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"Dellamorte Dellamore" : "Le Trio infernal"


Sans le connaître, le protagoniste de ce film d’horreur pas comme les autres pourrait s’attribuer à juste titre la célèbre déclaration nécrophile de Poe : « Je ne pouvais aimer que là où la mort mêlait son souffle à celui de la beauté »…


Comme tout bon cinéphile, Francesco Dellamorte fréquente les cimetières, littéralement– et non pas les salles obscures à l’avant-goût de tombeau (Artaud), avec leurs génériques aux allures de nécrologies –, puisqu’il occupe le poste de « gardien des morts » dans une petite nécropole de province (italienne), auquel le prédestinait son funeste patronyme. Pour tout dire, les défunts n’y trouvent guère une éternelle sérénité, ressuscitant au bout d’une semaine à peine, dans les cris et l’agressivité, ce qui oblige notre bellâtre (impeccable et drolatique Rupert Everett, sympathique dandy du septième art, quelque part entre Errol Flynn et George Sanders) à ramener l’ordre des vivants manu militari. Assisté du fidèle Gnaghi (François Hadji-Lazaro, attachant), géant obèse jadis bercé trop près du mur, il ne chôme pas, moderne Sisyphe des Enfers ruraux, même si la « pire jeunesse » (le contraire de celle d’un Pasolini, donc) le traite d’impuissant et que son principal loisir, mélancolique, consiste à parcourir les annuaires en quête du nom des chers disparus dont plus personne ne se souvient…     



Tout change – et se poursuit – quand il rencontre une jeune veuve bien trop belle pour lui (irréprochable Anna Falchi), et que cette femme vraiment fatale, après la morsure de son mari passé de l’autre côté, en vient à son tour à se ranimer toute seule, comme une grande, sans le secours d’aucun chirurgien libidineux échappé d’une nouvelle de Lovecraft (bien plutôt d’une bande de cet obsédé de Stuart Gordon !). Après consommation des ébats sur le mausolée marital, ce qui devait arriver arrive, et Francesco donne à son amour le baiser (par balle) de la mort, accomplissant sa double destinée contenue dans le titre. Son comparse, amoureux de la fille du maire, s’en sort mieux, si l’on peut dire, entamant une jolie romance avec… la tête décapitée de la jouvencelle, suite à un accident de moto. La Mort elle-même finit par apparaître à notre héros, mécontente et insistant pour qu’enfin il se mette à tuer les vivants. Tout ceci prélude à un grand massacre, à une perte consommée du « sens des réalités », au retour dédoublé, triplé, de la femme aimée, perdue (Sueurs froides par excès, en quelque sorte) et au retournement final qui voit l’ami enfin parler, tandis que le pauvre Francesco, son pénis sauvé in extremis, adopte à son tour son unique vocable, débarrassé de ses soucis mais aussi de son humanité…



Soavi, loin de son maître Argento, mais pas trop quand même, s’en sort avec les honneurs, parvenant à nimber sa fable identitaire et sexuelle qui, sous le divertissement de genre, interroge aussi, à sa façon, le machisme transalpin, d’un romantisme érotique de bon aloi, d’un fantastique du quotidien, entre solitude des hommes, trahisons des femmes, folie des morts et stupidité des vivants. Le tableau, au fond assez noir, se pare de couleurs vives, de sourires, souvent, d’une étrange mélancolie ne s’encombrant plus guère de tout l’appareil méta et citationnel des fumetti (bandes dessinées pour adultes) originaux et feuilletonesques signés par le brillant Tiziano Sclavi. Avec en assistante la fille de Costa-Gavras et en compositeur le rejeton de Vittorio De Sico, il livre un conte de fées gentiment pervers, toujours à la bonne distance (la scène d’amour, vue « en apesanteur », demeure un bon exemple), dans un juste équilibre entre frissons et ironie. Moins réflexif que Bloody Bird, moins sérieux que Sanctuaire et La Secte, moins cynique que Arrivederci amore, ciao, son DellamorteDellamore, vingt ans après sa réalisation, demeure un bon souvenir (de projection parmi des sièges vides, hélas) dans son héritage gothique national (Bava et ses pairs) ouvrant le chemin aux récits noirs et sentimentaux d’un Tim Burton, méconnu chaînon manquant entre deux pays, deux cinématographies, et un joli pont vers la version terrible, colorée, chaleureuse et sexyd’un territoire (celui des morts, dit justement Romero) qui nous attend tous dans son immortelle patience… 


                 

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