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Nox : Effraction


Fumer nuit à la santé, filmer embellit la nuit…


En surface, ce troisième essai repose sur une astuce de scénario ; en profondeur, il illustre une polysémie de Gaffiot : nox signifie nuit, obscurité, par extension sommeil, mort, aveuglement, au propre, au figuré. Nox(Sheikhalishahi, 2019) ressemble à une réponse écourtée de moitié à Vesper(Sheikhalishahi, 2017), renverse la perspective, reformule le motif de la fuite psychique, de la cellule à domicile. Si l’aventure stellaire s’achevait sur une sorte de sérénité suicidaire, suicidée, le voyage immobile, en automobile, du sénateur trahi, ruiné, pas réélu après six ans d’exercice, le pauvre, se termine sur une note d’infernale ironie, un sourire de dérision en surplomb, une respiration de frustration, de liberté emprisonnée, empoisonnée, adroitement mixée/mise en valeur sur la bande-son. Auparavant avatar transgenre de Marat descendu au silencieux, Michelle ressuscite, surcadrée derrière sa vitre, sexy et sournoise, femme fatale de film noir et sirène inextremis moqueuse, victorieuse, au-dessus de sa piscine peu magnanime. Dotée d’un rôle mutique, Agnès Godey demeure éloquente, en sus d’être charmante, surtout parmi sa mousse maousse. Ici, a fortiori lorsqu’elles jouent les complices d’un cambriolage assorti d’un assassinat, les femmes se jouent du remake masculin, des sombres et stériles desseins du mari fort marri, participant, impuissant. Interprétée tongue-in-cheek par une Brigitte Millar aux faux airs de Robert Blake transformé en Homme Mystère par le Lynch de Lost Highway (1997), dénommée, à la Nabokov, Claire Winters, l’assistante en effet refroidissante et opaque du politicien scindé s’amuse en regard caméra sur le lieu du crime cossu, comme un signe de reconnaissance ludique, tacite, avec la vraie-fausse victime désormais épargnée par la sœurette suspecte, aux vêtements enténébrés, de l’iconique Charlotte Corday.


L’épouse savoure ainsi son verre tandis que l’époux boit celui de ses soucis jusqu’à la lie. Que reste-t-il à Marlowe, au patronyme de polar d’antan, de dramaturge faustien, sinon la capacité de se raconter une histoire masturbatoire, d’y presque croire, d’ouvrir à part soi, au profit du spectateur, for your eyesand earsonly, son cœur et son coffre-fort, de revêtir sa panoplie en cuir d’agent secret à pied, coursé en drone, en replay, de tueur de giallo trop pro, aux gants craquants ? Substituer le rêve éveillé à la réalité intolérable, le ciné sait faire, l’esprit aussi, merci, hommage aux otages, et Nox, appréciez l’accroche de l’affiche, à double sens, se situe au sein d’une conscience au carré, métrage mental donc cartographie d’une psyché. À nouveau Keyvan parvient à créer un climat, disons à somatiser un argument théorique. Rapide, épuré, majoritairement ressenti, exécuté, en caméra portée, l’opusde poche ne s’appesantit pas, dispose d’une essentielle sensualité, pas seulement celle de Mademoiselle Godey, sa personapar ailleurs associée à l’humidité, tradition de représentation, pensez à Botticelli ou Brass (La Clef, 1983). Odyssée individuelle de dessillement, de guerre expressentre des amants médiatiques, Nox comporte une aube abordée, fait finalement la lumière sur son amer mystère matriarcal. Maniaque, cosmopolite, à l’image, sans doute, du principal intéressé, Marlowe, que porte un Passmore inspiré, puissant, discret, traverse une tonnelle nocturne tel Orphée, pas pressé de retrouver son Eurydice remplie de malice, fumeuse acrimonieuse, nonobstant la déclaration légaliste, hygiéniste, des credits. Jamais fumeux, moins encore fumiste, plutôt taiseux, portraitiste, le film met au jour un désamour, un fantasme en mineur, un songe issu du mensonge. Vesper s’apparentait à un conte de fée défait, Noxprocède du lapidaire poème, du vivant requiem.


Il existe pire que le trépas, plus redoutable que l’au-delà, Marlowe le découvre à ses dépens, vite rattrapé par le réel, reconduit au bercail de funérailles, à sa bicoque en toc, funeste foyer de fac-similé US. La belle Michelle l’attend patiemment, avec la patience éternelle d’un ange cruel, d’une Némésis amie des Gauloises, geôlière qu’il pourra, en pensée, occire autant de fois qu’il voudra, qu’il ne saurait soumettre pour de vrai, enfin s’en débarrasser, grand enfant touchant via son immaturité, innocent et néanmoins grondé pour son deathwish en vase clos psycho. Au bout de la nuit se lève le soleil et l’on souhaitera, en guise de provisoire coda, au cinéaste assuré de continuer sur sa lancée stylisée, de l’orienter vers davantage de charnel, de factuel, de mélodrame à fleur de peau et d’âme, de mec ou de dame. En l’état, Nox incite au salut, invite à la bienvenue, évite la redite ou la déconvenue, s’apprécie en haïku assez délocalisé, assombri, éclairé, dégusté en une gorgée. Un alcool fort, de mise à mort ? Une absinthe d’absente, une complainte de malveillance-résistance.



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