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Kitty und die große Welt : Hitler, connais pas


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Alfred Weidenmann.


Derrière la caméra, personne, à part un ancien soldat de la Wehrmacht doublé d’un dispensable propagandiste formé aux Jeunesses hitlériennes, cf. Junge Adler (1944). Devant, un duo déjà célèbre, à peine sorti de Sissi (Ernst Marischka, 1955), qui va plus ou moins vite briser la lisse, sinon suspecte, suavité de sa persona, au cinéma et au-delà. Durant une décennie, des deux côtés de la frontière, Romy Schneider va se repentir du passé de son pays, en sus de celui de sa mère, l’autrefois fameuse Magda, muse de Max Ophuls selon l’aimable Liebelei, distribué là-bas en 1933, date fatidique, intime de Martin (Bormann), tellement familière des propriétaires, dénommés Adolf & Eva, d’une vile villa sise sur les hauteurs de Berchtesgaden, qu’elle s’y fera même inhumer, mazette. Le Train (Pierre Granier-Deferre, 1973), Le Vieux Fusil (Robert Enrico, 1975), Portrait de groupe avec dame (Aleksandar Petrović, 1977) puis La Passante du Sans-Souci (Jacques Rouffio, 1982) valident cette volonté valeureuse, au risque du pénible pathos, de la bien-pensance, des mauvais films, à l’exception du rape and revengeflanqué de Philippe Noiret, sommet à succès mésestimé, souvent bouleversant. Mieux ou pire, Rosemary Albach en vint à se persuader d’une liaison de sa génitrice avec l’impuissant patenté, le peintre raté, recalé, le vrai-faux sosie de Charlie Chaplin, poussa le vice vertueux jusqu’à prénommer ses gosses David & Sarah, Mazel Tov. N’oublions pas de mentionner Ludwig ou le Crépuscule des dieux(1972), brève variation révisionniste de Luchino Visconti au sujet d’Elisabeth d’Autriche, ni L’important c’est d’aimer (1975) où, certes, Sissi ne se subissait pas de sodomie à sec mais chevauchait dès le début, hardeuse alimentaire à moitié nue, en sang, en larmes, un étalon allongé, étêté, de blue movie réinventé, vintage, dirigé à la dure par un alter ego féminin du taquin Andrzej Żuławski, de quoi vous récompenser d’un César nullard, de quoi traumatiser des milliers de cinéphiles, dont l’auteur de ces lignes.


En matière de traumatisme, Karlheinz Böhm s’y connaissait, maltraité par son papounet de ciné dès Le Voyeur (Michael Powell, 1960), transformé en tueur en série obsédé par l’objectif au sein de ce chef-d’œuvre britannique du cinéma méta, du cinéma tout court, œuvre à la fois pionnière et suicidaire. Ensuite, il collabora, terme connoté, okay, à quatre reprises avec Rainer Werner Fassbinder, fossoyeur vivifiant de tout ce que Kittyund die große Welt représentait, allez, citons par exemple le superbe SM hétéro/homo de Martha (1974) + Le Droit du plus fort(1975). Désormais, pour l’instant, nous voici en 2019, à visionner en noir et blanc le master télévisé, à la version française d’époque réverbérée, drolatique, appréciez la contrefaçon d’accent helvétique, d’un film en couleurs de 1956, diffusé dix ans plus par la ZDF, exhumé en décembre dernier par les programmateurs poussiéreux d’ARTE. Si le négatif semble perdu, le spectateur contemporain ne se perd point, reconnaît rapidement un ersatz renversé de l’éventé Vacances romaines (William Wyler, 1953), (re)lisez-moi ou pas, la manucure et le ministre substitués à la princesse et au reporter. Pas que, puisque les scénaristes, remarquez Herbert Reinecker, nazi notoire, père-plume stakhanoviste de l’Inspecteur Derrick, relisent le scriptde Kitty und die Weltkonferenz, ouvrage de 1939, encore une date importante, dû à Helmut Käutner, signataire de l’intéressant Le Général du Diable(1955), abordé ailleurs sur ce blog. L’argument mineur, mimi, aux origines scéniques, d’une conférence pacifiste internationale ne pouvait que déplaire à un certain Josef Goebbels, qui paraît-il le délogea illico des salles, ulcéré par ses supposées sympathies insulaires. Le remake congédie la moindre controverse, accomplit un surplus, fait table rase du pire passif, ouf.


En Suisse, royaume démocratique, placide, apaisé, aseptisé, des chocolatiers, des horlogers, raillé par Orson Welles grimé en Troisième Homme (Carol Reed, 1949), on s’autorise à la neutralité traditionnelle, on éteint sans tarder la radio stressante, stressée, qui diffuse au milieu du salon de coiffure pour VRP ou de la résidence de luxe, sorte d’ambassade à rossignols, des infos à propos d’Europe, de guerre froide et autres actualités en effet refroidissantes. Dans l’écrin serein, estival, hédoniste, d’une ville de banquiers, l’eugéniste Genève, jadis visitée par votre serviteur faussement marxiste, quoique, se déroule ainsi une tragi-comédie politique et ludique, amnésique et sentimentale. Cependant le souvenir de Yalta resurgit, cette fois-ci en mode amusant, amusé, poignée de mains démultipliée des journalistes assis à la place des émissaires, réglons la lumière, comprise. Motif mis en abyme, le silence du témoin mime la nation muette, tandis que les mensonges étatiques, médiatiques, se manifestent via un petit geste explicite et paternel, d’initié, de la main, amen. Kitty & Son Excellence partagent un sauté riquiqui au prix à couper l’appétit, des crevettes à la bonne franquette, de surcroît gratuites, car, bien entendu, l’on ne prête qu’aux riches, surtout aux abords du lac Léman, mes chers enfants. Si les classes se côtoient, fricotent ensemble, un minot en canot à Malraux, le ponton, pas l’auteur de l’humaine condition, réclame son pécule, laisse en plan l’émule de Folco Lulli dans Le Grand Restaurant(Jacques Besnard, 1966). Ah, le spleendes diplomates surmenés, Kitty/Romy, dans sa robe aussi Vichy que la capitale de l’infamie hexagonale, s’en fiche, ne s’en soucie, le dissipe fissa par son charme irrésistible, nubile, jamais pourri de mièvrerie, un miracle en soi, une preuve éclatante de son talent éclatant, très rayonnant.



Plus tard, consacrée-écœurée par les pâtisseries autrichiennes en costumes à la con, l’actrice irremplaçable reniera tout cela, achèvera sa carrière à l’écran sur un double rôle désarmant, mater dolorosaà laquelle on demanda, diantre, d’éprouver en replay la douleur vraie, indicible, de perdre un enfant. Son personnage solaire, sincère, guère stupide, gentille fifille de musicien de fanfare, illumine ce métrage méconnu, gentiment médiocre, doté du savoir-faire transparent d’un solide artisan allemand, écrirait un critique paresseux, expéditif, peu poétique. Résumons, repassons une couche maousse : rien de plus politique qu’un film apolitique, rien de plus révélateur qu’un évident divertissement, rien de plus éloquent qu’un conte consensuel perclus d’œcuménisme, n’en déplaise aux myopes ou aux lobotomisés. Invité de la Cinémathèque française, le francophone Wim Wenders déclarait récemment que le cinéma allemand cessa d’exister pendant une vingtaine d’années, disons de 1945 à 1965, que sa renaissance suivit son sien essor, celui de ses confrères nommés Fassbinder, Herzog ou Schlöndorff. S’il mérite d’être nuancé, ce point de vue personnel, générationnel, transposable en France, réévaluons, pourquoi pas, des années 50 injustement jugées rances, avant l’avènement d’une vague pas si nouvelle, agréable et discutable, se voit ici confirmé, presque caricaturé. Néanmoins, l’inanité de la trame au filigrane dramatique, conclue par une fin heureuse ironique, l’absence intempestive de l’intéressé in extremis malicieuse guérisseuse de crise, en dit beaucoup sur le non-dit. La mélancolie liminaire du représentant des Affaires étrangères de Sa Majesté, bien campé par l’impeccable, au propre, au figuré, O. E. Hasse, dépourvu de toute once d’anglicité, tant pis, croisé chez Friedrich Wilhelm Murnau (Le Dernier des hommes, 1924), Alfred Hitchcock (La Loi du silence, justement, 1953) ou Henri-Georges Clouzot (Les Espions, 1957), s’explique par un sentiment d’impuissance, se formule sous la forme d’un aveu sur l’inévitable.


Il suffit d’une ligne de dialogue à l’habile Alfred Weidenmann pour se défausser de sa faute, individuelle et collective, pour la rejeter sur autrui, en l’occurrence un membre du Royaume-Uni. Dans Kitty und die große Welt, il ne s’agit plus seulement d’exorciser la plus infime réminiscence du passé proche, de l’insanité généralisée, mondialisée, quitte à provoquer la taciturne et linguistique colère des survivants, des descendants, renvoyons vers Amnesia (2015) de Barbet Schroeder, il convient de faire, de filmer, comme si l’Allemagne n’existait plus, comme si elle se trouvait définitivement hors-champ. La litote diplomatique s’accorde à la disparition de la figuration, la romance rurale remplace la démence citadine, le soleil du néo-réalisme classé rose conjure au cours de quatre-vingt-dix minutes rythmées, languissantes, les spectres prophétiques de l’expressionnisme. Stupéfait, on assiste à une mise à jour moderne des Sissiet consœurs, à leur délocalisation à l’aube de l’estampillée société de consommation, âge d’or qui endort à coup de frigo-fourneau de photo, fichtre, propice à ravir une ménagère munie de son fer (à repasser). Commencé en documentaire, en travellings latéraux d’airs nationaux, en Marseillaise en catimini, en parapluies hitchcockiens pris en plongée, l’opuss’oriente vers la villégiature, l’inculture, le choc ad hoc et amorti des cultures, l’affrontement émollient, le mariage (le cinéma) d’un autre âge. La valeur (pré)historique supplante la vanité cinématographique, vire à la sociologie, à l’apologie du déni, à un blanchiment par omission, par téléportation. Bien sûr, les citoyens raciniens se garderont de donner d’arrogantes leçons de morale à l’industrie et au public germaniques, la production franco-française écartelée entre la lucidité corrosive, universelle, du Corbeau (Clouzot, 1943), de Panique (Julien Duvivier, 1946), l’héroïsme autarcique, un brin risible, de Bataille du rail (René Clément, 1946), de L’Armée des ombres (Jean-Pierre Melville, 1969), les portraits à charge, immédiatement scandaleux, du Chagrin et la Pitié (Marcel Ophuls, 1969) ou Lacombe Lucien (Louis Malle, 1974).



Et ne parlons pas, please, des « événements d’Algérie », longtemps écartés de leur représentation, pas uniquement fictionnelle, hors les essais stimulants d’un Jean-Luc Godard (Le Petit Soldat, terminé en 1960, décensuré en 1963) ou d’un Alain Cavalier (L’Insoumis, 1964), liste rétrospective tout sauf exhaustive. « L’image manquante », peut-être irreprésentable, salut à Claude Lanzmann, de la Shoah nous concerne, nous regarde (nous condamne) tous, ou alors elle se réduit à une imagerie lucrative de sous-genre lacrymal. Toutefois, même à Auschwitz, impensable capital, sens duel, à responsabilités illimitées, planétaires, qui ne devait pas arriver, qui pourtant arriva, réentendons Hannah Arendt, l’inhumaine humanité ne démissionna pas tout à fait, elle sut, espérons-le, à côté des atrocités systématisées, conserver des sourires, de la tendresse, de la résistance, de l’espoir. Alfred Weidenmann, davantage que n’importe qui, savait ceci, pouvait décider d’en saupoudrer un peu sa sucrerie jolie, assortie d’un sympathique et maladroit correspondant de la Pravdaépris de Coca-Cola, boisson capitaliste de trio express, pas si ensommeillé, à la Jules et Jim (François Truffaut, 1962), en faire par conséquent un dessert doux-amer. Il préféra, chacun comprendra pourquoi, s’en tenir à du festif, à de l’inoffensif, se reposer sur ses interprètes, sur le cadre dépaysant, en pavé, en studio, à vélo, de sa sage Cendrillon de valse d’accordéon. Un invisible navet à déconseiller aux diabétiques ? Un document de son temps, à conseiller aux amis de Romy, adoubez bibi, et aux adeptes d’un ciné de la Cité, a fortiori lorsqu’il privilégie l’imaginaire, la légèreté, l’insouciance, moyens majeurs, en réalité, de s’ancrer dans le réel, la gravité, la conscience, historique et politique, même sous le déguisement distrayant et sidérant du contournement et de l’inexistant.



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