ marxiste de Pasolini (L’Évangile selon saint Matthieu, 1964).

La volonté d’évangéliser, jusqu’à envoyer aux brebis – aux abrutis – forcément égarées une émissaire en forme de missionnaire – la vocation, pas la position – et de sacrifice complice, réponse spirituelle à celui de la science matérielle, s’adresse autant aux célestes voyageurs qu’aux terrestres spectateurs. A Trip to Mars s’apparente alors à un vrai-faux péplum molto catho, un exercice à la saint Jean-Baptiste, dont le réalisme psychologique, épisode de la mini mutinerie produite par la promiscuité, l’ennui, la folie, ne se soucie du réalisme technique, ou atmosphérique, aucune gêne à cause du manque d’oxygène, tant pis pour l’agnostique Kubrick (2001, l’Odyssée de l’espace, 1968). Le recours et le secours résident en « l’amour », laïc ou religieux, l’un e(s)t l’autre, tant mieux. Parmi cette fresque à la direction photographique experte, due au sonore Louis Larsen, visitez l’intérieur de la chambre de la sœur, clair-obscur réussi de bible et de pluie, le cosmopolitisme affiche ses limites, certes un type représente « l’Est », toutefois rien ne vient d’Afrique, malgré sa réputation peut-être demain contestée – impermanence de la connaissance – de berceau de l’humanité. Construit d’un commun accord, l’Excelsior, clin d’œil à Verne (Cinq semaines en ballon), ne perd le nord, rentre à bon port, muni d’une chère messagère – la Marya de ATrip to Mars matrice apocryphe de la Maria idem diplomatique de Metropolis (Lang, 1927), consœur d’ailleurs de La Femme sur la Lune (Lang, 1930) –, d’une solution radicale aux ravages encore frais, non défaits – le film sort en février, le conflit se termine en novembre – de la Grande Guerre, pas la première ni la – der des ders – dernière, Renoir le redira (La GrandeIllusion, 1937).

La neutralité danoise possédait quelques avantages, notamment de permettre pareil tournage, de susciter un succès sans lignée, en salles locales et à l’international, même si la suite des événements historiques contredira tout ce prêchi-prêcha pathétique ou sympa, suivant la perspective critique adoptée, même si la gourmande UFA concurrencera la Nordisk du scénariste – et producteur et réalisateur – Ole Olsen. Placé sous le signe et l’égide de Colomb & Dante, le film au fond et au final s’en fiche, se cristallise au moyen de mains et d’une tête masculines posées avec douceur sur des seins féminins, alors qu’alentour, en rime au départ du couple d’amour, les fleurs s’éteignent, s’en reviennent vers « le sommeil », tandis que le sceptique opportuniste se fait in fine foudroyer, sur une éminence enténébrée, condamnation divine au romantisme gothique.


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