Exils # 107 (12/05/2025)
Pour Patrick
Dans Survivre à Hollywood, titre programmatique, le cher Fleischer se souvient de l’oraison de Robinson, de l’émotion de Heston, qualifie le film, avis d’Eddy, « de premier ordre », doté d’une histoire « qui a dufond ». La valeur de Soleil vert (1973) se situe ici aussi, histoire d’amour entre deux hommes non plus amicale et homosexuelle (Ben-Hur, Wyler, 1959) mais cette fois-ci filiale et paternelle. Plus proche du « charognard » coriace de L’Inspecteur Harry (Siegel, 1971) que des serviteurs dessillés des sinistres sociétés du Meilleur des mondes, 1984, Fahrenheit 451, émules de Paul sur le chemin de Damas, le « détective » indocile et anti-émeutiers affamés se nomme Thorn, patronyme explicite de déchirement piquant, tel le père infanticide, avatar d’Abraham, de La Malédiction (Donner, 1976). En « 2022 », à New York la glauque, chacun se fiche de l’Antéchrist, du maléfique messianisme, essaie de survivre (bis) ou profite du confort, matériel et sexuel : quelques femmes font partie des meubles, de manière littérale, « mobilier » maltraité ou énamouré, fi du féminisme des années soixante-dix. A contrario, d’autres dames âgées constituent un obscur « échange suprême » de clairvoyant comité intellectuel, comme en écho aux « book people » de Bradbury. Tandis que le générique historique et rythmique retrace le désastre écologique, la célèbre séquence de l’euthanasie en musique classée classique, à ravir Emmanuel « Tony Montana » Macron, donne à (re)voir un paradis perdu, ressuscité in extremis durant les closing credits, petite séance de ciné allongé, pour mourant et sur grand écran, entre L’Endormeuse de Maupassant et le trip cosmique de Kubrick (2001, l’Odyssée de l’espace, 1968).
Il faut en définitive ce sacrifice et ce suicide de vieillard sémite et nostalgique afin de confirmer l’épouvantable vérité, à savoir que le capitalisme conduit au cannibalisme, Romero n’en démordra pas, surtout autour de la tour spectaculaire et sécuritaire de Land of the Dead (2005), les cadavres évacués via des camions-bennes à la Johnny Jane (Je t’aime moi non plus, Gainsbourg, 1976) & Cronenberg (Rage, 1977) transformés fissa en tablettes suspectes, fabriquées au creux d’une usine morbide en rime à l’homonyme de L’Aile ou la Cuisse (Zidi, 1976). Avec sa casquette anachronique de soldat nordiste, l’individu condamné fait à sa façon sécession, l’estimable cinéaste immortalise en image arrêtée sa main levée, ensanglantée, de révolutionnaire emporté presto sur une civière. Car la coda se déroule parmi une église, une mission victime de surpopulation, qui rappelle celles de Vidéodrome (Cronenberg, 1983) et Invasion Los Angeles (Carpenter, 1988). Blanc et blond, Thorn croise donc au cours de son parcours du combattant alertant deux Noirs victimes du cynisme et du désespoir. Ni le supérieur ni le prêtre ne pourront l’épauler, l’avertissement ultime sans doute promis à être autant étouffé que feu Cotten exécuté au croc de boucher, notable plus responsable que coupable, soudain submergé par la mauvaise conscience et la repentance. Après les gorilles de La Planète des singes (Schaffner, 1968) et les vampires du Survivant (Sagal, 1971), apocalypses lucratives, l’intense Heston, meilleur ennemi du moralisateur Michael Moore (Bowling for Columbine, 2002), affronte les anthropophages et le naufrage d’une conspiration à politiques et médiatiques ramifications, dépourvue d’horizon et de rédemption.
Si des « fermes » font office de forteresses invisibles, la réalité du récit ressemble à un cauchemar éveillé, au sein malsain duquel se réveille, au propre et au figuré, un policier capable de pleurer, de respecter des prostituées. Parler de « dystopie », mot d’aujourd’hui, rassurante catégorie de future et funeste prophétie, ne suffit, assourdit le réalisme d’un thriller majeur, (sur)cadré au cordeau, la large surface du Scope ponctuée de discrets split screens effectués à coup d’objectif bifocal, De Palma idem le maniera, et le dirlo photo Richard H. Kline, régulier partenaire de Richard Fleischer, éclairera Furie (1978), et l’assassinat en pleine foule anticipe en outre celui de Scarface (1983). Calibrage habile d’un livre a priori moins épris d’eucharistie impie, dégraissé davantage que désenchanté, non démuni d’humour noirissime, Soleil vert s’avère un documentaire daté, déjà de trente-six mois dépassé, « l’ingénierie sociale » substituée à « l’ingénierie environnementale » d’un « consultant » universitaire, de l’épuisant présent, pseudo-pandémie made in China ou pas. Face au « narratif » de demain et de jadis, l’enquête existentielle et cruelle du flic rebelle, qui rote et se déloque, paie de sa personne, vocifère au désert, affirme sa foi dans le cinéma, ses puissances didactiques et ludiques, même au milieu d’une firme aussi hypocrite et puritaine, pléonasme, que la MGM, certes pas tout à fait la même que celle de Mayer, dispensateur de pilules, antidépresseurs et somnifères style Matrix (Lana & Lilly Wachowski, 1999), à l’addict Judy Garland et « en même temps », locution signifiante de présidentielle « novlangue », soumis à l’infamie maccarthyste, cf. Une Française à Hollywood de Leslie Caron.
Chez Minnelli, salarié de Louis B.,
d’ailleurs collaborateur du directeur artistique Edward C. Carfagno, le rêve
réenchantait le réel, permettait d’accéder à un royaume éphémère, à un
magnifique cimetière, Cyd Charisse en irrésistible Eurydice (Brigadoon,
1954). Chez Fleischer, on dort hors du lit, mort en sursis, une cuillère de
confiture de fraises trahit le traître, le bras dressé du bruyant blessé évoque
les poings iconiques de « pouvoir noir » d’un tandem d’athlètes
olympiques en 1968, symbolise à lui seul une dissidence et une résilience
encore et plus que jamais d’actualité. Il s’agit en sus, retour à l’incipit
de cet article, boucle bouclée de pedigree, d’un requiem
personnel et d’un familial hommage, puisque le fameux animateur Max décédé pendant
le tournage. Parfait contemporain de féroce Malin, l’éprouvant L’Exorciste
(Friedkin, 1973), écrit par le meurtri Blatty, autorisera d’autres fils, le
curé du script, le romancier scénariste, à verser d’autres larmes plus
amères, à la Fassbinder, sur leur mère, sa pédophobie polaire à l’opposé complémentaire
de l’imposture caniculaire de Soleil vert…