Exils # 108 (13/05/2025)
Mélodrame familial et « racial », Le Vent de la plaine (1960) paraît la réponse de Huston à La Prisonnière du désert (1956) de Ford, itou adapté du spécialiste Alan Le May. Les titres d’origine « annoncent la couleur » – de peau : chez le second John, il s’agit de chercher (The Searchers) une Blanche enlevée ; chez le premier, on ne peut pardonner (The Unforgiven) à la « brune » son pedigree. Voici un voyage inversé, la quête de Wayne remplacée par le débarquement des Indiens et le retour de Lancaster, vrai-faux demi-frère, aussi épris de sa sœur que l’incestueux Montana de sa Gina (Scarface, De Palma, 1983). Au cours du climax nocturne et communautaire, presque procès à pendaison intempestive, deux récits des origines, de la faute originelle, se racontent et s’affrontent, Burt affabule, autant véhément que ElmerGantry le charlatan (Brooks, 1960). Le vieillard spectral, à cheval et avec sabre, fonctionne donc comme une némésis, l’incarnation d’une mauvaise conscience partagée, décuplée par un cadavre supplémentaire, celui du fils d’un impuissant partenaire en affaires. Dès le début, l’étalon agité, immaculé, en plein air, cristallise le conflit identitaire, une croix paternelle à l’épitaphe explicite assombrit le soleil d’éden et l’espace paradisiaque, à la vache et non plus au bœuf sur le toit, les Kiowas pas cons conduiront en conclusion le troupeau au même endroit. La dernière séquence, consacrée à quatre personnages pris au piège et au siège d’adversaires en surnombre, déterminés, massacrés, leur signe de paix volontairement outrepassé, puisque premier sang versé par le puceau contrarié, constitue en clair une victoire à la Pyrrhus, les survivants délestés de la menteuse et malheureuse maman sortent des ruines et du tombeau, lèvent la tête vers le ciel, les volatiles en V, esquissent un sourire, la vie se poursuit, sans doute ils déménageront, ailleurs s’installeront et se marieront. Au sol, aucun « Peau-Rouge » ne bouge et le calme de l’incipit ressemble au silence d’un cimetière.
Entre ces deux moments de boucle bouclée, de tranquillité saccagée, Rachel se regarde dans un miroir, se voudrait indienne, néanmoins il ne suffit de se maquiller, de s’en aller son « peuple » et son frère au teint cuivré retrouver pour se réinventer aussitôt squaw. Épousailles et funérailles, liens du sang et liens du cœur, héritage de l’outrage et vigueur de la rancœur : sans succomber au psychologisme de psychodrame des Misfits (1961), notre cinéaste manie tout ceci, examine un cas de racisme et filme un secret de famille, la symbolique extension de la spoliation des colons, l’enfant à la terre équivalant. Ces « désaxés » enracinés, au labeur de « cinq années » réduit en poussière enflammée, se voient traités selon une renoiresque équité, à chacun ses raisons, bonnes ou non. Co-produit par le directif Lancaster, guère à l’écoute du réalisateur, bien moins gay-friendly que Les Chasseurs de scalp (Pollack, 1968) et crépusculaire qu’un autre Unforgiven (Impitoyable, Eastwood, 1992), Le Vent de la plaine, n’en déplaise au director qui détesta le tournage et le résultat, revisite avec allure, beau boulot du dirlo photo Franz Planer, souvent au service de Miss Hepburn, et modestie une imagerie et une mythologie, au révisionnisme source de manichéisme. La seconde chance de « l’échange » de progéniture pouvait jadis s’accomplir, les hommes de maintenant pourraient cesser de « s’insulter », caméo car écourté au montage de John Saxon en improbable « Johnny Portugal », apprendre à se respecter, coexister sans s’exterminer. Le scénario du blacklisté Ben Maddow refuse ici de céder au cynisme du Trésor de la Sierra Madre (1948), parcours et projet capitaliste in extremis capoté. Ni O’Hara à Atlanta (Autant en emporte le vent, Fleming, 1939), ni Natalie Wood divisée, amnésique désormais ramenée à domicile, Rachel, telle Audrey dans la vie dite réelle, sur le set blessée, actrice à corset, ne désespère, persévère, défait le frère de chair, se sépare d’une part d’elle-même, acte de survie cruel et existentiel.
Le portrait nuancé, un peu longuet, mérite en définitive quelques lignes laudatives, assorties d’un salut à la fragile et fortiche Lillian Gish, plus mélomane, ah, la « magie » de Mozart, mais pas moins à main armée que la mémorable matriarche de La Nuit du chasseur (Laughton, 1955), encore un conte très américain d’orphelins (in)soumis au lourd destin.