Piano ou piolet, jeune fille en fleurs et poésie refleurie…
Pierre Jansen ? Claude Chabrol, bien sûr, et ses partitions « accidentelles » parfaitement « névrotiques » (très rarement drolatiques) en accompagnement idoine de trajectoires individuelles à perdre le souffle et la raison (Landru, Les Biches, La Femme infidèle, Que la bête meure, Le Boucher, Alice ou la Dernière Fugue, Violette Nozière). S’il revint très vite, jusqu’à la renier, de sa formation allemande dans l’enclave (voire le bunker) de la musique dite contemporaine (celle que personne n’écoute, celle où le chef d’orchestre, de ce qu’il en reste, en tout cas, doit faire signe au public élitiste, momifié, pour savoir quand applaudir), cet homme affable, souriant, « bon vivant », décédé l’été dernier, l’utilisa à bon escient dans la peinture intransigeante, à rebours des pratiques (le thème, la mélodie, la tonalité) et des usages (majoritairement commerciaux) habituels, de paysages sonores et intérieurs innervant la meilleure part du corpus chabrolesque (il faut itou saluer le frémissant Beau Serge, le « fantastique » satirique des Fantômes du chapelier, fou, forcément, ou Betty, beau mélodrame, émouvant portrait de femme(s), avec un accessitaux plaisants mais imparfaits Poulet au vinaigre, Inspecteur Lavardin, Une affaire de femmes et La Cérémonie), sa propension à se moquer en bourgeois de la bourgeoisie enfin équilibrée par une plongée dans les eaux troublées de la violence, de la folie, de la sexualité puis de la mort. Jansen œuvra encore pour Francis Girod, Serge Moati et Pierre Schoendoerffer (La 317e Section), cependant sa collaboration avec l’auteur de Madame Bovary (on préfère, en « hérétique » cinéphile et littéraire, la version de Minnelli ou de Lean avec sa Fille de Ryan) demeure première et conséquente (le gothique à la Bach de La Décade prodigieuse séduit aussi), en surcroît d’un consistant « catalogue » de musique « pure ».
Avec cette cantate (pas celle d’Arthur Benjamin dirigée par Bernard Herrmann himself dans L’Homme qui en savait trop, ni celle du Phantom du Paradise dédiée à Phoenix, certes) portée par le piano de sa compagne Colette Zerah (il en existe une version orchestrale), sa Clara Schumann à lui, comme l’ose qualifier malicieusement François-Xavier Szymczakà la radio, le compositeur met en musique des poèmes de jeunesse de son ami Michel Delporte, figure de la culture nordiste d’après-guerre. Prévenons d’emblée les curieux pressés : un effort s’avère nécessaire pour se glisser dans les notes stravinskiennes tissées aux mots simples, assez évocateurs, d’une âme qui se cherche et s’appelle à l’orée de sa vie, dans l’écume rouge et grise de l’Occupation balayée par le cycle des saisons en prétexte existentiel (on songe au plus « accessible » Gaspard de la nuit de Ravel, artiste révéré par PJ). Heureusement (pour nous), notre tendance au lyrisme (que Jansen détestait, on lui pardonne), à l’architecture musicale précise, suprême dans sa sensualité immédiate et mélancolique (Tom Jobim, disons, d’ailleurs épris de Chopin, histoire de rester sous le soleil exactement), ne nous empêche point d’également admirer Alban Berg, l’écoute de Wozzeck ou du Concerto à la mémoire d’un ange nous irritant nerveusement, nous bouleversant aisément. Cette « ouverture » (de notre esprit, de nos oreilles) nous donna donc l’occasion d’apprécier, tandis que le soir du samedi tombait sans bruit derrière les hautes fenêtres blanches, le voyage en terre étrangère et familière, flanqué du timbre sincère d’Odile Descols et de la « récitation » incarnée, respectueuse et amusée de Jansen lui-même, double voix d’outre-tombe (re)venue à nous grâce à l’amie mélomane. On n’écoute pas ce disque entre copains, entre deux conversations, au coin d’une table ou en écrivant/lisant : il exige de l’auditeur une attention volontairement soutenue, un accord de cœur et de conscience tout sauf « gagné d’avance ». Alors, parvenu sur des cimes autrefois gravies par Zarathoustra, il appréciera peut-être le panorama singulier, riche, étrange (Hitchcock s’y cache ?) d’un musicien à ressusciter au cinéma (il s’en lassa) et en dehors, dans la neige chaleureuse d’un hiver sensoriel, sentimental, solaire et finalement empli de mystère.