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"La Ruée vers Laure" : deux ou trois choses que l'on sait de Laure Marsac


Politique des acteurs, et surtout des actrices…


Revue récemment, de façon trop brève, hélas, dans le diptyque TV de Josée Dayan, Entre vents et marées, qui rendait justice au romantisme de la côte bretonne, à défaut d’autre chose, Laure Marsac nous apparut, telle l’héroïne onirique de Verlaine, « ni tout à fait la même/Ni tout à fait une autre ». Ses traits désormais ornés d’une étrange et touchante beauté, celle des blessures et des joies adultes, de l’expérience du monde et de la traversée d’une vie, elle parvient à conserver sa douceur blonde, l’intensité de son jeu et de sa voix (surgissent, inopinées, quelques correspondances avec une certaine Sophie Marceau), sa part d’enfance inguérissable et irrésistible, la variété de son registre, aussi, doublement à l’aise dans la légèreté ou le drame, toutes ses qualités cristallisées avec bonheur dans l’ampleur élégante et la violence sèche de son patronyme, en écho à la caresse et à la cravache du nom de Marlene Dietrich selon Cocteau…


Nous la découvrîmes à la TV, ce qui boucle la boucle, dans L’Enfant des loups (1990), le beau téléfilm médiéval, fantastique et féminin (voire gentiment saphique) en trois parties de Philippe Monnier, d’après Régine Deforges, où elle incarnait une sorte de Princesse Mononoké ou d’Hélène Grimaud avant l’heure, mais sans esprit sylvestre ni piano, dans l’univers « hystérique » d’un couvent. Révélée à quatorze ans par Doillon dans La Pirate, pour lequel elle reçut le fameux César du meilleur espoir féminin, cette comédienne accomplie s’illustra ensuite chez Patrice Chéreau (La Reine Margot), Neil Jordan (Entretien avec un vampire), Jacques Rivette (Secret défense), Guillaume Nicloux (La Clef) ou Jean-François Richet (L’Ennemi public n°1), avant Valérie Donzelli (La guerre est déclarée). Sa filmographie télévisée comporte plusieurs apparitions dans des séries policières ou non – Docteur Sylvestre, Maigret, Les Cordier, juge et flic– qu’elle éclairait de sa frêle et remarquable présence. On la croise encore dans le clip de Foule sentimentale d’Alain Souchon, en bel ange lynchien (tendance Laura Palmer) face au chanteur avec ses faux airs de John Merrick. Au théâtre, elle donna corps aux personnages de Shakespeare, Musset, Anouilh et Tennessee Williams. Un long métrage assez court (70 minutes) intrigue plus qu’un autre dans ce parcours sans fautes, entre cinéma d’auteur, séries dites populaires et scène classique : Le Quatrième Morceau de la femme coupée en trois, autoportrait drolatique et tendre, fable sur le passage à l’âge adulte (avec la conduite automobile pour métaphore), à simplement se baser sur sa bande-annonce, qu’elle écrivit et où elle se dirigea en 2007, à l’occasion duquel elle fit également de très justes déclarations – comment diriger une enfant devant une caméra, comment réinventer le temps multiple au cinéma, comment chercher cette part de beauté, de grâce, en chacun, ou presque, d’entre nous…           


L’actrice (et le lecteur) nous pardonnera, sans doute, d’emprunter le titre de cet article à une production Marc Dorcel, jadis portée par Laure Sainclair, étoile éphémère et fragile vite disparue au ciel obscur du X hexagonal, lui-même déjà clin d’œil au classique de Chaplin. Le cinéma, art des fantômes vivants, ou l’inverse, permet de s’approcher au plus près du visage-paysage idolâtré par Dreyer, d’associer le grain d’une peau, féminine ou masculine, à celui de l’image analogique, encore incarnée dans la pellicule (le caractère « lisse » du numérique offre d’autres charmes, notamment au niveau de la lumière), d’élaborer une sismographie sentimentale, en prise avec les torrents d’amour (ou de haine, avec toutes les nuances entre les deux extrêmes) chers à Cassavetes, au moyen de personae datant du temps de la tragédie (et de la comédie) grecque, mais refondues dans le « naturalisme ontologique » de cet art (Bazin). Assister à une projection revient toujours, pour ainsi dire, à explorer ce territoire sans pareil – bien que le regard anthropomorphe de certains animaux puisse troubler, et pas seulement Disney qui en fit les fondations gratuitesde son colossal empire –, à s’immerger dans le mystère d’un masque et d’une planète de chair et d’os saisis dans leur pouvoir de séduction (ou d’aversion) individuel et collectif. La peinture accumule les portraits, tandis que le cinéma collectionne (avec la connotation fétichiste et sexuelle du terme) les visages, dont les lignes agrandies sur les écrans nous identifient, nous trahissent, nous rendent aussi, parfois, dans leur absence impénétrable, figurativement inhumains.


Celui de Laure Marsac, en particulier en gros plan, continue à nous émouvoir et à nous ravir depuis plus de vingt ans ; durant cette période de vœux et de bonnes résolutions, on ne peut que lui souhaiter de poursuivre longtemps encore son joli chemin et d’y faire de belles rencontres, pour notre plaisir de cinéphile(s) avant tout amoureux d’images, au risque du vertige identitaire et existentiel admirablement décrit par Hitchcock dans Sueurs froides, sublimé par la bouleversante Kim Novak – d’une blonde talentueuse à l’autre, donc…

                  

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