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Channel: Le Miroir des fantômes
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Artères souterraines : Underworld USA

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L’Amérique interdite ? Ah, si seulement…


On esquissa quelques sourires à ce court roman, vite lu, vite oublié, acquis neuf pour soixante-quinze centimes – Baudelaire faisait ses comptes en marge de ses poèmes, je ne me prends pas pour lui (quoique) mais j’agis (quasiment) de même. Sorte de Mort aux trousses de poche ou presque mâtiné de Benjamin Gates, l’intrigue à la structure scolaire (pour le vrai picaresque, dans le fond et la forme, on reverra bien sûr vers Jacques le fataliste et son maître de Diderot, voire son ancêtre selon Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme) constitue un montage paresseux d’épisodes censés nous balader à travers l’enfer finalement mainstreamdes perversités de l’Amérique contemporaine, celle d’après le 11-Septembre et la municipalité de Rudy Giuliani (traumatisme collectif et « tolérance zéro », résumons ainsi). Hélas, Ellis (Warren, pas Island) n’arrive pas au petit orteil de Dante, tandis que la thésarde tatouée flanquant le privé déprimé (ou déprimant, cf. l’humeur du lecteur) ne ressemble en rien à Béatrice et encore moins à Virgile. Certes, tout ceci – la quête d’une seconde Constitution reliée en peau d’extra-terrestre, au pouvoir hypnotique, bazardée par Nixon pour une pipe asiatique, au profit du chef de cabinet du POTUS (supputez le sens du sigle) – vise avant tout au divertissement flagrant, au catalogue binaire, au périple drolatique de New York à Los Angeles, en passant par Columbus, San Antonio et Las Vegas (vérifiez les États, va), décalque littéraire, imaginaire, du parcours réel de l’auteur britannique lors de sa « tournée américaine » effectuée en 2000.


Le long des stations ou des étages vers le « sommet de ce gratte-ciel éclaboussé de merde qu’on appelle la culture underground américaine », apparaissent donc un historien de la sodomie, des adeptes de Godzilla version bukkake (ils poussent le vice jusqu’à requérir sur la bande-son l’orgasmique I Feel Love de la religieuse Donna Summer !), des pratiquants très gay de l’injection saline dans les testicules et le sexe féminin, une redoutable famille sudiste, les Roanoke (épris de sacrifice bovin et de coke en montagne à la Tony Montana), introduite par un ami (le tragique Bob Ajax, originaire de Chicago) au bout du rouleau et de l’assiette carnivore, un tueur en série en avion affable et lucide, des travestis mortellement portés sur la silicone industrielle (cela s’appelle « fête du pompage »), un grand détective consultant nommé Falconer (il mentionne « une statuette aux allures aviaires, fabriquée à Malte », Hammett se marre) ou, last but not least, un méga geek blindé de fric se piquant de porno en ligne et de démocratie participative (il parle de « journalisme citoyen »), l’argent du sperme au service de la diffusion non censurée (Redacted, dirait De Palma) de vidéos des troupes US en Irak, par exemple. Tout finira bien, le fameux ouvrage infine répandu sur la Toile (donc rendu inoffensif), les méchants meninblack(redressement des mœurs nationales en mode maréchal hexagonal) aux mains des uniformes bleus du LAPD, durant une partouze de notables locaux avec des ados (Claude Chabrol meets Larry Clark) et notre couple gentiment adultère (Trix cultive sa sexualité dite libérée, Mike le malchanceux se montre conciliant car amoureux) enrichi par le salut du pays, des consciences et de la morale orientée vers la tolérance (tout sauf la pédophilie, so, ultime tabou de nos sociétés hystériques et hypocrites).


L’avatar alerte du Necronomicon semble se conclure par le truisme suivant : « les gens sont les mêmes partout. (…) Tous pareils. Un mélange de connards et de héros, de gentils et de gros nazes. » Oui-da, on savait déjà tout cela, et que les déviances d’hier devenaient, par usage, inertie, envie de célébrité ou de nouveauté, les habitudes d’aujourd’hui, sinon la norme de l’anormalité. Enfant de 1968 et scénariste pour la Marvel dans les années 90 (sur les lisses Quatre Fantastiques et Iron Man), Warren Ellis, romancier débutant parfois amusant, souvent vide et finalement bien-pensant, nous évoque un alter ego a contrario de Frank Miller, aux origines et à la carrière un peu  similaires, homme de droite discutable et dessinateur-scénariste au talent éblouissant (Daredevil, Elektra, Ronin, The Dark Knight, Martha Washington, Sin City et compagnie, sans oublier RoboCop au ciné). Personne, en vérité, ne demandait à Warren d’égaler l’humour noir (ne parlons pas de la beauté gracile du style) d’un Nabokov (celui de Lolita, histoire de rester dans le contexte exogène, satirique et sentimental) ni l’exploration obsessionnelle des coulisses peu reluisantes de l’Americana, à l’instar du balzacien James Ellroy (polars psychotiques puis historiques, animés par un souffle foutrement dantesque). On espérait simplement, à la lecture de la quatrième de couverture (Prévert affirmait : « Menteur comme un générique de film ») ou de l’incipit (savoureux paragraphe décrivant une guerre de territoire avec un rongeur rebelle, écho involontaire ou non au sympathique D’origineinconnue signé naguère par le regretté George Pan Cosmatos), davantage de folie et d’hilarité, de démesure et de profondeur. En l’état, Artères souterraines, voyage à travers une « petite artère tortueuse (…) jusqu’au cœur de l’Amérique » (Crooked Little Vein formule le titre original) demeure bien superficiel et s’arrête à la surface des choses et des êtres, étasuniens ou non. Osons par conséquent le classer, de manière littérale, en « littérature de gare », le genre d’ouvrage à parcourir en train ou en aéroplane, pour agréablement et régressivement passer le temps, un pluganal à l’effigie du Christ inséré dans son fondement – ou là où il vous plaira, pastichera-t-on l’immortel Bill Shakespeare...  


Ida : Wanda

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Paweł Pawlikowski. 


Faisons (haut et) court, comme la corde pour pendre le « réalisateur » (une métaphore, pas de procès, car au vingtième siècle notre cœur battit brièvement, intensément, pour la Pologne, son cinéma, sa littérature, sa langue) : que ce pensum s’attira les grâces œcuméniques de la critique internationale (et d’un certain public restreint) laisse pantois mais ne surprend pas. Face à la gigantesque entreprise d’abrutissement hollywoodienne, risible et détestable pour d’autres raisons, l’auteurisme possède ses propres réseaux, récompenses, financements et festivals. Poseur du premier au dernier plan (ah, le format 4/3, oh, le noir et blanc nickel, oui, l’abus de surcadrages et de décadrages, anticipation involontaire du Mr. Robot aliéné de Sam Esmail, non, sur la bande-son, Celentano, Coltrane & Bach), si exsangue avec sa psychologie de premier cycle universitaire (la vivante se déguise avec la robe, les escarpins et les clopes de la morte – analyse-moi ça, camarade cinéphile), frisant le révisionnisme via son portrait minoré des crimes du stalinisme (finalement, tout compte fait, moins monstrueux que ceux du nazisme, surtout humanisés, sinon rédimés, par la défenestration suicidaire d’une nymphomane alcoolique, accessoirement juge impénétrable), Idas’avère un film insipide (« l’actrice » héroïne affiche un charisme de crucifix en plastique fabriqué à Lourdes), inutile (Shoah, que je sache, disait déjà presque tout, en neuf heures, de la culpabilité polonaise par omission, indifférence, cupidité ou antisémitisme, mais on voit mal la France donner des leçons en ce domaine, ou un quelconque, d’ailleurs) et interminable (les soixante-dix-huit minutes parurent durer un siècle, un soir).



Davantage qu’à Dreyer, Bresson, Buñuel, Cavalier, Kieślowski (et puis quoi, encore ?), puisque que jamais une once de spiritualité (ni de monstruosité) n’affleure à la surface de cette bulle arty se la jouant voyage immobile au pays des morts-vivants, évocation vintagedes sixtiesà l’Est et moralité à la finesse éléphantesque (Dieu est mort, les hommes massacrent, le passé ne passe pas et moult truismes du même tonneau, pas celui de Diogène), on peut penser à un succédané désenchanté du Thelma et Louise de Scott, lui-même terminé par un vol plané assorti d’une double suppression saphique (un salut douloureux à Intérieur d’un couvent, la triste plaisanterie débandante de Walerian Borowczyk). Alors qu’elle entend exhumer l’Histoire en déterrant les corps (illustration de la hauteur scolaire et matérialiste du « point de vue »), proposer une réflexion adulte et impressionniste sur la mémoire, le deuil, les fautes collectives des pères (un peu de la mère, ici rouge, forcément, par procuration et supérieure), l’impossibilité ou pas de lendemains solaires, sexuels, rassurants et désespérants (dans la normalité profane ou le retour au cloître), l’œuvrette s’enlise illicodans la posture paresseuse (tel un devoir de fin d’études cinématographiques délayé avec langueur, arrogance, bienséance) et le ressassement inexistant (la représentation compassée, discrète, spectaculaire ou immersive, du génocide des Juifs, sous-genre à part entière, doloriste et confortable, économiquement rentable et moralement inattaquable, du film martial dédié à la Seconde Guerre mondiale).



Six millions (pour la comptabilité exacte, cf. les calculs démentiels du SS somatisant des Bienveillantes) d’atrocités pour en arriver là, à ça, cette petite chose à vite oublier – quelle cruelle ironie, en effet ; la suite du programme nocturne, Haewon et les hommes, ersatz anémié, fantasmé, de Rohmer à la mode sud-coréenne, avec son titre français à la Renoir (Ingrid Bergman égarée dans un gangbang coloré), avec sa gueststar nommée Jane Birkin (au secours !), commis par le quinquagénaire Hong Sang-soo (fan avoué du Journal d’un curé de campagne, décidément, tout nous ramène au « cinématographe » de Robert B.), finit de nous achever, selon une triste soirée télévisée revendiquée de « septième art ». Oui, plutôt que de s’infliger ceci  à nouveau, à la suite du troupeau des esthètes, des amnésiques, des bien-pensants, des nostalgiques effrayés avec délice (à quand un film sur la Varsovie d’aujourd’hui, où l’on remet en cause l’avortement, ou sur l’infini « conflit israélo-palestinien », sillon récurrent cependant moins maniable et plus enclin à l’expression des partisans ?), incitons donc les francs-tireurs dotés d’un cœur à (re)découvrir le portrait de femme (double clin d’œil du sous-titre) renommé signé Barbara Loden (matrice méconnue du vibrant Une femme sous influence, possible titre alternatif de la purge supra) ou alors l’envoûtant et inachevé La Passagère (Andrzej Munk, 1963), présage mystérieux, bergmanien, de Portierde nuit et inspiration apocryphe, en filigrane, de cet anodin Ida.    
       

Capsule : La Femme du cosmonaute

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Un médicament, une drogue, un trip ? Plutôt l’avènement d’un regard, en route vers les sommets, pas seulement au service de Sa Majesté… 


Capsule constitue clairement un tour de force : durant quasiment une heure trente, le spectateur demeure à l’intérieur d’un cockpitétriqué, face (en sa compagnie) à un pilote piégé. Pour un budget représentant sans doute le quart de la ligne « café » (whatelse ?) de Gravityou deSeul sur Mars, ce premier long métrage d’un directeur de la photographie (il travaille aussi dans le clip et la pub), accessoirement photographe sensuel, retient et retravaille la morale funèbre du pareillement britannique (et désargenté) Inseminoid (Une question de vie ou de mortdes Archers, sur un argument similaire, comportait un happyend). Dans l’espace, personne ou presque ne vous entend mourir, la carlingue technologique défaillante vite transformée en cercueil sidéral. Survival spatial qui finira mal, Capsule commence par un évanouissement et s’achève par une chute (Icare substitué à Hermès, nom du vaisseau). Andrew Martin reprend et développe ici un lieu (le huis clos) et une dramaturgie (monologue/dialogue) déjà présents dans ses deux courts métrages, Padded Cell et Foxhole. Plus d’aliénée soliloquant dans sa camisole de force et sa cellule capitonnée, ni de soldats papotant au sein d’un « terrier » une semaine après le débarquement normand – rien qu’un homme aux prises avec une raréfaction progressive d’oxygène (quel joli mot que celui d’hypoxie !) et s’entretenant à distance avec la Terre, comme uniquement peuplée, guerre froide oblige, d’Anglais, de Russes puis d’Américains (incertains, on va le voir). Malgré la pin-up peinte sur le joujou stellaire, nous savons dès le départ que la mort s’invite à bord, qu’aucun discours rassurant (mode d’emploi puéril en guise de manuel DIY) ou espérance étrangère (au sens propre et politique du mot) ne viendront sauver le naufrageur des étoiles (Éros & Thanatos, vieux couple immortalisé là-haut par un certain Kubrick en 1968).

Dans les premières minutes du récit (de la tragédie classique, aux trois unités respectées), après un ample et gracieux mouvement autour de l’engin fragile sur fond de globe terrestre, ballet de poche rendu lyrique par la partition orchestrale, inspirée, primée, signée Hugo de Chaire, une femme apparaît soudain, incite l’occupant de la nacelle à s’éveiller du grand sommeil, souvenir involontaire ou citation inattendue de La Planète des tempêtes. Même à des kilomètres de la planète humaine, il convient donc encore de chercher la femme, dirait Colette, adage illustré naguère par Tarkovski avec son océanique Solaris ou bien De Palma avec le naufrage de Mission to Mars. Capsule, sans y renoncer totalement, s’éloigne pourtant du terrain du mélodrame pour explorer les territoires toujours fertiles de la paranoïa étatiste et du thriller en milieu fermé (combien de temps tiendra notre héros tout sauf héroïque, mais ne manquant pas d’humour, de courage ?). Plus intéressant, il n’hésite pas à se donner à lire pour sa nature même : une fiction de cinéma enracinée dans un contexte documenté (fonction pédagogique et récapitulative du générique, aux manchettes de journaux évocatrices). Science et fiction se mêlent pour donner à voir la comédie sinistre du pouvoir et de l’amour (autre histoire de domination, autre conflit domestique). Martin propose ainsi une fable sur les apparences au moyen d’un mirage audiovisuel dont la maîtrise et la puissance ne mettent jamais en cause le fameux principe de suspension d’incrédulité requis pour ce « genre » de films (la SF rétroactive, disons). La mélancolie de Capsule s’arrime par conséquent sans heurts à une dimension méta de bon aloi, et le virtuose plan-séquence final en « Russie » vient parapher la supercherie de la diégèse, en miroir de celle de l’art.

Nul hasard, du reste, si la caméra s’amuse à cadrer un projecteur diffusant les images filmées par l’ancien aviateur, éphémère espion, si la chérie (Lisa Greenwood en vénéneuse sirène) s’avère une cynique ennemie recevant fissa le dossier de sa prochaine mission d’illusion, si les sauveurs US jettent le masque pour se révéler de rouges adversaires. Au-delà d’une misogynie et d’un antisoviétisme superficiels, de façade, Capsule parvient à capturer quelque chose de l’irréalité du monde, de sa dangerosité intrinsèque, où chaque individu existe à la manière insulaire (l’Angleterre, île désormais détachée du continent européen cartographié à Bruxelles), où seul le trépas (ironique, puisque causé par la collision avec une seconde capsule, américaine, cette fois) s’avère une évidence irréversible. Œuvre réellement indépendante, tournée en une quinzaine de jours à peine (un record en soi, quand on constate le soin élégant porté au moindre plan) avec la célèbre Red numérique, Capsule démontre avec un brio modeste et fervent que le cinéma n’équivaut pas au fric, aux stars, à l’histoire mais avant tout à l’audace, à l’originalité, au talent. Tel un poème sensoriel et existentiel, le film déploie une structure équilibrée en trois actes et un sens de la claustrophobie (au format Scope) assez sidérant, avant l’envolée en grue puis dans un bâtiment, à l’instar d’un dévoilement réflexif des mécanismes du « septième art » (funéraire et radieux), dédoublés dans ceux d’une conspiration cruelle. Un œil exercé saura dénicher des indices précurseurs de cette épiphanie spéculaire, par exemple une photographie cramée ne conservant intacte que la captivante menteuse. Une oreille attentive y dégotera les échos de Welles faisant débarquer ses Martiens par la magie unique du son (belle distribution sonore et invisible à l’unisson du solide Edmund Kingsley, le fils de qui vous savez).


En dépit d’une réplique drolatique incluant la (pas si) « douce France », on regrettera une absence de sortie prévue dans l’Hexagone, alors que tant d’excréments se déversent allègrement le mercredi sur l’écran géant, pour le plaisir commenté des grands et des petits. Le cinéphile aventurier (ou casanier) devra donc opter pour le DVD (à traquer) ou « l’illégalité » du streaming, pardonnable en cela qu’elle permet de faire d’agréables découvertes et d’en rendre compte de façon totalement licite, incitative. Si ses travaux musicaux ou commerciaux affichent un poli impersonnel, l’opus liminaire du trentenaire Andrew Martin séduit par sa radicalité discrète, sa maturité généreuse (oubli des galaxies au profit du visage-paysage), son intelligence de l’âme (la peur, la confiance, la mémoire, les sourires, la délivrance, la terreur) et du cinéma (la chorégraphie en coda boucle la boucle avec l’ouverture et se pose en variation d’une réalisation sinon très découpée, aux angles variés, à la sérénité assurée de vrai cinéaste). Sis quelque part entre le nostalgique Ulysse et les pauvres hères en déréliction d’un Samuel Beckett, parlant pour meubler, animer (ou lutter contre les interférences) l’effroyable silence infini des astres (qui angoissait tant Pascal), Guy n’ira certainement pas planter une bannière étoilée dans la cendre lunaire, geste spectaculaire et méprisable de petit propriétaire (terrien, en effet). Condamné par le compteur d’air, par le placard (et l’objectif) le découpant à loisir, homme-tronc immobile en temps réel et réalisateur amateur focalisé sur la beauté distante, perçue à travers une sorte de lucarne de projection, il nous évoque aussi le dandy mort-vivant de Dreyer dans Vampyr, avisant l’étrangeté diabolique de l’univers viaun rectangle de verre (le quatrième mur de cette pièce radiophonique et cinématographique, la caméra l’occupe).

Verbal et non bavard, fixe et non statique, partie de cartes perdue d’avance et cependant digne d’être jouée, trouvant sa grandeur précisément dans le jeu et le sérieux des joueurs, Capsulepouvait plaire à Marcel Pagnol, autre peintre renommé (ou stupidement décrié) de l’impossible ailleurs, de la rupture des amoureux, de la présence problématique et nécessaire des pères. Partir, revenir, se tromper, vouloir aimer, trahir et passer son tour : le spectateur assurément se reconnaîtra dans l’astronaute en suspens, son frère d’hallucination, de rêverie et de folie (sentimentale, patriotique), pour lequel la bien nommée Skylar Fri susurre sur le générique de fin un requiem aux paroles explicites. On peut certes souvent douter de l’avenir, se retrancher dans le passé plus ou moins glorieux des imageries d’hier, à l’époque de notre propre jeunesse à présent défunte, hésiter à miser sur les personnalités émergentes ; pour une fois, faisons le pari (pascalien) qu’Andrew Martin, actuellement au labeur sur Sleeper, un film d’horreur martial ferroviaire, saura s’orienter sur le champ miné d’un art financier, essoufflé, régressif. Après tout, l’irremplaçable John Carpenter (on aimerait tant visionner un nouveau titre de lui, au lieu d’écouter, distrait, ses albums de musique sympathiques et anecdotiques, avec et surtout sans le national Jean-Michel Jarre) débuta par DarkStar, non ? En supplément, lecture conseillée (en anglais, désolé) du site attractif de Mister Martin et d’un riche entretien avec le producteur Paul Forrest (par ailleurs DP, auteur de la story, sous le jovial prénom Felix), afin de tout savoir ou presque de la genèse de cette aimable promesse.     

Mauvaise Graine : Frères de sang

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Travailler fatigue, affirmait le suicidaire Cesare Pavese ; sans doute, surtout pour des salaires de misère, cependant que vivre en hors-la-loi ne conduit qu’au trépas (« chez soi »)…


Voici donc une tragi-comédie commise par Claudio Caligari (bouclage de trilogie), amicale et anémiée, sise à Ostie (une pensée pour Pasolini) au milieu des années 90, sur fond de drogue, colère, dégoût, amour, rédemption, chantier, normalité, famille recomposée, braquage au fusil déchargé, mort et naissance. Délinquants pas méchants (Non essere cativo, incitent le titre en VO et la devise sur le t-shirt de l’ours en peluche), presque frères ou amants, ces vitelloni récompensés à Venise, salués par la critique transalpine, comme un double hommage au peu productif réalisateur décédé à la soixantaine, hésitent entre le naturalisme (sociologie du bord de mer automnal, de la came passant des pilules à la cokepuis à l’héroïne) et le mélodrame (gamine malade bientôt nièce décédée, sa maman emportée autrefois par le SIDA : ça vous va ou pas ?) et s’avèrent hélas vite prisonniers d’un téléfilm en Scope ne les laissant jamais respirer, exister, s’élever ou replonger en dehors de clichés ressassés (les femmes, saintes ou putains, modèles ou épaves), au désenchantement impuissant (à convoquer une réalité, à la mettre en cause, ce qu’ébauche maladroitement l’épilogue lesté de préoccupations sociales). Le bagarreur et christique Cesare (Zavattini ? Ou alors en clin d’œil au somnambule protonazi selon Kracauer ?) enterré, le preux et casé Vittorio (Mussolini, cinéphile et célèbre fils de, sinon vaincu de la vie au prénom en oxymoron) demeure honnête mais pauvre, voire l’inverse, et retrouve son exréinventée en mère au foyer maternel. L’œuvrette s’achève par une pirouette à la John Woo (notez le ralenti artyd’une « blanche » avalanche poudreuse directement sur l’objectif), un sourire de souvenir entre les larmes issues de la dureté du présent. Il en faudrait plus pour réellement nous émouvoir et nous impliquer.



Ni Visconti, celui de Rocco et ses frères, par exemple (boxer contre soi-même et l’époque, acquérir une sainteté dostoïevskienne de belle gueule foudroyée, de martyr homo), ni Fellini (l’hallucination clownesque, surréaliste, du car rempli de fêtards, à la fausse sirène à perruque de travers et à queue en plastique, exécutée d’une balle dans la tête), Caligari livre ainsi en testament une chronique languissante, exsangue, insipide et condamnée à l’amnésie (du spectateur). Pour une fois, on écoutera le conseil ironique, on se gardera de faire preuve d’une trop grande sévérité (quoique, l’interprétation à l’unisson n’arrange rien), envers un opus aux personnages, à la réalisation et à la morale en papier (les maçons de la diégèse ne parviennent à aucun moment à ériger la maison du métrage, dommage). Le cinéma italien, nul lecteur de notre prose ne l’ignore encore, nous l’aimâmes de toute notre âme, et pas seulement au travers de ses « auteurs », du « néo-réalisme » (un malentendu d’esthète, un sillon commercial, une consécration muséale), du « western spaghetti » (dénomination injurieuse, qui outrageait Leone à raison), du film politique (pléonasme, amico mio) ou des arabesques baroques (Argento and Co.) de la grise (idem ici) décennie 70. Depuis le règne grotesque et significatif (à la TV, à l’Assemblée, dans les salles et les esprits) de Silvio Berlusconi, entamé à l’orée de la vulgarité généralisée, corrosive, des années 80, le « septième art » de la péninsule n’en finit plus d’agoniser, grand malade choyé dans les festivals européens, réduit à une poignée de noms (vous les connaissez, vous aussi, les Begnini, Garrone, Salvatores, Sorrentino, Tornatore et tutti quanti) à peine dignes d’êtres cités ou pris en signes d’espoir et de renouveau (Francesca Archibugi & Michele Soavi ne donnent plus guère de nouvelles, Michele Placido se galvaude, Marco Tullio Giordana tourne peu, Nanni Moretti, lui, paraît fatigué au point de consacrer, avec Mia madre, une biographie spéculaire et endeuillée à une réalisatrice incapable de filmer, de donner le jour à une fiction combattive rendue dérisoire par la disparition en direct de sa chère génitrice).



Cet état de mort-vivant affleure (ou constitue son vrai cœur à l’arrêt) dans Mauvaise Graine (adaptation française à la Richard Brooks, si scolaire et bien-pensante), sorte d’ersatz atone du peu consensuel Accatone, sorti (en catimini) l’an dernier, visionné hier soir, bulletin de santé superfétatoire et symbolique à propos d’une situation sinistre/sinistrée que l’on connaissait (regrettait) déjà (Caligari, « sauvé » des Brigate Rosse par la cinéphilie paternelle et une conscience discutable de la suprématie structurelle du capitalisme, connaissait mieux que quiconque la difficulté de faire des films en Italie ; inutilement, il en informa par courrier un certain Martin Scorsese, sacro-saint rat de cinémathèque porté sur la conservation du « patrimoine » davantage que sur le soutien aux vivants, en logique orthodoxie nécrophile d’une partie des « professionnels de la profession » et des commentateurs extérieurs). Tant pis, il conviendra (ou pas) de s’en contenter, diagnostic mélancolique d’une filmographie qui sut naguère, et de quelle manière, à la fois nous faire rire et pleurer, réfléchir et frissonner, souvent dans le même plan, d’un seul élan-mouvement, autobiographie fraternelle, sensuelle et conflictuelle, d’un pays qui posséda suffisamment de vitalité, de tristesse, de tendresse et de lucidité pour se regarder en face, au miroir impitoyable et majeur de son cinéma (de nos jours, Lampedusa ne renvoie plus au Guépardmais aux migrants naufragés, « thème d’actualité » lui-même en train de devenir un lieu commun des imaginaires, là-bas ou ailleurs, cf. le récent Fuocoammare). En France, nation audiovisuelle d’arrogance incestueuse plutôt que d’élégance généreuse, les images sur grand écran survivent sous perfusion et tutelle étatico-télévisuelle – pour combien de temps ?     

Advantageous : Dans ma peau

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Un conte de Noël dépressif entre femmes, shooté à la Red, sur la bonté en gage d’humanité, sur la maternité en expérience du sens de l’existence ? Ce résumé raccourci effraie, certes, pourtant l’exercice s’avère profitable, dirait Fritz Lang, en tout cas (jusqu’à un certain point) prometteur…   


Disons qu’il s’agit d’une dystopie au féminin, conçue, réalisée, jouée avec soin, hélas desservie par un rythme cacochyme et un scénario ressassé. Dans un futur aseptisé, sinon stérilisé (commerce d’ovules), un conglomérat capitaliste (pléonasme) spécialisé dans les biotechnologies propose (à sa demande orientée, chômeuse volontaire puis cobaye idéal) un pacte forcément faustien à sa meilleure VRP aux allures de mannequin (elle épate même d’autres gamines au passage clouté, dans sa robe orangée ajustée, ses escarpins taquins). Jusqu’où peut aller l’amour maternel, à quel degré de sacrifice conduit-il, comment financer des études privées, accessoirement établir/maintenir un rang social ? Vous le saurez au terme (à la soixantième minute, précisément) de ce long métrage (encore une fois étiré à partir d’un court remarqué, épisode réussi d’une série de prospective) indépendant, primé, supporté par Sundance, diffusé sur Netflix et semblant chapeauté par l’ensemble de la communauté asiatico-américaine de New York, San Francisco et L.A. Jennifer Phang, polyvalente (elle assure aussi le montage) et lauréate de l’AFI, n’énonce rien d’original ni de passionnant, mais son second opus (après le choral et eschatologique Half-Life) possède une élégance et une maîtrise indéniables (effets spéciaux convaincants dans leur rareté, tel ce building aux formes graciles de buste sexué). On y croise, au hasard, le souvenir liminaire du 11-Septembre, devenu lieu commun mémoriel et mélancolique de la SF étasunienne dans le sillage du Spielberg de La Guerre des mondes, une petite miséreuse « basanée » dissimulée dans un feuillage urbain, de la prostitution enfantine masquée à l’ombre automnale d’un parc, un mari adultère à la rescousse financière (solidarité de cousines). On y entend du Chopin et un célèbre chant religieux populaire (au piano, en français) attribué par erreur pardonnable à Gabriel Fauré.



En matière de « naissance divine », la renaissance transplantée de Gwen évoque autant La Fiancée de Frankensteinque les NDE psychédéliques avec leur obscur tunnel de lumière. Par sa grisaille exsangue, son atmosphère ouatée, son questionnement identitaire sur une jetée chipée à Chris Marker ou Alex Proyas, Advantageous séduirait beaucoup, sans doute, Kiyoshi Kurosawa et ses admirateurs. Mèche lente, il finit par marquer son avantage (une réplique francophone explicite le titre et la problématique) sur la longueur, à l’ultime tiers, dans la dernière demi-heure, quand survient la remplaçante moins « typée » que la chère absente (la fontaine de jouvence doit désaltérer tout le monde, s’adresser à chacun, débarrassée des désavantages de l’âge, de la « race » et du corps imparfait). Sous la peinture compassée de l’eugénisme soft, sexiste, à peine troublé par le terrorisme ponctuel, habituel, de Terra Memoria (le prochain nom de EELV ?), la vie surgit presque, et avec elle le film s’anime brièvement, les cadres un peu tremblés en caméra portée soulignant le déséquilibre d’une conscience désaccordée, réifiée, copie d’un esprit et non esprit lui-même, greffé à l’intérieur d’une enveloppe charnelle d’emprunt (body donneur plutôt que snatcher, donc). L’édénique  sensualité (on ne baise pas, ici, on entend seulement les voisines esseulées sangloter) idyllique (au sens rural du terme) du final, avec sa famille recomposée en train de s’apprivoiser, retravaille fortuitement l’apaisante coda de l’outrageant Irréversible, autre histoire, bercée par Beethoven, de parturiente et de v(i)ol d’identité.



En bonne logique affective et symbolique, l’auteur dédie au générique de fin (celui de Capsule, doté d’un humour veryBritish, rassurait à propos de l’innocuité du tournage sur l’astronaute) sa fable dédoublée sur le règne des apparences (et leur vérité cachée, florissante) à sa propre maman, tandis que la belle et talentueuse Jacqueline Kim (co-scénariste, co-productrice, co-compositrice), aperçue au siècle dernier viaXena, la guerrière, assortie d’une gamine homonyme prénommée Samantha, improbable duo génétique dans la « vraie vie », la soutiennent joliment, à défaut de l’incarner vraiment, bien accompagnées par Freya Adams en substitut amnésique et douloureux, Jennifer Ehle en collaboratrice inquisitrice et impitoyable, James Urbaniak en directeur protecteur et impuissant. Oui, avec une bonne cure de vitamines et un argument plus étoffé, Mademoiselle Phang (elle parle bien de sa progéniture cinématographique à cet endroit), misons donc sur ses capacités, ses possibilités, son pragmatisme, son féminisme jamais misandre, saura développer son juste regard, sa fine caractérisation, les nourrir de beaux éléments mélodramatiques (souvent un compliment sous mon clavier). Donnons-lui rendez-vous ailleurs que dans le giron consanguin et poseur du festival de Robert Redford (de ses successeurs), dans quelques années moins éloignées que celles de son film (il se déroule en 2041, un peu tard pour moi) à la saveur autobiographique, métaphorique, afin de voir si elle sut se réinventer en cinéaste de valeur (humaine ou non).      

        

L’Infini Détail : Penser sensuellement le cinéma

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Écrire à deux, c’est comme faire l’amour ; écrire à plusieurs, c’est comme participer à une partouze, affirmait à raison Gérard Brach dans Starfix. La solitude ontologique sait parfois s’ouvrir et chérir, reconnaître et transmettre. Du détail et de l’infini réconciliés, animés, naîtra un valeureux combat…


Oyez, oyez, pas encore trépassés : il se passe de drôles de choses du côté de l’université de Montpellier. Figurez-vous que des gens jeunes et passionnés y rédigent depuis la rentrée (scolaire, pas universitaire) 2014 – pour information, nous sévissons ici depuis l’été de la même année – une revue de cinéma. Elle s’appelle, inspirée par une citation de Fellini, L’Infini Détail, quasiment un oxymoron, donc, qui évoque pour nous le microscope, la macrophotographie et un célèbre dicton asiatique à propos du diable logé là, à peine visible et cependant obsédant. Nous connûmes le titre viaun célèbre réseau social bien peu sociable, et Pauline (Réage ou Rohmer ?) Qnr (auparavant Quinonéro, car « souvent femme varie », son patronyme raccourcit) nous fit naguère l’amitié de relayer (avec quelques respectables réserves, certes) un texte lapidaire, en colère, consacré à l’avènement d’un néo-cinéma. Si la volonté, clairement formulée, d’intellectualiser le « septième art » tendrait à nous éloigner de la publication – l’intellectualisme nous excite autant que l’humanisme et toutes les autres saloperies partisanes, illusoires, en isme–, l’objet déjoue nos craintes et séduit par sa forme aussi bien que par son fond (dichotomie paresseuse mais pratique, qu’on nous l’autorise à cette occasion). Soulignons d’entrée la beauté de la maquette due à l’experte Marie Lemoine, où chaque page respire agréablement, l’image en dialogue harmonieux avec le texte. Avant de proposer un contenu adressé à l’esprit, un tel artefacts’offre à l’œil, sait ou non le convaincre de sa valeur intrinsèque, la surface soyeuse de l’esthétique enracinée dans le solide terreau des idées – voici une acceptable définition du style ou d’une belle femme intelligente, non ?


Revue sensuelle et intellectuelle (aïe), L’Infini Détail se préoccupe par conséquent d’un art à la fois majeur et mineur (de l’architecture au cinéma, dirait Fritz Lang), adulte et puéril, commercial et métaphysique (dualités à nuancer, mais je vais vite, je le reconnais). Elle le fait courageusement, à une époque peuplée de graphomanes et pourtant paupérisée en lecteurs (peu de temps pour exercer les deux activités de concert, disons, passons nos vies à consommer, à blesser, à ignorer). De nos jours, tout le monde (ou presque, certains trop occupés à suer six jours par semaine, sinon sept, histoire de boucler la fin du mois, d’honorer les sangsues-créanciers, de survivre dans la dignité scandaleuse des « travailleurs pauvres », tandis qu’un président épris de normalité s’en va en scooter chercher des croissants au beurre pour sa starlette décolorée installée à l’Élysée) semble écrire, publier, échanger (des « points de vue », à remplacer par des coups de poing, des caresses ponctuelles), apprécier ou pas (mise à jour du pouce romain, crétin). Peu importe si les bibliothèques se vident à la manière des églises (pas de procès en prosélytisme à un athée, merci), si des millions de livres finissent régulièrement au pilon (rentrée littéraire aux allures d’autoroute couverte de voitures accidentées, pour le régal de Ballard ou Cronenberg), si les minces liseuses peuvent contenir d’innombrables références intégrales que personne, jamais, ne se donnera la peine de parcourir (comme ces tas de chansons amassées inutilement dans les lecteurs et les cellulaires, en signature de l’abondance morbide des sociétés capitalistes dites en crise).


D’ailleurs, notez-le, L’Infini Détail se donne à lire en ligne, n’existe pas en support papier ; elle prend acte de la cinéphilie 2.0 et de sa praxis essentiellement numérique (votre serviteur avouait précédemment ne plus lire depuis des années certains magazines glacés, sans risque sanitaire ni régressif). Elle se signale par son élégance et sa générosité (un numéro compte quatre-vingt-dix pages !), l’enthousiasme général, générationnel, qui s’en dégage et s’y incarne. Oui, par caractère et par choix, je préférerai toujours la marge au centre, la tangente au cercle, l’individu au groupe, cela ne saurait m’empêcher de saluer une telle initiative collective, dont le rassemblement de personnalités, d’écritures, de sensibilités, miroite, d’une certaine façon, l’aventure d’un tournage et, à plus grande échelle, la possibilité (devenue aujourd’hui très problématique) d’une vie en société, apaisée, fertile, enrichie (et non enrichissante, bande de petits banquiers ou de boutiquiers, car aucun argent en jeu, ni de « financement participatif » irritant, la revue constituant ce que l’on nomme dans la langue de Shakespeare – et de Donald Trump itou, sorry– un vrai labor of love). Le lecteur (la lectrice), peut-être déjà curieux, conquis, refroidi ou échauffé, s’interroge sans doute sur la teneur et la qualité des articles. On le laissera par lui-même, comme un grand, découvrir ce sur quoi écrit l’équipe sudiste et comment elle procède dans son discours. On lui épargnera le pitch, le résumé, le spoiler, on lui fera suffisamment confiance pour s’impliquer une poignée de minutes ou plus longtemps, selon sa disponibilité, son humeur, sa fatigue (le cinéma et le monde contemporains nous épuisent, sans même le secours d’une nostalgie rassie).


Qu’il  constate toutefois que moult topics surent retenir avec plaisir notre attention nocturne (je lis la nuit, ainsi, Bashung mentait à ce moment) et dominicale (de grisaille, d’éclaircies), au hasard et de mémoire, la tronçonneuse traumatico-drolatique de Tobe Hooper, les tableaux stendhaliens d’une hitchcockienne Carlotta, la mère mortelle de Moretti, beau trio transgenre par-delà les périodes, les géographies, les courants, les chapelles, qui nous identifie assez bien dans sa multiplicité sérieuse et ludique, son humour noirissime, sa dimension mélancolique et méta, son caractère autobiographique et antique (je rajoute fissa, à la Prévert en inventaire, la panique de Duvivier, le supermarché de Kathryn  Bigelow, les jeux du cirque de Jewison, le corps mutant de Bacon & Cronenberg, les portraits de Kitano ou Columbo, le venin de Fulci, les vampires brechtiens de Browning, la chose eschatologique de Carpenter, la passion anémiée selon De Palma, la vallée amoureuse de Nicloux, la pornographie (trop) sentimentale de Noé + le Hollywood de J.-B. Thoret). D’autres rencontres et trésors attendent votre regard, bien que nous avouions avoir simplement survolé deux ou trois passages, par exemple, les éloges de von Trier ou Dolan, l’entretien avec Pascal Laugier, qui osa autrefois vomir sur Dario Argento dans les colonnes d’un opuscule « spécialisé », rappelant la phrase de Mocky au sujet de Michel Ciment, lui-même interviewé : « Ce type écrit des bouquins sur de grands cinéastes mais il a une mentalité de concierge » (se méfier de ses amis, se féliciter de ses ennemis, se foutre des indifférents). Je n’écris pas pour cirer les pompes (pas mêmes les pointes et les talons d’escarpins de jeunes femmes trentenaires, en dépit de portraits épars, de célébrations sincères, sur ce blog et ailleurs) ; je n’écris pas pour étreindre mon prochain (tentation de l’éteindre) ou l’évangéliser à la mode laïque, l’enrôler dans ma guerre intime.


Je me garderai dès lors de tresser trop de lauriers à L’Infini Détail, au risque d’obtenir l’effet contraire (ce qui advint à Poe, controlfreak de la phrase, sa saveur ironique souvent passée inaperçue dans la réception-traduction de Baudelaire, modèle contradictoire de fraternité linguistique et de « belle infidèle » au profit d’une réflexive terreur existentielle). La revue, évidemment, s’inscrit dans une tradition critique franco-française (combien, parmi ses rédacteurs, passeront plus tard du clavier à la caméra ?) et la pensée du cinéma (afortiorisa réalisation), nécessaire et futile, revendiquée par mes soins en montage alterné avec une envie de tout arrêter, détruire, de partir et de me taire (se contredire, s’en aller, recommandait/légiférait Charlie B.), double élan guère original, pas même pour les psys ou les adeptes de la philosophie, réclame davantage que cinq livraisons surprenantes, stimulantes, précieuses et malicieuses (joli hors-série hallucinant et lyonnais). Dans un registre similaire, le feu amoureux (voire compassionnel) des éditoriaux de la muse en chef pâlirait probablement face à l’immense obscurité au cœur de notre prose et de notre représentation (spéculaire) du cinématographe, de l’écriture, de tout le reste (que les béotiens et les bien-pensants se branlent à confondre radicalité avec « radicalisation »). Néanmoins, ne loupons pas ce prometteur début, ne négligeons pas ce premier pas, un aboutissement pas si « boiteux » (je cite la Miss) en soi. Avec passion, réflexion, à l’unisson et dans la séduction, L’Infini Détail nous parle de cinéma, de peinture, de vampirisme, de festival, de vidéo et de TV. Contemplez son visage (à la Picasso), écoutez sa voix (en polyphonie) et puis reparlons-en, avec eux ou avec moi, surtout à parution du prochain numéro (chut, pas de publi-rédactionnel), dans le cadre d’une resucée cannoise en compagnie de l’inoubliable Claudine Beccarie…     


                                      

Himizu : Vivre !

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Courir avec courage, aimer au-delà de son âge, renaître à soi dans ses yeux…


D’un manga vers Fukushima : commencé dans les ruines, par un rêve de suicide, Himizu raconte une reconstruction, dit oui à la vie. Ici, Sono Sion passe pour un trublion, un agité, un obsédé (réputation à la con, en vérité, ou alors confirmée par le reste d’une filmographie fournie à découvrir). Il délivre cependant une œuvre d’une évidente maîtrise, où chaque plan s’enchaîne au suivant à raison, au sein d’une structure équilibrée de cent trente minutes, coupée au mitan par la césure d’un parricide. Jusqu’alors mélange stable et drolatique de chronique réaliste, de drame familial, de comédie sentimentale (et collégienne), le film bascule dans le mélodrame, devient toujours plus sombre, avant d’éclairer, littéralement, son dernier acte à la bougie (mille flammes tendres et colorées dans une chambre repeinte en rose, « comme un salon de massage » annonce un vieillard gentiment égrillard). L’action se situe dans un Japon humide, quasiment sans soleil, nuageux et nocturne, une terre dévastée, immergée (une cabane centrale ressemble à un icebergsurréaliste et traumatique), peuplée de naufragés, ceux de la double catastrophe écologique (tsunami + fuite radioactive) et ceux que des parents monstrueux dans leur banalité, d’une grandeur sordide à la saveur d’Atrides dans leur maltraitance, délaissent à eux-mêmes au milieu des requins humains. Une première mère démissionnaire et disparue, une seconde pleurnicharde et sadique (elle montre avec fierté l’échafaud domestique destiné à sa progéniture, uniquement conçue en obstacle au bonheur marital !), un père ivrogne et violent : ne parlons plus de « famille dysfonctionnelle » mais d’enfer quotidien, d’ogres indifférents, sauvages, rusés.

Notre réalisateur évite pourtant la paresse du manichéisme en démontrant que même un yakuza prêteur sur gages sait faire preuve de mansuétude, capable de ramener chez lui le protagoniste en voiture et de l’inciter à ne pas refuser une aide inattendue. Au cœur d’un film choral, le couple d’adolescents incandescents, souvent bouleversants, tente de survivre à la manière d’une « fleur unique », ainsi que le serine un professeur désirant à tout prix, au prix d’un bourrage de crâne vaguement nationaliste et doloriste, que la nation se relève, se redresse, dispose d’un avenir radieux. Fumi Nikaidō et Shōta Sometani, irrésistibles, remarquables, admirables, primés à Venise, entre discours et silence, gifles et « pierres de rancune » (à la Virginia Woolf), larmes et haïkus, confèrent une vérité de chaque instant, une urgence poignante à ce conte sur la résilience et la solidarité (entre une jeune femme et un jeune homme, entre les générations, entre tous les blessés de l’existence). On y sent et ressent physiquement (travail lynchien sur le son anxiogène) la déréliction ambiante, le parfum dostoïevskien d’une bonté à partager constamment abîmée par un monde cane nippon et universel (sans croire une seconde aux vertus pédagogiques du cinéma, pas plus que l’on ne croit à la musique en thérapeutique, il faudrait projeter Himizuà tous les djihadistes européens d’aujourd’hui). Film à la fois très japonais (pas seulement pour l’uniforme noir d’écolière et sa petite culotte blanche) et international, l’opus de Sion donne à voir avec une acuité de rasoir la béance existentielle d’une génération abusée, négligée, condamnée (à une absence d’horizon, de projection, économique et symbolique, professionnelle et spirituelle), proie idéale de toutes les instrumentalisations idéalisées, du romantisme de la mort, celle d’autrui autant que la sienne.


Ange exterminateur, Sumida tue son père, l’enterre, se roule dans la boue du désespoir, là encore au sens propre, puis s’en va dans la ville jouer les justiciers juvéniles. Il va trouver plus « malade » que lui-même, notamment deux ou trois cinglés en liberté, souriants et dangereux, aptes à ramer, à poignarder, à tatouer sur le corps de leur chérie (elle se dit volontaire) des insultes sexistes. Oui, là-bas aussi, on peut se retrouver agressé sans raison (un mot de trop, un regard de plus) dans un bus, à un concert sucré, l’auteur hurlant, terrible et déchirant, une question cruciale à laquelle la folie sociale ne peut donner de réponse. L’identité, la transparence, le sens, la morale : dans ce bord de mer si désenchanté, univers de poche au centre duquel trône une fragile cabane de bateaux, commerce incongru en signature d’un été envolé, d’une douceur de vivre enterrée dans le dégoût, la rage, l’autisme d’un mort-vivant (le héros arbore une peinture de guerre intérieure à la William Friedkin), l’insanité menace de tout emporter, raz-de-marée émotionnel sapant les fondements du vivre ensemble, invitant à ouvrir le capot d’une machine à laver pour y prendre le revolver liminaire, qui mettra fin à toutes les infinies et itératives souffrances endurées en caméra portée. Va-t-il obéir à ses songes, boucler la boucle de la diégèse, devenir ce qu’il redoute ? La coda le laisse entendre, série de détonations à l’aube, ce jour où il devait aller au poste de police avouer son crime, subir légalement son châtiment. Mais Sion ne peut l’abandonner ainsi – générosité du cinéaste envers son personnage, le public –, et Himizus’achève par l’une des plus belles fins du cinéma contemporain (sortie en 2011) : Sumida et Chazawa courent à l’unisson sur une route de campagne, travelling arrière qui pourrait durer une éternité, exercice de style et exercice physique pour les deux enfants trop tôt et trop vite grandis, majestueux dans leurs encouragements, leur élan, leur personnalité retrouvée (le prénom jailli comme un puits de possibles).

Ce plan suprême et superbe, entrecoupé par des inserts du désastre pour un temps conjuré, s’accompagne en contrechamp d’une discrète et retenue montée en grue sur l’espace ouvert, ascension en rime avec la virtuosité du plan-séquence de la mort paternelle, dans la nuit (de l’âme) à coup de parpaing et de noyade, chorégraphie d’obscénité antique, tragique, capturée à distance, au plus près de l’intensité, avec une grâce et une puissance assez sidérantes. Grand film sur la pathologie du foyer, de la vie en société (surtout du côté de Tokyo, système hiérarchisé, policé, intériorisé, privilégiant la violence implosive alors que les USA et désormais l’Europe, particulièrement la France, suscitent son expression explosive, tournée vers l’autre et le dehors), Himizu, histoire d’un gamin ne souhaitant rien, sinon vivre à l’abri, dans la neutralité d’un terrier, « taupe » (d’où le titre) humaine inaccessible au bonheur et au malheur, constitue infine une expérience éthique, une plongée dans les abysses de la terreur profane, généralisée, absurde et signifiante. Certains trouveront que le recours répété à Mozart, Barber et Villon alourdit le métrage, souligne scolairement son exploration des ténèbres, mais cette hyperbole musicale et littéraire procède, de plein droit, du mélodrame, drame musical et radical, dont la poésie adulte, critique, repose sur un refus de la bienséance et affectionne l’outrance (double diktat contradictoire au Japon, via une longue lignée de cinéastes et d’imageries extrêmes). Avant d’occire votre prochain, de cambrioler un nazi nécrophile, de vous tirer une balle dans la tête ou de décider de continuer à vivre, dans le salut, l’amour, la résistance et la douceur d’une sagesse féminine, allez vite visionner Himizu de Sono Sion – il s’agit, croyez-moi, de l’un de ces rares films qui nous font encore croire à la beauté, à la nécessité, à la liberté du cinéma. 
                                         

Cargo : The Rose

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Le gore peut-il encore émouvoir ? Après le réussi Zombie Honeymoon (2004), découvrons vite une petite pépite pleine et sereine…


Un accident, un survivant, un enfant : Cargoépouse la course essentielle, éphémère, de son héros, va droit au cœur du spectateur, le place d’emblée dans le drame. Les prolégomènes et les syntagmes, il s’en passe royalement. Du haut de ses sept minutes denses, où chaque plan participe de l’ensemble, il néantise les boursouflures US (Zack Snyder, Brad Pitt, Robert Kirkman, connais pas). Ni jeu vidéo, ni « véhicule » de star, moins encore soap interminable, mais merveille de réalisation (sens du cadre, du rythme, de l’allégorie réaliste), modèle d’émotion (aussi terrifiant que poignant, car les êtres chers y deviennent des monstres à redouter ou des trésors à sauvegarder), ce court métrage australien, remarqué à raison un peu partout, mille fois plus éloquent que moult longs sur le même « thème », mériterait d’être projeté dans chaque école de cinéma. Derrière la caméra, un homme et une femme : Ben Howling le bien nommé, Yolanda Ramke itou scénariste et actrice (la seule humaine, très maternelle, à l’écran) ; le couple/duo produit son opus, destiné au festival Tropfest de Sidney (un équivalent, disons, de notre hexagonal homologue à Clermont-Ferrand), devenu « viral » sur la Toile depuis 2013 (juste succès globalisé). Devant : l’impressionnant Andy Rodoreba, un physique et une présence à la Henry Rollins (Schwarzenegger sembla s’en inspirer pour son propre Maggie). Au sein d’une diégèse quasiment muette, les seuls mots à entendre et à lire se remarquent avec une puissance restaurée, une nouveauté vivifiante. « Papa » prononcé (pas en entier) + « Rosie » au marqueur sur le ventre du marmot – le raccourci assemble les protagonistes, les identifie, nous évoque la façon dont Annaud, naguère, expliquait dans Starfixle titre du livre d’Eco adapté sans trop de Connery (si la rose disparaît, restera d’elle son nom).


Fable lapidaire et adulte sur la paternité ensanglantée, ce qu’elle implique en matière de sacrifice, d’obstination (et matières organiques rassemblées dans un baluchon hypnotique, carotte/bâton de la marche mécanique), Cargo, au minutage calqué sur le périple limité de son vaillant anonyme (trois heures cinquante-cinq condensées en quatre cent vingt secondes), tendu comme un arc narratif réduit à l’exercice physique et métaphysique d’un premier corps contaminé, condamné, d’un second à sauver, protéger, n’oublie pas l’humour noir (la vie n’y tient plus à un fil mais à une ceinture de sécurité) ou la respiration du monde alentour (reliquat endeuillé, instrumentalisé, de fête enfantine d’anniversaire, nature rêveuse aux herbes oscillantes dans le vent eschatologique). La beauté du film, son intelligence, se lisent également dans la précision et la richesse du détail (pied caressé du gosse dans sa hotte, alliance subliminale envolée, revenue). Avant d’atteindre, au bout de dix-huit kilomètres, la safezone pointée d’une croix sur la carte, le Père Courage hurlera en silence, avatar de Moïse escorté par la voix céleste, sinon angélique, de la compositrice Helen Grimley. Deux plans superbes, au ralenti, immobilisent et iconisent la trajectoire lente et sans issue : les visages dichotomiques du père et de la fille, aux regards opposés, aux yeux curieux ou déjà blanchis, puis l’homme debout au milieu de la verdure, de la grisaille, grotesque et admirable. La coda se situe dans un cimetière en bord de mer (George A. Romero rencontre Paul Valéry), avec « crucifixion » par un sniper (une balle unique), arrivée de creuseurs, contact tactile et « adoption » inextremis (enterrement miséricordieux). La « nouvelle mère » paraît sidérée, autant hébétée que le cinéphile par ce qu’il vient de voir.


Aux dernières nouvelles (mars 2015), les auteurs envisageaient d’étirer Cargo selon les dimensions d’un long métrage, dédoublant le voyage au moyen d’une jeune Aborigène. Pourquoi pas, wait and see, so, bien que sous sa forme actuelle, le film se suffise à lui-même, aboutissement mineur (par la durée) et majeur (par l’intensité). Débarrassé des écueils traditionnels d’un type d’expression encore largement minoré, l’œuvre de Yolanda Ramke & Ben Howling (pour laquelle on cède bien volontiers, à ceux qu’elles intéressent, les affèteries réflexives et arty d’un autre tandem, celui de Hélène Cattet & Bruno Forzani) ne ressemble à aucun moment à un film de fin d’études, à une carte de visite, à un brouillon. Bien au contraire, elle s’avère une délicieuse (malgré le sujet !) surprise dotée de l’acuité, de la mélancolie, de la violence sociale et sentimentale présentes chez un Maupassant, autre maître renommé de la nouvelle (en plein air, en huis clos) et observateur lucide, au bord de la folie, de nos cargaisons fragiles et futiles, de nos aventures tragiques et comiques d’espèce humaine écartelée entre le devoir et la destruction, la tendresse (virile, ici) et l’absence de merci. Un « film de zombies », Cargo, rien que l’énième illustration d’un filon métaphorique ressassé, dévalué ? Sûrement pas. Au lieu de perdre du précieux temps qui ne reviendra plus, prenez un peu du vôtre pour fixer la mort en face, la dépasser, y survivre (grandeur de l’horreur), car la nuit du lointain et proche cargo (une pensée pour Axel Bauer en sueur) vous illuminera, dans la lueur cruelle et suprême du mélodrame, miroir outrancier tendu aux vivants (donc, à l’occasion, aux morts-vivants) pour leur montrer comment ils vivent, se déchirent, s’unissent et disparaissent au final, mirage de la vie écrit sur du vent avec une encre fassbinderienne – ou australienne, par conséquent…      

           

Été violent : Dimanche d’août

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Valerio Zurlini.


Un été 42 transposé en Italie un an après ? Oui-da, jusqu’à un certain point, et l’on pensera aussi au Diable au corps de Radiguet (voire à celui d’Autant-Lara), à La Clef de Tinto Brass (noces historiques d’Éros & Thanatos, pulsions de mort et de vie dans le même lit), à Luciano Emmer (insouciance estivale et sensuelle, clin d’œil de notre sous-titre), à Fellini (vitelloni du bord de mer, oiseaux de nuit s’éclatant au cirque), à Antonioni, surtout, pour le milieu (favorisé, réfrigéré), pour la forme (personnages se parlant de dos, jeu sur la perspective et surcadrages, présence primée de la renoirienne Eleonora Rossi Drago, vue dans Femmes entre elles), pour la géométrie architecturale des sentiments (triangle amoureux ironique, puisque, la vie imitant l’art, Jacqueline Sassard, apparemment, partagea la vie du réalisateur avec une autre femme). Été violent, avec son titre à la Pasolini, constitue certes une belle histoire d’amour (hétéro) contrarié, mais encore et davantage un témoignage précieux, conçu disons une quinzaine d’années plus tard, sur la psyché transalpine en 1943. Zurlini et la grande scénariste Suso Cecchi d'Amico dressent un portrait assez impitoyable, pourtant dépourvu de manichéisme, de la bourgeoisie oisive et coercitive des abords de Rimini (il caro Valerio, alors  lycéen, passa lui-même un dernier été à Riccione, avant de s’engager dans le Corpo Italiano di Liberazione), sans oublier d’épingler l’héroïsme subit d’une partie de la population, à la tombée (littérale, via un buste chu) du Duce (en France, tout ou le monde ou presque intégra la Résistance à la Libération, mythe gaulliste voulu ciment national, démenti avec une rage froide par le Duvivier de Panique de retour des USA).



Mélodrame amoureux scandé par un thème martial, lyrique et récompensé de Mario Nascimbene (il se surpassa avec celui des Vikings de Richard Fleischer) – notons encore l’érotique boléro de Temptation, issu de Chantonssous la pluie, accompagnant une drolatique scène de danse, de connivence et de jalousie –, Été violent, dans la modestie de son argument, dans l’élégance de son noir et blanc (signé Tino Santini), raconte l’histoire (d’un petit « planqué », de surcroît fils de fasciste) à l’ombre de l’Histoire (la péninsule du mauvais côté puis du bon), tresse le drame sentimental à l’horreur d’un massacre mondial (Le Professeur situera pareillement, au même endroit, des amours estudiantines, sises et enserrées dans la grisaille ploutocratique et terroriste de la décennie 70). L’épilogue ferroviaire (Trintignant prendra itou Le Train en compagnie de Romy Schneider) se signale ainsi par sa cruauté, sorte de climax narratif et cinématographique (montage du maestro Mario Serandrei, collaborateur de Visconti et à l’œuvre sur La Fille à la valise) saisissant l’obscénité foncière de la guerre (et du trépas en temps de paix), notamment par l’entremise du décès de femmes (une survivante vire à l’hystérie) aux jupes relevées, aux pieds déchaussés, d’enfants étalés par terre, inertes (Zurlini joue même les Godard en coupant cutla musique sur le son sec d’une portière de wagon, refermée en tombeau de la romance).



Carlo (souvent remarquable Jean-Louis Trintignant, l’un des meilleurs acteurs de sa génération, ici ou ailleurs, tout en solitude existentielle et tendresse virile, doublé en VO par Paolo Ferrari, la voix italienne du même dans Le Fanfaron et, de façon surprenante, ou non, celle de Franco Citti dans Accatone ou de Cliff Robertson dans le florentin Obsession) et Roberta (juste et sculpturale Eleonora Rossi Drago, avatar italien d’Ingrid Bergman, accessoirement femme de Loth pour La Bible de Huston), in fine rattrapés par un conflit à la sauvagerie « souriante » posée dès le prologue maritime (partisan blessé en barque, V de la victoire par un soldat, mouchoir offert par une jeune femme), se séparent en mode Anna Karénine (hors le suicide), et l’appelé regarde hors-champ, erre lentement, sidéré par une violence enfin ressentie dans sa chair (tirs et bombardements, modulation létale du raidprécédent sur les parasols, l’identité des agresseurs de civils, cette fois-ci Alliés, alors de peu d’importance, en vérité). Auparavant, l’étudiant éternel deviendra le protagoniste d’une fable œdipienne, (délicieusement) coincé entre un ersatz de mère, veuve « scandaleuse » initiatrice aux dérisoires mystères du cœur et de la chair (pudeur de l’obscurité, de l’ellipse) et un père (excellent Enrico Maria Salerno, capable d’animer une silhouette en quelques plans, gestes, mots) excusé dans ses crimes, nimbé d’une énigme aimante (il épargna toujours le front à sa progéniture), sous-texte explicite qui participe du charme implicite de l’œuvre, limpide et cependant suffisamment subtile pour susciter une sorte de fascination mélancolique, d’attente impossible à satisfaire (le langage et le sujet du Désert des Tartares, adaptation inspirée de Buzzati, avec un Jacques Perrin en troufion métaphysique).



Oui, on gardera de ce grand petit film, découvert hier, de beaux souvenirs, des visages-paysages, des textures sonores, des élans et de la lucidité : une gamine effrayée par l’avion allemand en rase motte (Colomba, la fille de Roberta, au prénom immaculé chipé à l’insulaire de Mérimée) ; la raideur aristocratique et méprisante (« racaille » familiale pour qualifier l’entourage du béguin) de Lilla Brignone, bientôt génitrice de Monica Vitti dans L’Éclipse ; l’innocence désenchantée de la juvénile belle-sœur au prénom de pécheresse (Maddalena) ; la face de Trintignant éclairée de manière dramatique, en clair-obscur, à deux pas de la piste des clowns, les lumières du chapiteau soufflées par une menace aérienne (le spectacle boormanien, pyrotechnique, de la guerre se donnera également à voir à l’abri de la villa paternelle, remplie de disques de jazzet de peintures « modernes ») ; des radios vite éteintes ou collectivement écoutées, en coryphées de la tragi-comédie mussolinienne ; une première escale, en touristes, en amoureux, dans une petite ville et une seconde, projetée, jamais effectuée, au château de Gradara (lien géographique et symbolique avec les amants maudits, adultérins, de Dante, fameux couple, là-bas, de Francesco et Paola) ; un baiser à distance, épié par la jouvencelle hautaine, enfantine, sur fond de criquets nocturnes concoctés en studio par le Foley artist ; une casa del fascio prise d’assaut par une foule à la Furie de Fritz Lang ; un adieu définitif en plongée/contre-plongée, Eleonora aux faux airs ébouriffés de Monica.



La filmographie concise de Valerio Zurlini, enseignant, les derniers temps, au Centro Sperimentale di Cinematografia, pratiquant la direction de doublage (par exemple Voyage au bout de l’enfer pour l’Italo-Américain Cimino), qui mit fin à ses jours et à nos nuits au seuil de la soixantaine, outre les titres cités supra, demeure encore largement et injustement méconnue ; à sa façon poétique et politique (impossible de séparer les deux à nos yeux), rigoureuse et frémissante, Été violent s’avère donc une importante porte d’entrée sur son univers adulte, triste, sincère. N’attendez pas l’hiver de votre vie pour partager cette saison ensoleillée, endeuillée : Carlo et Roberta, couple banal et sublime enlacé à l’aube indiscrète sur une plage déjà envahie, son visage à lui lové dans son épaule à elle, la déesse marine échouée, renaissante, vivante, lestée de sable dans ses cheveux, sa cuisse à peine dévoilée par la robe entrouverte (l’érotisme, au cinéma, tient à cela), couple dépareillé, élu, troublé dans son intimité de cabane sous les étoiles par des hommes armés (comment concilier devoir et désir, émotion et action ; comment être un homme sans céder au machisme, au militarisme ; comment être une femme sans tenir les rôles « culturels » de putain, de sainte, de reproductrice, de matrone ?), vous attendent dans la nuit (antonionienne) et le plein soleil (à la Clément) d’une Brève Rencontre. Laissons celle-ci, intime, (re)tracée par ce texte public, se déposer discrètement, joliment, longtemps, avec la douceur du malheur, dans notre mémoire de cinéphile sudiste – et la vôtre…  


    

Tristesse et Beauté

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Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouir ;
— La puanteur était si forte que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir ; —

Baudelaire, Une charogne, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal

L’envie d’esquisser les traits d’une dichotomie, de suivre une divagation à propos d’une tension…


Le roman de Kawabata ? Le film de Joy Fleury (Charlotte Rampling, Myriem Roussel & Andrzej Żuławski, improbable trio d’une œuvrette soporifique) ? Un air de Rohmer, auteur d’un célèbre recueil d’articles joliment intitulé Le Goût de la beauté ? Oublions les liens plus ou moins évidents, continuons à nous poser quelques questions. Que représente la beauté aujourd’hui ? Quelle horreur se donne à voir, à ressentir ? Comment s’articulent au cinéma, en lui et par lui seul, ces deux aspects de l’existence adulte ? Malgré le bel extrait liminaire, on se gardera d’invoquer une transcendance, un « ciel antérieur où fleurit la Beauté » (Mallarmé, Les Fenêtres, Poésies) : rivés à l’immanence, même spirituelle, il nous faut trouver maintenant des raisons de vivre une vie sans raison, absurde jusqu’à la moelle, aux mots, aux légendes individuelles et collectives. Voyons les « choses de la vie » (métaphore interminable d’un accident routier au ralenti), ce ramassis d’absurdités, d’impostures, de blessures infligées à soi-même et autrui avec tout l’amour du monde, toute sa haine, aussi, et les pires meilleures intentions infernales, comme une vaste mythologie, un ensemble malléable. Le « film-réalité » de William S. Burroughs, tentons de le démonter, de le remonter à notre image. Projetons-nous au présent, ne restons plus passifs, asservis, assis dans la salle (ou le salon) devant l’écran. La « beauté du geste » se dévoile dans le mouvement, s’étire dans le temps. Le « septième art » – hiérarchie de comptables, de récipiendaires de récompenses, d’intellectuels et d’esthètes dégoûtés par les origines foraines, plébéiennes, impures et mercantiles de la « machine à découdre » (Mocky à main armée) la réalité – porte sa double nature y compris dans le terme intégral (privé d’apocope, donc) qui le désigne.

Inscription de l’élan, souvenir reproduit, sans cesse réactivé (avant la « dernière séance », le « fondu au noir » foutrement définitif), déploiement polyvalent (doué d’ubiquité) du « temps scellé » (nostalgie de Tarkovski), le « cinématographe » ne peut se confondre avec la publicité, autre artefact d’artifice et de commerce. Tandis qu’elle travestit, ramollit (même parée de la bien-pensance alarmiste du « message » prophylactique à faire passer, viaune finesse éléphantesque, auprès de téléspectateurs et d’internautes supposés lobotomisés), réunit les « différences » au sein d’un dépliant universaliste et euphorique (l’effet Benetton, disons) à la gloire du produit, du service, du site (l’univers humain réduit à une extension en ligne, toujours payante sous le masque de la gratuité), il dénude (injuste grandeur du X puéril, automatique, aux émotions premières, au sordide essentiel), « radicalise » (le regard, des deux côtés du miroir de toile ou de verre) et sépare (mosaïque de pratiques, de lectures, de « niches » et d’intentions). Nul manichéisme dans l’opposition, plutôt une frontière poreuse (Ridley Scott, par exemple) et des crimes partagés (le cinéma ment constamment, peut-être ne dit-il la vérité que dans la naïveté de la propagande). Nous désirons notre dose opiacée au quotidien, nous voulons une beauté pasteurisée, inoffensive, sympathique. La joie de Bridget Jones nous va (terreur répandue, sexiste, de la « comédie romantique »). Le juke-box sonore et coloré de Benoît Debie convient à nos pupilles cernées par la grisaille du réel, des actualités, du travail. La splendeur de paysages hors d’atteinte, apportés à domicile « sur un plateau » (de studio), comble nos cœurs voyageurs et sédentaires, avides d’exotisme à distance et tout confort.

Pourtant gît dans le panorama et la stroboscopie, dans les silhouettes retouchées ou la joliesse monétisée (sinon fasciste, dictature douce et désespérante) une tristesse certaine, non plus imputable à un paradis souvenu, perdu, mais en signe d’inassouvissement, de vide, d’incomplétude. La filmographie de David Cronenberg, certes moins « graphique » depuis plusieurs titres et décennies, propose quant à elle une alliance similaire et radicalement différente. Cinéaste de la mélancolie et de la métamorphose, le Canadien parfois un peu mesquin (envers ses « petits camarades ») sut conjuguer déréliction existentielle et dérèglements organiques lestés d’une horreur à la fois repoussante et attirante (cf. la pietà fraternelle, voire homo, des jumeaux Mantle). Vivre tue, filmer également, évidemment et littéralement (snuff movie de n’importe quel tournage, mort à l’œuvre paraphant chaque plan) et la beauté, celle que l’on nous vend, celle que l’on nous impose, voudrait nous consoler de cette indéniable cruauté, évite de frayer avec des « genres » a priorirétifs, s’emploie minutieusement à retrancher tout élément de malaise, de mélange, de trouble (eugénisme du cinéma numérique, de la 3D, de la promotion aseptisée). Trop souvent, la caméra renonce, se couche, détourne son axe de prise de vues sous l’emprise d’un cahier des charges, d’une bienséance insupportable, du diktat des rêves, du sens, du formalisme. Les films s’apparentent dès lors aux chinoiseries, fameux simulacres aux relents colonialistes censés contenir les mystères mystifiés de l’Asie perçue par les marchands d’Occident au dix-huitième siècle (retour au papillon transgenre de John Lone et Jeremy Irons).

Redéfinir les canons de la beauté, savourer celle de la monstruosité, oser l’association des contraires, sucré/salé audiovisuel au goût d’inédit – la triple exigence, nécessaire, ne suffit pas. « Les gens heureux n’ont pas d’histoire », affirme la bêtise populaire, adage vite démenti par une large part de l’imagerie étasunienne, la pursuit of happiness (Stanley Cavell étudia sa prégnance dans la « comédie sentimentale ») en quelque sorte tissée à l’ADN national, dans le sillage d’Européens imaginant leur destin doré au-delà de l’Atlantique, fiction commune naturellement optimiste, ressassée en cycles à l’occasion des conflits et des crises. Le bonheur reste itou à réinventer, à filmer sans rassurer, consoler, cajoler. Le malheur, on connaît, sauf les pierres et les trépassés, endormis pour l’éternité dans leur armure de roche ou de pourriture. Il règne en maître à penser, ouvre des succursales globales, constitue un horizon fermé sur le deuil confortable des possibles (épuisante énergie requise afin de lutter contre les mille inerties d’un art et d’une société). Sauvegardons la beauté, à l’instar de l’obsédante Geneviève Bujold dans sa Florence proustienne, et tentons de reconquérir le droit au sourire (pas celui de la joie du pire, du plaisir de détruire) durant les heures sinistres, face aux métrages d’un autre âge, le pathos d’une époque capable de débattre sur les limites morales d’une « superbe » photographie d’enfant migrant noyé davantage que sur le cadavre lui-même, acte immobile, irréversible, irréductible à un cliché (ou à sa cohorte de signifiés symboliques, politiques, scandalisés, sentimentaux), lancé au visage médiatique telle une gifle inutile, tel un sursaut emporté à son tour dans les flots de l’oubli (les noyades continuent, les exils, les espoirs, les interrogations, les profits).

La beauté baudelairienne, soie d’effroi nouée en avertissement autour du cou de l’élue, avant-goût de ce qui l’attend (et nous avec elle), reformulation vivace (la charogne se survit à elle-même, dans un grouillement propre à ravir les épris d’entomologie) de la rose mignonne de Ronsard, nous servira provisoirement de « phare », de « proposition » (quel vilain mot programmatique) de cinéma. Dans la dialectique de la tristesse et de la beauté, du profane et du sacré, du fric et du sperme, adviendra, prenons le pari, un dépassement nietzschéen vers l’ardeur traversant le malheur, le sublimant, le transmuant. Au bout du chemin, pas d’utopie ni de promesse : simplement la « grande santé » de la dépense, de la générosité à perte, « part maudite » à la Bataille pour conjurer l’obscène jovialité, le rose morose, l’insondable laideur des mœurs contemporaines (par conséquent de leur imagerie). Le cinéma nous apprend une beauté qui n’appartient qu’à lui et nous incite, au mépris de ses compromis (des nôtres), à relever la tête en quête d’étoiles terrestres, d’éclats de plénitude, de bonheurs éphémères et avérés. À défaut de « danser sa vie » (manque de souplesse inégalitaire), de visionner d’innombrables chefs-d’œuvre (rareté de la radicalité, de la vérité), essayons de débusquer la beauté (inoubliable fossette de Sandrine Bonnaire, pluvieuse et solaire chez Maurice Pialat, femme attachante et actrice supérieure à son corpusde « carrière », par ailleurs auteur d’un beau portrait de sœur « étrangère », douloureusement proche), de ne pas céder à la tristesse, de célébrer des œuvres, des êtres et des idées incarnées – au cinéma et par-delà.   
   

The Collector

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            Je collecte, tu commentes, nous colportons nos émotions…


Selon leur éducation, leur horizon, leur prédilection, les cinéphiles penseront à William Wyler (L’Obsédé, adaptation française trop explicite, presque un contresens), à Brad Armstrong (de l’usage d’une brosse à cheveux et de masques tribaux dans le X US + Jessica Drake for ever) ou à Éric Rohmer, adepte reconnu du classement ludique. La collection, on le sait, peut vite virer à la compulsion, à l’obsession (justement), à l’embaumement des papillons. Au siècle dernier, on assemblait les VHS, puis vinrent les DVD, désormais les BR. L’avantage d’une anthologie en ligne saute au visage avec la même vélocité que la superbe et terrible créature de Giger perforant le sternum du bien nommé John Hurt : fini de tapisser les murs avec des souvenirs portatifs ; oubliée, la question (et la gestion) de l’espace (domestique, pas stellaire). Le numérique, work in progressà la capacité de stockage quasiment illimitée, externalise aussi les passions, permet de les partager, de se faire caresser ou gifler pour un mot, une image (cela me va, je ne me soucie que de mon propre jugement, et encore). Cette mosaïque mondiale nous identifie, bien sûr, elle constitue un « portrait chinois » globalisé, une sorte de patchworkdoué d’ubiquité, un « musée imaginaire » et virtuel à étoffer ad libitum (ou ad nauseam, selon les points de vue). Comme Victor Frankenstein, baron sacrilège atteint d’hubris, entendait recréer la vie à partir de pièces détachées piochées dans les cimetières et les morgues (chacun se réinvente au quotidien via des événements, des lectures, des sentiments, des usures, métamorphose invisible plus spectaculaire, dans sa trivialité, que les boulons de Jack Pierce dans le cou de Boris Karloff), les thèmes retenus, parcourus, illustrés, diffusés, nous reflètent en un miroir brisé, aux éclats obscurs.

Sur la page ci-dessous, vous trouverez ainsi des livres dignes d’être lus (ça ne court pas les rues contemporaines), de belles preuves de l’existence de la filmographie britannique (n’en déplaise aux mânes de François Truffaut), les bouquins de Stephen King sur grand écran, parfois petit, le cinéma d’Italie (avec un patronyme pareil, murmurent ceux qui méconnaissent mon insularité), une année de « septième art », au hasard (d’une découverte livresque de bazar), la Shoah et autres réjouissances, l’Asie chérie, des glaces fugaces, de la musique dansée, chantée, des visages en noir et blanc, présents dans leur absence, l’été, invincible (Camus, of course) ou nuageux, des filles du feu différentes de celles de Nerval (quoique), des actrices de X (oxymoron ? Presque), la psyché au ciné, la bouffe (surtout grande) du corps et de l’esprit. Dernier ajout en date (je patientais pour visionner un ratage tardif sur ARTE), une quarantaine de posts (et une centaine d’images, disons) consacrés à Stanley Kubrick, déjà croisé ici. Les innombrables et inaltérables raisons d’aimer les films de SK ne manquant pas – je laisse l’exégèse à Michel Ciment et Michel Chion, auteurs d’ouvrages importants, auxquels je rajoute un instructif dossier de Positifédité par Rivages et un bel albumregroupant son travail de photographe –, il me sembla pertinent (ou préférable, plutôt) de laisser les images parler d’elles-mêmes (nous parler de nous) au lieu de pérorer avec des mots réducteurs, dont ses poèmes audiovisuels surent magistralement, régulièrement, se passer (mais il lui fallait tomber amoureux d’un roman, quitte à en médire par la suite, pour l’adapter, le transformer, le reconstruire, et critiquer le langage n’équivaut certes pas à s’en passer, à le maltraiter). Bon voyage(s) immobile(s) et au plaisir de visiter les vôtres... 


Une femme libre : Sandrine Bonnaire, aujourd’hui et hier

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Petit croquis d’une actrice atypique…


On pardonnera toujours beaucoup à Sandrine Bonnaire, notamment d’avoir soutenu, naguère, une certaine Martine Aubry, incarnation exacte, sinon caricaturale, dans l’arrogance de son incompétence, d’une large part du socialisme français contemporain (que « ces gens-là », comme persiflait Le Luron en Brel, osent encore se dire de gauche relève de l’abus de langage et paraphe une imposture politique). Certes, elle épousa un acteur célèbre (William Hurt, excellent chez Ken Russell, Michael Apted, Héctor Babenco ou David Cronenberg, il participera d’ailleurs à la première réalisation fictionnelle de son ancienne compagne, J’enrage de son absence) et un scénariste renommé (Guillaume Laurant, alterego de Jean-Pierre Jeunet) ; bien sûr, elle cumule deux César, une Coupe Volpi vénitienne, on la vit là-bas à la Mostra puis à Deauville et Beaune, trio de festivals sous le signe de l’Italie, de l’Amérique et du polar (elle vice-préside aussi le romantisme selon Cabourg) ; évidemment, elle occupe depuis trente-cinq ans une place connue et reconnue au sein du cinéma français (au théâtre, elle joua Bertolt Brecht, Jean-Claude Carrière et… sa propre prose). Mais elle n’appartient pas, ni par sa naissance, ni par ses accointances, à la « grande famille » des « professionnels de la profession » hexagonaux, pas seulement, en tout cas. Venue à Maurice Pialat presque par erreur (audition de sa sœur Corinne, cliché avéré de l’élection par procuration), après d’oubliables (et oubliés) débuts chez Claude Pinoteau et Claude Zidi (La Boum et Les Sous-douésen vacances, diptyque fatal auquel rajouter, par pure perversité, le Diabolo Menthe de Diane Kurys afin obtenir un époustouflant panorama d’une certaine jeunesse nationale durant trois décennies), Sandrine Bonnaire provient d’un « milieu populaire », tel que le désignent ceux qui n’en font pas partie, qui le méprisent avec bienséance.



Fille d’ouvrier (père ajusteur), d’une génitrice absente (mère sectaire), elle ne put se targuer d’origines génétiques, de la gloire (provisoirement usurpée) d’un patronyme, de l’éducation d’une formation (privée) pour accéder à un milieu relativement fermé, volontiers syndiqué, consanguin, incestueux, autarcique. Sa carrière, la Bonnaire (familiarité lexicale nordiste) ne la doit qu’à elle-même, à son talent, à sa beauté, à ses rencontres professionnelles et personnelles. Cela nous va, ceci nous la rendit sympathique (quand on disposera de plus de temps, on se souciera, ou pas, du malheur des pauvres petites filles riches, de leurs ascendances installées, de leurs velléités scéniques). Femme de caractère (on savait pour l’épisode du fumier déposé à l’entrée de Voici, on y assista quasiment en direct) et de générosité (activité caritative à l’adresse d’enfants « différents », complicité chantée, « biographée », avec Jacques Higelin), elle co-écrivit un livre (pas encore lu) de conversations autobiographiques et réalisa un émouvant portrait (TV itou) consacré à Sabine, autre membre éminent et « déficient » de sa « sororité », dans lequel la justesse et la tendresse de son regard irriguaient chaque plan et chaque élan (d’affection, de parole, de dialogue), coup d’essai remarquablement maîtrisé à la quarantaine. Sandrine Bonnaire, contrairement à d’innombrables consœurs interchangeables, vite découvertes, projetées (dans les médias), remerciées – impitoyable lessivage des rêves sales de gamines nubiles, traitées en matières premières éphémères –, possède une vie, une histoire, un devenir. Sa filmographie (sur la « petite lucarne », on l’apprécia surtout dans le languissant Signature et l’insipide Rouge Sang) accompagne et témoigne de ce poids d’existence, de présence au monde face à la caméra, également par-delà (qualités de personnalités talentueuses et attachantes esquissés précédemment sur ce blog).






Tout n’y brille pas d’un similaire éclat, loin de là (elle joue bien mais elle choisit mal ses rôles, affirmait le perspicace et si peu lisse Maurice) ; tout, cependant, dénote un « naturel », une aisance et un érotisme discret (force de vie davantage qu’étalage inoffensif, simulé, de sexualité filmée) participant de sa séduction d’ensemble, de son « capital affectif » (voici parler en comptable sentimental, je sais, je m’en amuse) auprès des Français et des autres. Outre un superbe trio signé Pialat (À nos amours, sur la proue d’un voilier, sa robe faussement virginale agitée par le vent et la voix spectrale de Klaus Nomi refroidissant Purcell au soleil, matrice apocryphe du requiemde Giorgio Moroder pour Scarface, suivi de Police, l’occasion d’une gifle mémorable pour Sophie Marceau en « beurette » de commissariat, et Sous le soleil de Satan, film enténébré, éprouvant, où elle sut rayonner en Mouchette sacrifiée), on retiendra le surfait Sans toit ni loi d’Agnès Varda (la légende dit que la comédienne poussa le zèle, ou le vice, jusqu’à ignorer l’hygiène le temps du tournage et du personnage, Dustin Hoffman, essoufflé pour de vrai en Marathon Man, peut par conséquent aller se rhabiller !), l’anémique Quelques jours avec moi (Daniel Auteuil dans une tragi-comédie de Claude Sautet), le « repassé » Monsieur Hire (Patrice Leconte, admirateur sincère du Panique de Julien Duvivier, tentait de se réinventer en réalisateur « respectable » avec ce drame de la solitude amoureuse hélas désincarné, apprêté en story-board animé live, où l’actrice, piégée par le dispositif formaliste, peinait à faire oublier la sensualité intéressée, cynique et empoisonnée d’une Viviane Romance, pécheresse issue de l’épuration à la Libération), l’attirant Dans la soirée (lire nos souvenirs attendris de Francesca Archibugi), l’intrigant Jeanne la Pucelle de Jacques Rivette (fit-il mieux que Carl Theodor Dreyer, Otto Preminger ou Robert Bresson? Fit-il pire que Luc Besson ? Mystère à éclaircir avant de mourir, tandis que la muse retrouva son cinéaste sur Secret défense), le très peu révolutionnaire La Cérémonie (marxisme de droite – ne tue pas tes employeurs-exploiteurs sous peine de t’attirer en boomerang l’antipathie outragée du spectateur conservateur, conforté dans son idée que finalement, les domestiques, de surcroît analphabètes, faut foutrement s’en méfier, moralité scolaire trahissant la complexité fantasmatique des Bonnes de Genet ou l’écriture racée du roman de Ruth Rendell ; notons l’intéressante confrontation amicale avec Isabelle Huppert, actrice classée « cérébrale », au pedigree, au jeu et au parcours paresseusement opposés, alors que la rousse Médée divertit chez Josiane Balasko ou bouleversa chez Guillaume Nicloux), l’anodin Au cœur du mensonge(reprise pour Claude Chabrol, ici desservi par une distribution à l’unisson, via l’épouvantable duo Valeria Bruni Tedeschi/Antoine de Caunes), un doublé (entrecoupé par le supportable C’est la vie, de Jean-Pierre Améris, au Jacques Dutronc en soins palliatifs, et le létal Femme fatale, ou l’immense et méta Brian De Palma égaré dans des toilettes saphiques à Cannes, dans la baignoire onirique d’une escapade parisienne) commis par Philippe Lioret (l’auteur atone du bien-pensant Welcome) en mode romance d’après l’ami Ricoré (Mademoiselle) + mélodrame maritime (L'Équipier) sauvé de la noyade par une robe d’été relevée sur les cuisses ou la partition du trop rare Nicola Piovani et, last but not least (pas vu, pas pressé de le voir), un Claude Lelouch en forme d’oxymoron (Salaud, on t’aime) avec Johnny Hallyday (récemment, elle présentait à Laurent Delahousse un métrage « pédagogique » sur la « radicalisation » adolescente, Le ciel attendra de Marie-Castille Mention-Schaar).






Retour (brutal) au réel : les amateurs de fait divers ou les admirateurs de Sandrine Bonnaire n’ignorent pas qu’elle vécut un épisode « christique » (pour ses trente-trois ans) lui faisant éprouver dans sa chair (et sa mâchoire) la violence urbaine de notre époque. Qu’importe, car cette survivante souriante ne se laissa pas abattre, ne perdit ni sa délicieuse fossette soulignée par un Pialat paternel ni son goût pour la vie (j’adapte le titre d’une biographie de Liz Taylor par Donald Spoto, joliment baptisée A Passion for Life). Si l’humanisme (ou l’humanité) tendrait à nous donner la nausée, au cinéma et au-delà, si chacun (et chacune) abrite sa « part maudite » (Bataille), sa nuit intime, la lumière de Sandrine Bonnaire continue à nous éclairer, à intervalles réguliers. Que cette femme « bien » (comme on dit « quelqu’un de bien »), souvent radieuse et parfois d’une grande gravité (observez son visage au charme asymétrique, à l’attirance singulière, non formaté par le jeunisme, non défiguré par la joliesse, maux cinégéniques hollywoodiens, capable de combiner les deux émotions, de passer de l’une à l’autre en un quart de seconde, une face fugace à ravir le John Cassavetes de Faces, et nul doute que Sandrine B. doit apprécier Gena R.) persiste longtemps encore à nous donner de ses nouvelles, à incarner avec proximité, finesse, douceur et ardeur une liberté (j’emprunte le titre de l’article à Jill Clayburgh cadrée par Paul Mazursky) féminine et existentielle, valeureuse, précieuse, adulte et citoyenne (mot problématique, notion dévoyée, tant pis, ils la définissent aussi, pour le meilleur et le pardonnable). Les (vraies) femmes libres ne courent pas les rues, en 2016, malgré quarante ans de féminisme, pas plus qu’elle n’occupent les écrans (ne tiennent une caméra), petits ou grands, en dépit de panoplies ou de stéréotypes piètrement piqués à l’imagerie masculine (les armes infantiles, le pouvoir politique). Raison supplémentaire de chérir simplement la « simple » Sandrine Bonnaire, actrice remarquable, supérieure à sa carrière, et femme vivante, exigeante, résiliente, à des années-lumière du strass, des paillettes et des courbettes – à ses films, à ses enfants, à ses créations et à ses amours (de « septième art »), oui, finissons ainsi.   
      


Three : Affliction

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Fais-moi mal Johnny chantait Magali Noël sans Fellini mais pour Boris (Vian, évidemment) ; et Mister To nous afflige, en effet, illustrant la sagesse supposée populaire toujours rétive à se faire hospitaliser, au risque d’en sortir dans un état encore pire…


Il faut s’infliger jusqu’à la lie cette purge anémiée, désincarnée, éclairée au néon de bloc aseptisé, pour bien se rendre compte, cruellement diagnostiquer, l’état de mort cérébrale d’une large part du cinéma de HK. Le film, significativement, se situe dans un hôpital, au service des urgences, et rassemble une chirurgienne, un flic et un voyou. Les comédiens (talentueux Zhao Wei, Louis Koo & Wallace Chung), contaminés par l’inanité de leurs « personnages », se bornent à figurer en silhouettes ennuyées la culpabilité, l’inflexibilité, l’insolence. Elle bouclera la boucle traumatique avec une opération réussie, il démissionnera nanti d’un bras cassé, il deviendra légume au lieu de citer, en petit enfoiré cultivé, les fondements de la déontologie médicale, Bertrand Russell et le Lévitique. Huis clos dès le premier plan – surcadrage sur la fenêtre de la salle de travail –, ce placeboindigne de Johnnie To se voudrait, qui sait, avec son respect des trois unités, une relecture de la structure de la tragédie classique, en mode polar et simulacre de temps réel. Hélas, il s’avère en effet tragique, pour d’autres et très exécrables raisons. La réalisation du producteur se borne à de courts travellings circulaires/latéraux incessants, à des placements d’acteurs dans le champ du Scope comme pouvait les pratiquer, cinquante ans en arrière, un Antonioni (« incommunicabilité » de fantoches minables). On s’y livre à de la chirurgie cérébrale (un gros plan de la doctoresse depuis l’intérieur du crâne ferait assurément bander Dario Argento) mais il conviendrait plutôt d’opérer le cinéaste, de le ranimer fissa, de lui faire reprendre ses esprits et sa cinéphilie (il se permet même un clin d’œil au Cuirassé Potemkine, le landau  remplacé par un fauteuil roulant, assorti d’une guérison de paralytique à la Folamour, au secours !).


Le spectateur résistant, à défaut d’être indulgent, découvre alors sidéré le climaxde l’œuvre, une fusillade au ralenti, en apesanteur (les cadavres y voltigent), élargie sur six interminables minutes et enrobée du sirop sentimental d’une chansonnette susurrée par une nymphette sans doute diabétique (en réalité, la soprano de cantopop Ivana Wong, née en 1979), entrecoupé par quelques mesures, petites et nocturnes, de Mozart (jadis annexé par Morricone pour Leone et sa révolution entre hommes). L’ami Johnnie jette le masque et dévoile son vrai projet : répondre au lyrisme dantesque du passeport hollywoodien de John Woo, l’iconique et pareillement hospitalier À toute épreuve. Serment d’Hippocrate déchiré par le numérique (l’abus de CGI nuit gravement à la santé oculaire et mentale), on assiste ébahi à un déferlement de mouvements (tourné live, affirme la critique conquise de Variety, précisant que le tout nécessita trois mois de répétition ; Maggie Lee nous apprend aussi que le titre chinois, qu’elle traduit en Three People Walking, vient de Confucius, cela nous évoquant le Peckinpah des Chiensde paille inspiré par une expression de Lao Tseu, par ailleurs possible contemporain du penseur) englués dans la gangue du jeu vidéo, à un massacre light dont la virtuosité s’apparente à celle d’un étudiant en cinéma (« race » redoutable, en vérité) découvrant l’extase méta du plan-séquence (non, je ne parlerai pas, pour une fois, de l’obsessionnel et obsédant De Palma, ni de l’ouverture mémorable de Breaking News). Mon Dieu, un unique souhait, peu généreux et cependant juste dans sa rage refroidie, nous vient du fond du cœur, des yeux et de la mémoire face à un tel déballage d’inepties (bombes planquées dans des poubelles, antagonistes suspendus dans le vide à un drap et à un… tuyau d’incendie) : qu’ils crèvent tous (dirait le hors-la-loi sauvage et suicidaire de Peckinpah, bis), qu’ils aillent tous se faire foutre dans leur néant d’enfants (To atteint la soixantaine, quand même).


Three, à sa manière virtuelle, exsangue, risible et impardonnable, constitue, et croyez bien que cela m’arrache la gueule et le clavier d’avoir à le formuler, un faire-part de décès d’un réalisateur « mineur » parfois inspiré, surtout d’une industrie réduite à l’ombre d’elle-même, ersatz de la grâce, de la folie, de l’inventivité d’hier. Laissons le passéisme à ceux qui en font le commerce ou aiment à y macérer ; limitons-nous à déplorer ce calvaire ressassé, incompréhensible, futile et mesquin dans son dessein (faire du fric, whatelse, objectif mercantile moyennement atteint) autant que dans son dessin (de l’être humain, condamné, évanoui, fantôme de beauté, de blessure, de chair et de maladie). « Grand film (formaliste) malade » s’interrogent avec espoir les (rares) fans récalcitrants ? Détrompons-les, tant pis, rappelons-leur l’intrigant et décevant Mad Detective (co-dirigé avec Wai Ka-fai), malgré un excellent Lau Ching-wan, ou l’inquiétant et symptomatique Vengeance, naguère porté par le cacochyme Johnny Hallyday flanqué de l’insupportable Sylvie Testud, exercice de style à la Melville (« Francis Costello », sérieusement ?) duquel on décrocha au bout de moins d’un quart d’heure, la vie (a fortiori la mienne) foutrement trop courte pour subir de mauvais métrages (punition masochiste d’hier soir, donc). Ils ne trouveront ici, aujourd’hui, qu’une affreuse tumeur superfétatoire, à vite extraire de sa rétine et du corpusd’un auteur pour l’heure cantonné au pavillon terrible des soins palliatifs, autrefois l’un des acteurs majeurs d’une cinématographie à laquelle nous devons tant, hors la complaisance et la demi-mesure. Allez, on oublie vite ce faux pas en (à) blanc et l’on se dépêche, avant de « passer l’arme (du braqueur) à gauche », de se rendre à son renommé, probablement mieux portant, Election


En double bonus, le site de l’ami Jamel, grand connaisseur des filmographies d’Asie, et un intéressant « monologue » de Xavier Jamaux, collaborateur appréciable des productions Milkyway.        

The High Frontier : Essential Killing

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Quand les Chasseurs dans la neige de Pieter Brueghel lAncien (l’une des toiles favorites de Tarkovski) jouent au « jeu le plus dangereux », naguère pratiqué par le comte insulaire de Schoedsack (& Pichel)… 


« N’importe qui deviendrait cinglé ici » : d’emblée, The High Frontier s’inscrit dans le sillage de The Thing et Giorgino, retravaille l’angoisse et la paranoïa suscitées par l’immensité enneigée. Un père (anciennement) garde-frontière, deux fils adolescents, un passeur rescapé d’un « accident » – le drame (de chambre) peut se mettre en place au sein d’un chalet (flanqué d’une prison) cerné par l’horizon blanchi, aboli. Le film commençait en pleine nuit, sur une route éclairée aux phares, dans un habitacle où sommeillait Janek (diminutif affectueux, équivalent local de notre Jeannot), avec à la radio une station religieuse évoquant le fruit sacré des entrailles de Marie. Il s’achève en plein jour, dans une aube endeuillée, sans une once de miséricorde pour ses protagonistes, damnés réchappés de vacances infernales, supposés formatrices, qu’ils n’oublieront jamais, même sur le chemin de la base, du retour à la « civilisation ». Wojciech Kasperski, trentenaire recouvert de prix pour ses opus courts, élève à Łódź (tels Bartkowiak, Munk, Polanski, Skolimowski ou Wajda), expert culturel pour le gouvernement, accessoirement documentariste en Sibérie et admirateur du Dalaï Lama, filme avec élégance (monochromie en noir, blanc puis bleu) et classicisme (chaque plan possède une sûreté de cadrage, de durée) sa fable très cruelle sur la masculinité, en Pologne ou ailleurs. « Sois un homme » dit le veuf en égorgeant un chevreuil renversé par sa voiture tandis qu’il changeait de fréquence, et le cadet (Tomek) insultera son frangin de la même manière que Konrad, l’intrus tatoué, patibulaire, via un explicite « Petite pédale ». Huis clos, home(et homme) invasion, survival, parabole, The High Frontier (entre les valeurs morales) se tient tout entier entre ces deux extrêmes, ces deux conceptions, impérative ou péjorative, de la virilité.



Les femmes, elles ne font que de la figuration, comparses avinées lors de l’accueil initial, survivante-migrante voilée (Alicia, clin d’œil à Lewis Carroll ?) promise à récolter une balle dans la tête (chronique d’une mort annoncée, à peine retardée, en quête de meilleurs lendemains que dans les nations limitrophes) ou mère solaire immortalisée par une photographie pliée au creux d’un livre. Cela se passe entre mecs, cela nous montre en loups pour nous-mêmes, selon la pensée de Hobbes reformulée à sa sauce (il vomit son pays, peuplé de « connards envieux », traîtres et impitoyables) par le visiteur létal du soir (de l’âme). Konrad (écho du Wallenrod de Mickiewicz ?), philosophe nihiliste, exécuteur par pragmatisme, nous évoque l’affable et terrible Charlie, oncle tueur en série (et en épiphanie « pédagogique ») pour le Hitchcock de L’Ombre d’un doute. Ancien garde-frontière lui-même, remercié à cause de sa « petite entreprise » lucrative, il se voit proposé par son ancien supérieur de foutre le feu à sa camionnette coincée dans un canyon réfrigéré, histoire d’effacer toutes les traces de son vil commerce, et les poursuites collatérales. La figure de l’autorité, incarnée par Lech, ogre hédoniste, sympathique et brutal, s’allie donc à celle du hors-la-loi pour conserver tout ceci entre soi (les deux hommes en viennent à rire au sujet de la suppression de Mateusz, père honnête et larmoyant parti à la recherche des blessés). Pris dans la nasse d’une impasse psychologique (le film pourrait s’adapter en pièce de théâtre, ou faire l’objet d’un remake hollywoodien davantage musclé, manichéen), confronté à des modèles incomplets ou repoussants, Janek sortira de l’aventure existentielle en portant sur son visages les stigmates d’une lutte avec un diable au fond bien familier, intime plutôt qu’étranger, après s’être vu révélées sa propre violence et sa « part maudite » déjà éclose.



Sa belle petite gueule d’ange ravagée par les coups, Christ gracile flanqué de son père et de son frère tout sauf indemnes, il marche difficilement, regarde devant lui, sidéré par ce qu’il vient de vivre et d’affronter. Le Mal, on le sait, n’adore rien tant que l’Innocence, sa corruption définitive (adjoint amateur de blagues salaces en transfuge volontaire), et Konrad, en bonne logique symbolique, succombera une première fois à l’essence et à la lampe à pétrole balancée par le cadet, avant d’être achevé à coup de pavé par l’aîné (par pitié mal avisée, il épargna les bambins assassins). Ainsi s’éduquent les « jeunes pousses » au (grand) large de Varsovie, ainsi deviennent-ils des hommes d’une façon qui ravirait peut-être Rudyard Kipling. Tragédie moderne respectant les trois unités de son homologue classique, The High Frontier déploie (en Scope) dans son espace confiné, calfeutré, ouvert à un danger identitaire, une moralité dépourvue du moindre espoir (aucune couleur ne vient égayer l’ensemble graphique). Ce film simple, limpide, maîtrisé, assez racé, atteint dans l’horreur discrète une grandeur insoupçonnée le temps d’un plan de la coda. Mateusz, à gauche de l’équipage (position « sinistre », dans le double sens du terme, et religieusement connotée dans l’imagerie d’une culture polonaise ou européenne majoritairement catholique, malgré la présence médiatique et diégétique de l’islam), sourit à ses fils (Janek se situe au centre, à « l’avant-poste » du maigre cortège, incarnant dans sa chair meurtrie l’appel à l’aide inutile lancé sur les ondes stériles, avec Tomek à la droite du spectateur). Il ne s’agit pas d’un sourire d’encouragement, de délivrance, de survivance mais bien de la grimace méphistophélique d’un « père truqué » (dirait Philip K. Dick), content d’avoir goûté au sang, qui se félicite de sa progéniture in fine transformée en guerriers traumatisés.



Oui, à la modestie de sa mesure, avec une économie narrative et expressive à l’image du paysage (stase hivernale miroitée dans la « transparence » précise de la réalisation), The High Frontier finit par vraiment refroidir au moyen de cet énoncé, encore plus glacé que la température du décor (belle sensation de froid, sounddesign primé, partition « atmosphérique » à l’unisson). Finis, les jeux à la con avec un couteau entre marmots, oubliées, les larmes versées dans l’alcool si peu réconfortant. Désormais, Janek & Tomek, du sang sur les mains, la terreur au cœur, des souvenirs ineffaçables à l’esprit, fondateurs de malheur, peuvent vivre sans lui, grandir en adultes revenus d’entre les morts, purifiés de leur enfance par la neige et le feu. On ignore ce que deviendra Wojciech Kasperski, quel tour ou détour prendra sa carrière à venir ; il convient cependant de découvrir son premier long métrage radical et accessible, récit de résistance, de résilience hors de prix, enserré dans la gangue confortable du thriller en vase clos et au nombre de personnages réduit (la distribution générale ne mérite que des éloges). Initiatique et abstrait, intense et languide, sauvage et réfléchi, Na granicy (littéralement, « à la frontière ») nous raconte une allégorie purement masculine sur la perte (à main armée) et le deuil (multiple) de l’enfance, sur le passage immobile à « l’âge d’homme » (pas celui de Michel Leiris, épris de corrida sudiste), sur l’appartenance à la meute sociétale de l’espèce, y compris aux confins de son territoire.

Tune tueras point implorait Kieślowski en s’inspirant du Décalogue, en le transposant dans la réalité polonaise (et universelle) de la fin des années 80 : vingt-cinq ans plus tard, l’odyssée de poche reprend le constat eschatologique et mélancolique de Carpenter et Boutonnat (ah, la cinégénie eugéniste de l’ironique immaculé), en donnant à voir, à ressentir, que les pères et les fils, au mieux s’ignorant, ne se comprenant pas, au pire se détestant mutuellement, s’isolant sur la seule île de la famille, peuvent partager leurs crimes et leur instinct de survie, leur férocité fondamentale, à deux doigts de la surface festive, et leur douleur première, cette béance en eux, inguérissable et impardonnable, qu’ils tentent parfois, en vain souvent, de combler en s’enfouissant dans le vide (l’ouverture) attirant et vivant des amoureuses, des épouses, des compagnes, des maîtresses, des mères, des célibataires, des sœurs, des amies, elles-mêmes tournées, presque naturellement, même sans enfant, vers la vie. Aux hommes (je généralise à dessein) blessants et blessés, il ne reste dès lors qu’à s’entre-tuer les uns les autres (prétexte actuel du terrorisme, alibi éternel des conflits) avec une ardeur et une régularité dans lesquelles traquer, en pure perte, une étincelle de présence et de sens, comme si cela pouvait enfin réchauffer leur âme, leur corps et leur cœur effroyablement glacés. 

        

As Fábulas Negras : Ces garçons qui venaient du Brésil

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Quand la fille (bien loin) d’Ipanema croise la créature des bois (le Saci sautillant)…


Quatre gamins brésiliens, déguisés en super-héros locaux (Aigle Doré, Faucon Noir, Grand Bleu, Scarabée Rouge), s’affrontent dans une forêt, se racontent des histoires « à glacer le sang » : l’ouverture ludique expose innocemment un dispositif méta au carré (préhistoire de l’art en noir et blanc muet, avec son du projecteur), enraciné dans les origines de l’horreur. Ce cinéma-là, on ne se fatiguera jamais de le répéter face aux tartufes le méprisant, face aux fans l’idolâtrant, face aux fantoches le défigurant, possède une avérée grandeur, vise à nous faire grandir, nous oblige à nous confronter à des terreurs concrètes face auxquelles, malgré tout, on finit toujours par se sentir démuni, détruit, peu importe l’âge (la mort, la maladie, la violence, la folie et tutti quanti). Notre cinéphilie « débuta » naguère avec Carrie au bal du diable, et le chef-d’œuvre de Brian De Palma cristallise à merveille le questionnement identitaire du « genre » (construction intellectuelle en pragmatisme de classification) autant que sa dimension ouvertement mélodramatique – une jeune fille devient femme et meurt en pleurs dans les flammes, voilà. John Carpenter, avec Fog et John Houseman transformé en conteur maritime, faisait de même, tressant l’angoisse du divertissement poesque à un sous-texte critique, voire gentiment marxiste, sur la rapacité des naufrageurs étasuniens (on aimerait bien savoir ce que cet Américain encore peu reconnu chez lui, proche d’un Clint Eastwood dans sa sensibilité individualiste, dans son classicisme majestueux, opposé à lui par son bulletin de vote et une carrière erratique, pense de l’actuelle campagne électorale, du tandem peu amène destiné pour moitié à diriger le pays).



As Fábulas Negras entremêle élégamment (belle lumière chaleureuse d’Alexandre Barcelos & Marcelo Castanheira, en contraste fécond avec la froide clarté du rendu numérique) ces divers éléments, constitue un mélange stable, cohérent et puissant, à la fois (en même temps) drolatique, scatologique, satirique, mélancolique, métaphorique, érotique et ironique. Le sang y côtoie les excréments (comme si Marco Ferreri rencontrait Jim Muro), l’outrance (des situations, des représentations, des figurations) rejoint le fameux « réalisme magique » de la culture (de la psyché) sud-américaine. Film euphorique, politique et symbolique, tour à tour enragé, sentimental, bucolique, féministe, As Fábulas Negras séduit du premier au dernier plan, avec son esprit « bon enfant », avec son regard adulte posé sur une réalité clairement dénotée (le folklore fantastique se garde bien d’une retranscription folklorique, touristique, Dieu merci). Il s’agit, les amis, d’un labor of love, tourné avec peu d’argent mais beaucoup d’idées, d’imagination, d’émotions, d’une anthologie (« film à sketches », disait-on dans les années 60 en Europe) réussie, contrairement à d’autres (The Theatre Bizarre, par exemple), car portée par une solide unité de ton (jusque dans le caméléon de ses nuances, à l’image de la population métissée, bigarrée) et de style (leitmotiv des angles obliques), de surcroît tournée avec le sourire et un dévouement constant, ce que précise, on s’en doutait déjà, l’amusant et instructif générique de fin en forme de court making-of. José Mojica Marins, vétéran souriant et bien vivant (sans le cercueil de Zé, son alter egohumoristique et « nécrophile »), du haut de ses quatre-vingt ans, le rappelle dès son apparition, réaliser des films fantastiques ou d’horreur au Brésil s’apparente depuis le commencement (du cinéma là-bas) à un parcours du combattant, à une gageure, à un défi perclu de difficulté (idem en France, pas vrai ?).



Entouré de quadragénaires enthousiastes et tout sauf passéistes, il chapeaute en figure tutélaire et paternelle – je trouve émouvant cette transmission entre les générations, je ne peux qu’approuver l’héritage du « feu sacré », celui des images et de l’imagerie – une très agréable surprise doublée donc d’une rareté. Ces grands enfants cinéphiles (à l’heure de la mémoire globalisée, on pourra certes penser à Stand by Me, à Street Trash, à Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia, à Hurlements, à La Compagnie des loups, à Suspiria ou à La Résidence, à Ring, au Labyrinthe de Pan) assemble des récits contradictoires car riches de la simplicité du conte (pas de psychologisme ni d’auteurisme ici, ouf) et de la trivialité du monde (on entrevoit la vraie nudité de vraies femmes, avec une crudité respectueuse à des années-lumière de l’érotisme eugéniste hollywoodien). L’incurie et la corruption étatiques (mention spéciale au représentant du ministère de l’environnement, logiquement défoncé à l’herbe), le racisme (curé nègre égorgé), la religiosité (pauvresse en fleurs exorcisée par JMM himself parce que désirante, apeurée), l’éducation (mauvaise, « à la baguette » ou à l’archet, basée sur la blessure d’un adultère, sur la faute générationnelle d’une mère), la sensualité (de la nature, incarnée en une ondine callipyge et un faune sodomite) : autant de thèmes majeurs, de lignes de force dans le dessin et le cadre (de la caméra) généraux.  As Fábulas Negras multiplie aussi les espaces : une mairie, une villa, une maison de village, un pensionnat, une demeure abandonnée, supposée hantée, où le plus sceptique (septique, en clin d’œil au contexte du premier segment) des gosses, piégé par la cruauté innée, blagueuse, de l’enfance, finira par boucler la boucle narrative, en se miroitant dans son double de fiction, flanqué d’un étron carnivore pour mortel compagnon (le Rob Bottin de La Quatrième Dimension, particulièrement l’épisode signé Joe Dante, apprécierait).



Avec ses moyens modestes et sa grande générosité, l’opus en portugais ne mérite pas la complaisance du copinage, moins encore la bonne conscience du tiers-mondisme (ou sa version mise à jour) ; que l’on nous adresse d’autres griefs et que l’on nous croie sur parole (la preuve par l’image, en ligne et en VOST) lorsqu’on affirme que ce petit film nous dit intensément et légèrement (sus à l’esprit de sérieux) quelque chose sur le Brésil d’hier (les légendes rurales) et celui d’aujourd’hui (la colère sociale), qu’il nous donne à voir (qu’il nous rappelle) le Brésil de Glauber Rocha plutôt que celui de Tom Jobim (appréciable également, différemment), qu’il se pose en solution stimulante et a contrario du désespérant fantastique horrifique majoritaire, perfusé à la vidéo-surveillance (Paranormal Activity et compagnie), au recyclage (la maison hantée « documentée de Conjuring : Les Dossiers Warren), au cynisme (les deux cas cités déclinés en franchises mercantiles), à la nostalgie (travaux d’amateurs énamourés frisant l’autisme) et à la stérilité d’actualité (grand-guignol du tortureporn dans le sillage des exactions US en Irak). Rodrigo Aragão, Petter Baiestorf, Joel Caetano, Marcelo Castanheira et José Mojica Marins, chacun selon leur tempérament, leur talent (aucun ne démérite, ne trahit la « cause » collective), servent superbement un courant souvent traité de haut ou adulé avec aveuglement, sans se soucier de le réinventer, de le « subvertir », de faire du fric avec, grâce à cette part d’enfance clairvoyante et violente joliment conservée à l’âge d’homme, illustrée dans une innocence lucide du regard et une joie sincère à réaliser ensemble une déclaration d’amour au cinéma, pas seulement d’horreur, et à une nation (les étrangers s’y retrouveront sans peine, on les rassure, familiarisés avec des problématiques et des affects universels) cosmopolite, problématique, juvénile et résiliente (irréductible à la bossa ou aux JO).



Choisissons de terminer notre célébration par le moment le plus émouvant de As Fábulas Negras. La jeune Ana (Ana Carolina Braga), loup-garou au féminin, s’enfante elle-même (et meurt un peu), s’accouche hors de la peau bestiale (la scène rime avec la mue de la serpentine, littéralement, et sublime Mallika Sherawat dans Hisssde Jennifer Lynch), nue et blanche dans le sombre placenta, dans les menstrues de l’enveloppe velue (retour à Carrie White, so) ; cela pourrait être grotesque, ridicule, risible et « obscène » – cela, acte de foi dans les pouvoirs du cinéma, dans la beauté mystérieuse et mortelle des femmes, dans la vérité détournée, essentielle, des fables, noires ou colorées, amères ou sucrées, nous étonne, nous émeut, nous ravit et nous donne envie de croire encore dans le « septième art », menacé au quotidien (chaque mercredi) de verser dans le rien, l’aboli, l’oubli. Durant quelques minutes, via une épiphanie sanglante et poignante (geste de tendresse du père couvrant d’un tissu sa fille monstrueuse et désarmée, désarmante), le titre se met lui-même au monde en permettant au spectateur d’appréhender le sien (double possessif de la diégèse et de la « vraie vie ») avec énergie, poésie, autonomie (véritable indépendance, de financement et d’esprit). Ne manquez pas sa découverte, au risque de subir la malédiction sexuelle énoncée avec le sourire dans les ultimes secondes par José Mojica Marins : le bébé (un salut à Larry Cohen) existe, se porte bien et ne demande qu’à se nourrir de votre affection, de votre confiance et de votre reconnaissance – ou de votre sang, évidemment…  

           

The Chronicles of Evil : La Vengeance dans la peau

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Une resucée moins stylisée du fameux Old Boy ? Davantage une parabole cruelle sur le passé impardonnable et la culpabilité partagée (à tout âge)…


« Je suis le fils d’un meurtrier » : des années plus tard et en voix off, l’adulte se souvient de son enfance déshonorante, de l’arrestation paternelle, de nuit, sous la pluie, au ralenti. De son côté, après de brèves réjouissances entre hommes (ceux de son équipe), le policier promu monte dans un taxi, en route vers un restaurant. Un beau plan, utilisant toute la largeur du Scope, l’isole à droite du cadre, derrière la vitre de la portière. En réalité, au lieu d’un bon repas nocturne, il va boire jusqu’à la lie la noirceur d’une nuit rendant dérisoire son succès, ses ambitions, le rendant prisonnier d’une filiale malédiction. Le chauffeur en veut en effet à sa peau, à cause d’une histoire de relaxe et de corruption. Bagarre montée cut, à la lueur des phares, sur un terrain vague à l’écart, couteau au creux du buste (en plein cœur), appel au supérieur et travelling circulaire sur le visage du survivant, en train de prendre une décision « lourde de conséquences », avant qu’il ne se mette méticuleusement à nettoyer, en émule coréen d’un certain Norman Bates, toutes les traces de sa présence, puis fondu au noir et début des ennuis diurnes. Une femme dans la foule en partance au travail avise le cadavre pendu à une grue, surplombant de toute sa hauteur accusatrice le bâtiment du commissariat. Les médias s’en mêlent et le flic se retrouve aussitôt à devoir enquêter sur un meurtre commis par lui, comme naguère Gian Maria Volontè chez Elio Petri (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon). Ses partenaires dégotent la bagnole de location du délinquant quadragénaire abandonnée sur un chantier, une housse ensanglantée dans le coffre (et une barrette de cravate, offerte la veille, coincée entre les sièges, indice capital non divulgué par le cadet malhabile, trop émotif dans ses rapports d’interrogatoires).


Notre capitaine, mal rasé, piégé par son ADN sous les ongles de la victime, trahi par un pansement au cou, s’imagine déjà menotté à domicile, pour ainsi dire, l’itinéraire du taxi retracé via la vidéo-surveillance (quadrillage totalitaire de l’espace urbain, néanmoins rempli d’angles morts où trucider son prochain). Il dérobe un CD compromettant quand soudain le jeunot identifie le second conducteur, qui plaça le corps à l’arrière, sur une bande révélatrice ! Traque au steadicam(le hasard de la diégèse fait bien les choses) sur les hauteurs possibles de Séoul, dans des rues minuscules, labyrinthe rural où le suspect se dévoile (et se condamne) par un éclairage oscillant ; une balle suffit à l’occire dans le sillage de ses dénégations (il joua seulement les macabres convoyeurs). Le flic juvénile confie ses états d’âme (tait ses soupçons) à son camarade, celui-ci lui rétorquant qu’ils forment tous une famille, qu’il leur faut être bienveillant envers chacun. Une piste de came mène à un narcotrafiquant tabassé vaillamment. L’ADN récolté, évidemment, ne correspond pas au coureur dégommé. Les croisements conduisent à une agence de cinéma (nouveau suspect : un acteur supposé gay, comble de la perversité, pas vrai ?). Dans un amphithéâtre désert, le fils putatif confie au bord des larmes ses doutes déchirants au quinquagénaire en train de fumer (la cigarette du condamné) et lui remet les preuves (bijou + copie de disque) de son forfait, de son mensonge. Au bar Mojo (clin d’œil au Mister se dressant sur le L.A. Woman des Doors ?), un agenda fait le lien avec des meurtres en série de flics, ressuscite le souvenir d’un empoisonnement « évangélique » (douze morts) pour lequel on arrêta le père liminaire (le fuyard en témoin bientôt châtié).


L’explication entre le cerveau du complot et le policier acculé se tient à huis clos (sonore) derrière une glace sans tain : à la clé, en échange du silence, un nouveau « contrat ». In fine relâché, le beau gosse aux airs de jeune premier, d’ange exterminateur androgyne, conduit le capitaine au parc olympique, afin d’assister, impuissant, presque à temps, à la mort du commissaire captif de sa voiture explosée. Dans son repaire, le drogué se suicide par overdose et rend l’âme après avoir serré dans ses bras l’enfant du début, désormais son amant (platonique, probablement), pour lequel il endossa le rôle du coupable. En simultané, le faux policier tue son collègue à terre, parvenu aux mêmes conclusions identitaires par ses propres moyens. L’orphelin confronte son « oncle » (terme respectueux là-bas, équivalent générationnel de notre « monsieur »), lui-même oncle d’un autre bambin emmené sur les lieux, inconscient du drame. Il veut conjurer le passé par sa reproduction – on pense bien sûr à La Nuit du chasseur, drame immortel sur les faux prophètes et les pères criminels –, il se démasque en auteur du massacre à la poudre fatale, innocent aux mains sales révolté par le spectacle de son père adoré, handicapé, roué de coups par les clients violents. Mais le policier, grillé par une vidéo explicite de sa virée alcoolisée, tirera dans les airs, ne lui laissant que l’option d’une balle dans la tête, à bout portant, sous un rideau de pluie en manteau de larmes et une pietàpurement masculine. Un ultime retour en arrière nous montre les deux hommes souriants, sur le point de travailler ensemble, et l’œuvre s’achève par un arrêt sur image de la future Némésis aux sombres traits angéliques.


Beak Woon-hak, la cinquantaine, ancien producteur pour la TV, la publicité, un seul long métrage à son actif, Tube(2003), sorte de Subway local, voit à raison dans ce gros succès commercial en Corée un thriller de personnages. Bien épaulé par le dépressif Son Hyun-joo, le costaud Ma Dong-seok (vu en prolo du Dernier Train pour Busan), le transi Choi Daniel et le retors Park Seo-joon (récompensé avec justice), le réalisateur livre un « produit de série » aussi révélateur de l’excellence coréenne que d’autres titres plus importants, sinon majeurs (le talent d’une cinématographie apparaît itou dans ses métrages « modestes », pas uniquement dans ses chefs-d’œuvre). Excellent « artisan », à défaut de véritable « auteur » (pourtant scénariste), il livre un opus ne manquant ni d’esprit ni de cœur (ah, le soubassement récurrent du mélodrame). Avec son intitulé factuel et métaphysique, The Chronicles of Evildémontre en beauté (celle de la nuit sud-coréenne, bien saisie par un duo de directeurs de la photo, Park Jong-chul & Jung Chul-min), en toute humilité, que les gosses n’oublient jamais le mal qu’ils font, qu’on leur fait, que leur vengeance amère s’avère impitoyable, naïve et machiavélique, que la gloire ne représente absolument rien face à une double injustice (non reconnaissance du crime, fabrication de fausses preuves) et à une « liberté » (comment mettre en prison des enfants ?) conçue en bonne intention infernale (« Deviens quelqu’un d’intègre », incite le flic au petit tueur, suprême ironie). Le père (mains dans les fers) et le fils (en pleurs) se regarderont une dernière fois, signe d’incompréhension, de séparation, de pardon – aux hommes coupables par peur, ruse, colère, amour, l’enfer de la mémoire, et à nous, cinéphiles, un film suffisamment radical et adulte dans sa transparence et son héritage pour mériter cent minutes d’une vie, assorties d’un article favorable bien que réduit.  

Les Promesses de l’ombre

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Soixante secondes stellaires et référentielles en forme de pari ou de promesse…


Nous venons de découvrir (de visionner) aujourd’hui la bande-annonce du nouveau film de Keyvan Sheikhalishahi (patronyme un peu plus difficile à épeler correctement que le nôtre, quoique, et Frédéric Beigbeder le prononça plutôt bien quand il accueillit le jeune critique sur son plateau à la TV) ; nous ne résistons pas (il faut résister à d’autres choses, par les temps actuels, et différemment) à l’envie (au vrai plaisir) de consacrer ce soir quelques lignes (vespérales) à Vesper, ce billet lui-même conçu en trailer d’un texte développé, à venir, après visionnage du métrage, histoire de confirmer (ou pas) les promesses d’un avant-goût déjà évocateur. Que voit-on, qu’entend-on, que devine-t-on dans ces images ? Disons un drame à trois personnages, une œuvre enracinée dans la stylisation du polar sentimental, du thriller émotionnel (l’auteur admire un certain Alfred Hitchcock, consacra sur son blogde doctes analyses à l’estampillé hitchcockien BasicInstinct). Une femme, blonde, bien sûr, y semble aux prises avec un homme ne voulant pas l’oublier, l’épiant, la retenant, prisonnière d’une villa normande (Deauville, plaît-il ?) et d’un passé rejeté (par elle). Des ténèbres domestiques et le ciel de perle au-dessus d’une célèbre allée de planches. Des étoiles méta et des sous-titres en anglais. On aperçoit encore le réalisateur, désormais majeur, acteur (polymorphe) au sein de sa propre fiction, et non plus limité à l’apparition traditionnelle d’une brève mise en abyme drolatique et inquiète. De l’inquiétude, il en émane pourtant de cette minute musicale riche de possibles, de pistes, de parfums (ceux du film noir, du drame de chambre, quasiment de manière littérale).



Oui, tout ceci suscite l’attente et séduit par une esthétique de qualité, un mystère au regard sincère (si la sincérité ne vous irrigue pas, ne vous guide pas à dix-huit ans, à quoi bon écrire sur des films, en faire, partager une belle passion ?). Wait and see, dit-on de l’autre côté de l’Atlantique : nous acceptons d’attendre (pas trop longtemps, certes !) et de déballer l’emballage joli afin de rencontrer, sinon de célébrer, ce qui s’y cache (un cœur et un esprit de cinéaste, de préférence). Certains ruminent la gloire supposée perdue, macèrent dans une nostalgie des imageries (pas seulement celle du « septième art ») – cela ne nous intéresse guère, en vérité, et l’on préfère mille fois se tromper au présent que d’avoir raison en retard, embaumé. Faisons confiance à la carte des étoiles de Keyvan, prenons le pari de leur éclat : le cinéma (et le monde) contemporain, souvent à vomir, je l’avoue volontiers, recèle encore des surprises juvéniles et d’improbables trésors. Allez, on en reparlera vite, ici ou ailleurs !...



Vesper : Elle

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Promesses tenues, pari remporté…


On dénombre quatre réveils (le troisième suggéré par un cri) dans Vesper : Marge, femme en marge, recluse dans sa maison bourgeoise, dans son esprit répétitif, n’en finit pas de s’éveiller, avant de plonger, souriante, dans le grand sommeil sans rêves, dont nul ne revient, sinon dans le huis clos solitaire de la mémoire, mensongère et méta. L’étymologie, on le sait, confère une même origine grecque à fantôme et fantasme, associe lexicalement les images spectrales et mentales. Le cinéma, art funéraire et spectaculaire, nous tend par conséquent un miroir à la fois fantomatique et fantasmatique, une danse macabre démiurgique offerte à des participants vivants, pour l’instant (le temps de la projection, du visionnage), cependant promis à passer de l’autre côté, gisants immobiles et complices (voire masochistes) assistant à chaque séance à la répétition de leur dernière. Walter, menaçant Christian (prénom explicitement chrétien) d’un pistolet de polar sur la plage déserte, aussi grise et stérile que l’enfer de la culpabilité, le formule avec ses mots à lui, quand il souligne cette double nécessité de trépasser, de s’amuser (le cinématographe, jeu sérieux grandi dans un siècle de fer et de feu). La diégèse déploie ainsi, sur vingt-trois minutes (nombre sinistrement connoté chez William S. Burroughs ou Joel Schumacher), un jeu avec les apparences, les souffrances, les identités et les volontés. Vespers’ouvre d’ailleurs sur une citation tronquée, non sourcée, du célèbre poème d’Alfred (Hitchcock) de Vigny, La Maison du berger (Les Destinées), éloge furieusement (ou risiblement, selon la sensibilité) romantique de la poésie insoumise, admiré par un René Char bien plus tard, dans lequel figurent ce vers nervalien, « La vie est double dans les flammes », ou le distique utilisé, « L'invisible est réel. Les âmes ont leur monde/Où sont accumulés d'impalpables trésors », boucle bouclée avec notre billet sur la bande-annonce, puisque « tout s’harmonise », dirait le Stephen King de 22/11/63.


L’or et les ténèbres baignent les deux premiers actes (hors l’épisode océanique), duelle alchimie graphique (beau boulot de l’éclectique Jean-Claude Aumont, fils de Jean-Pierre, à la direction de la photo) reconduite jusque dans les costumes et les chevelures. Marge, sorte d’Ange noir à la Jean-Claude Brisseau (Sylvie Vartan davantage aryenne que chabrolienne), erre entre quatre murs, entre des temporalités, des émotions opposées ; le récit audiovisuel (son ouaté d’un film feutré, épure sonore du mausolée « assiégé ») donne à ressentir son trouble, sa douce folie, à questionner la véracité de l’épiphanie naturelle, supposée réaliste, propre à cet art, y compris dans les fantaisies invraisemblables de l’imaginaire (vrais effets de Méliès, avant que le numérique ne vienne radicalement changer la donne), les plans ensorcelant le regard telles des caresses en mouvement (descente de marches, promenade des planches, instants tournés avec un avatar local, artisanal, du steadicam). L’ombre dédoublée de Roman Polanski (absolution plutôt que Répulsion) et de Luis Buñuel (belle de nuit à la place de Belle de jour) opacifie autant qu’elle éclaire ce beau portrait de femme ressassant son malheur chaque soir empoisonné – notez la polysémie latine, astronomique et bondesque du titre –, jusqu’à succomber au conseil létal de son mauvais ange aérien, luciférien, badin et adultérin, blessé dans son abandon, surcadré à l’intérieur (porte-fenêtre) et depuis l’extérieur (ultime panoramique droite-gauche vers son sourire méphistophélique en surplomb d’une fenêtre). Sous sa jolie panoplie de thriller, Vesper s’avère « en réalité », à nos yeux, en tout cas, un mélodrame maternel disons par procuration (tante meurtrière, mystère d’un escalier fatal), serti dans le linceul du fantastique à domicile (le motif figuratif et symbolique de la maison hantée représente toujours une psyché sujette à la hantise, havre-prison de revenants vengeurs).


Home (et homme, bien sûr) invasion, le court métrage équilibre la densité de son propos réflexif et la brièveté de sa durée, met en parallèle l’immensité de la voûte étoilée (générique de début en fondus) avec l’espace fermé de la maison (de la raison) malade (le film déploie en outre une géographie incertaine, la femme en fuite et le compagnon doué du don d’ubiquité en dialogue avec une Finlande photographiée, réduite à des astres, et un « monde idyllique » au parfum funèbre). Si David Lynch, via l’incipit et la coda de son satirique et bouleversant ElephantMan, relisait la voie lactée immortelle, encore maternelle (grand-mère d’adoption, alors), sudiste et biblique, de La Nuit du chasseur, Keyvan Sheikhalishahi fait s’épouser les étoiles en myriades affirmées exactes (club de spécialistes à l’appui) et la star (déchue) d’un psychodrame à usage interne, où la ventriloque au bord du tombeau anime elle-même les deux marionnettes masculines, le grand amant guttural et tendre (thé nocturne inclus, substitué au verre de lait de Soupçons), le neveu attentionné, sacrifié, en train de devenir aveugle (le réalisateur protéiforme cumule plusieurs postes essentiels, presque tous indiqués par le générique de fin), leur prête ses mots, ses souvenirs, ses tentatives itératives de remake, de rachat. Dans sa fugue psychogénique (sur une autoroute perdue, affirmerait l’auteur de Lost Highway), elle voudrait bien corriger la prise (et l’emprise, of course) du passé, refaire le homemovie, remonter la scène et ressusciter les morts. L’épilogue, poignant et apaisé, désespérément serein, démontre qu’elle y parvient, à l’instar du narrateur énamouré, isolé, suicidaire et scopique, de L’Invention de Morel, vêtue d’une robe immaculée en contraste vif avec celle de deuil (ou de soirée) naguère arborée (Janet Leigh, dans Psychose, portait des sous-vêtements à dessein pareillement manichéens), les retrouvailles familiales s’effectuant dans la gaze d’une « réalité augmentée », immatérielle, transcendée par le trépas hors-champ (ce poids du songe à répétition rime itou avec The End de Guillaume Nicloux).


Laissons les cinéphiles épris de psychanalyse nous parler doctement de drame œdipien, de happyend aux allures de mariage incestueux, gentiment gérontophile, mentionnons au passage les passerelles entre Vesper et L’eau douce qui coule dans mes veinesde Maxime Kermagoret, autre conte de renaissance et complémentaire peinture d’une figure féminine intériorisée par un homme cette fois uniquement derrière la caméra. Entourée par le solide et léger Götz Otto, par le courageux (narcissique ?) et impliqué KS, Agnès Godey ne démérite pas, loin de là. Dans sa maturité de femme et d’actrice polyvalente, à l’aise dans le rire et les larmes, à la TV ou en ligne, elle porte sur ses épaules dénudées, endeuillées (sur son visage éloquent, charmant) et emporte dans son sillage figé l’odyssée intérieure, preuve supplémentaire que l’énigme d’une personnalité, d’un talent, vaut bien celle d’une histoire, d’une allégorie, la seconde pouvant alors s’incarner dans la première, vivre grâce à elle, au moyen de la dentelle cruelle tressée par l’objectif autour de ses contours, de son « corps astral », pour ainsi dire (le cinéma, immanent, nous permet de contempler des spectres au présent). Œuvre glamour, morose, d’amour et de mort, le deuxième opusassurément maîtrisé de Mister Sheikhalishahi (merci pour sa confiance et sa générosité) prolonge le plaisir du trailer et constitue un aboutissement prometteur, en dépit, peut-être par timidité, d’un manque de lyrisme (la partition atmosphérique de Gréco Casadesus, jadis évangéliste musical du Jésusde Serge Moati, subi sur petit écran par votre serviteur en parfait athée, peine à nous inspirer, à nous pénétrer), au profit de la psychologie, du suspense des sentiments.


Le lecteur (la lectrice) régulier de notre blog pourra nous reprocher certains traits d’écriture, donc de caractère (trop littéraire, trop politique, trop intime, trop cinglant), mais pas la complaisance ni la flagornerie : quand nous (d)écrivons la réussite de Vesper, nous saluons à notre manière ceux qui font la « guerre » (formulait Samuel Fuller), ceux qui ne versent pas dans la nécrophilie, le recyclage, le cynisme, le fonctionnariat. À chacun ses penchants, ses moyens – que l’on filme ce que l’on écrit, que l’on écrive sur ce que d’autres filment, il s’agit en définitive d’une rencontre d’univers, de brillances abouchées d’étoiles (pas si) contraires, de trajectoires dans le ciel et le cœur. Je ne crois pas une nanoseconde à l’amitié numérique, au simulacre de sociabilité vantée par les réseaux estampillés sociaux, mais je me targue de savoir reconnaître la beauté (au « septième art » ou ailleurs), je me laisse guider (combien de temps encore ?) par le désir de la célébrer, de la partager (cf. mes profils FB, G+ et Tumblr), de la propager (une réponse individuelle, dérisoire et suprême, à toutes les formes nocives de « viralité » contemporaine, au cinéma et au-delà). Et si j’emploie un pronom personnel spéculaire et dissocié (écrire, surtout sur les images animées, équivaut à se reconnaître, à se fuir), le rôle du réalisateur-acteur m’autorise à le faire, petit « exercice profitable » (une pensée pour Les Contrebandiers de Moonfleet) de schizophrénie jolie, fertile (Vesper, film sur un double deuil impossible, se lit en enfance de l’art, en perle de hasard). On ignore où et à quel moment vous le découvrirez à votre tour ; on peut pourtant, dès aujourd’hui, en ce mercredi de sorties, vous le recommander, vous garantir, sans trop nous avancer, nous (vous) égarer, une agréable surprise, à l’unisson d’une nouvelle plurielle et sensuelle, un conte rapide, consistant, sur le cinéma et ses fantômes, sur le labyrinthe (d’Ariane à Marge, aller puis retour herméneutique) familier, presque sartrien, d’une conscience à la Hermann Hesse (Le Loup des steppes, allez).


Le Diable se loge dans le détail, professe-t-on en Asie. Avec son horloge (deux heures du matin, deux heures et quart) rituelle, son bouquet de roses funestes, son jeu d’échecs à la Bergman (Le Septième Sceau, parabole sur la Mort invaincue), sa sonnerie de porte fatidique, ses criaillements de mouettes lointaines, ses incongrus bosquets de lavande sur le seuil, son évier encombré en signe de laisser-aller, sa mer morte et sa courte course (hors le regard caméra) en réminiscence du célèbre dernier plan des Quatre Cent Coups, Vesper séduit également par le soin apporté aux accessoires, au climat sensoriel, à l’ensemble d’une tapisserie constellée de signes et de questions, d’élans vers l’idéal (même fatal) et de traces (discrètes) de trivialité. Terminons ce texte par un (triple) souhait, à défaut d’un projectile en passeport vers le bonheur de l’anéantissement bordé de blanc : que le valeureux Keyvan continue sur cette route surnaturelle et poétique, qu’il garde intacte son envie de raconter, de filmer, d’analyser, qu’il nous fasse part de ses travaux en solo ou à plusieurs (le cinéma, art singulier, au singulier, entreprise collective et lucrative) ; on lui promet de les regarder, de témoigner de sa planète à travers notre propre lunette (astronomique, évidemment). When You Wish Upon a Star, fredonnait autrefois le criquet de Disney…

Danton : Trois hommes à abattre

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Andrzej Wajda.


Danton, Desmoulins, Robespierre : ces trois-là s’appellent par leurs prénoms, se connaissent intimement, s’aiment et se détestent, se respectent et se condamnent d’un seul et même élan. La Terreur les force à s’affronter, à se déchirer le cœur, à se couper la tête. Une grande douceur, doublée d’une grande violence, celles d’amants trahis, répudiés, désenchantés (par les illusions de la Révolution) les unit, les réunit, davantage que le souci collectif ou la survie problématique de la République. Durant la rencontre à huis clos, cernés par des tentures grenat de bordel, entre bougies romantiques et verres de vin rouge vampirique, l’escroc hédoniste tente de décoincer le puritain tuberculeux, il s’en prend à sa perruque poudrée, il l’insulte sexuellement (« On raconte même que tu n’as jamais baisé avec une femme ! »). Oui, avant d’être une parabole sur la Pologne d’alors (lecture pourtant récusée par Wajda) ou une commande étatique (Mitterrand le monarque et sa clique culturelle) transformée sous le nez des financiers en petit exercice de style révisionniste – mais qui peut croire encore que l’Histoire s’apparente à autre chose qu’à un ensemble de romans nationaux, voire nationalistes, écrits par les vainqueurs et les ploutocrates pour l’édification des masses, comprendre, de la populace ? –, Dantons’avère une histoire d’amour entre hommes, où les femmes se bornent à enfanter, élever des gosses (célèbre déclaration hexagonale apprise au bain, scène aujourd’hui impossible à filmer en raison de sa nudité enfantine), s’évanouir à l’écoute d’une condamnation à la décapitation courue d’avance, accessoirement à se prostituer avec les puissants (« Comment va ta mère ? » demande le protagoniste à l’une d’entre elles, alors que cela commence à sentir vraiment le roussi pour lui, que l’un de ses seconds, incarné par le lunaire Jacques Villeret, l’exhorte à fuir à raison).




Et notre trio de mâles, chacun à sa façon fatigué, épuisé, souffrant, pleurnichant, se débat au sein d’une eschatologie révolutionnaire, donc républicaine, à l’ambiance de fin du monde renforcée par la partition hallucinée de Jean Prodomidès, dont les percussions impitoyables et les chœurs virils de damnés font penser au train d’Auschwitz emprunté en avance et présage sonore funeste par Jerry Fielding pour Dalton Trumbo, flanqué de son Johnny légume-guerrier. Nous voici loin, malgré le sujet, de l’expressionnisme sous-terrain, de la métaphysique d’égoutier déployée dans Kanał. Le raisonné Andrzej capture l’imposture d’un procès politique avec un sens de l’équilibre, de la rigueur, de la distance jamais pris en défaut, pas même sur l’échafaud (il ne s’autorise que quelques ralentis et un peu de gore, frustrant le spectateur venu s’encanailler à la reconstitution historique « léchée » du chef hirsute et dégoulinant, coupant le plan avant l’épiphanie impie permise par la guillotine, « agréable sensation de fraîcheur sur votre cou » déclare, hilare, Roland Blanche). On imagine (ou l’on frémit, selon sa sensibilité de cinéphile) ce qu’un autre Andrzej, Żuławski, celui-ci, pouvait faire avec une telle matière. Wajda, « despote éclairé » (acceptable définition d’un cinéaste) nous retraçant avec sang-froid une période de folie générale, organisée en petit comité amical pour le divertissement des foules immobiles (la dimension spectaculaire se voit toutefois conjurée, limitée, par les origines théâtrales et le caractère claustrophobique du scénario, bien que ce film où l’on ne cesse de parler ne sombre à aucun moment dans la logorrhée audiovisuelle), ne se prend certes pas pour Capra au Sénat et la mise en scène de la parole cède le pas au portrait subtil de l’intimité d’animaux politiques à la Schopenhauer, désespérés, désespérants, si français dans leur trivialité, leur oralité (double sens), leur arrogance et leur générosité. Le Polonais un temps (de tournage) « exilé », peut dès lors courber la « réalité historique » (oxymoron de manuels scolaires), fausser (assez peu, ponctuellement) « l’exactitude des faits », puisqu’il parvient à faire ressentir et comprendre quelque chose de ces années de fièvre, de verbe, de sperme et de sang.



La réussite de l’opus doit évidemment beaucoup à Depardieu, d’une grâce et d’une puissance absolues, ogre las qui cherche le salut, le repos, ne trouvera qu’une voix cassée, un col de chemise mal découpé (souvenir de Delon à la même place, avec les mêmes fringues, chez Giovanni pour Deux hommes dans la ville, justement). Mais il faut aussi saluer la totalité de la distribution, notamment Wojciech Pszoniak et Patrice Chéreau, couple amical (et plus, si affinités électorales), frémissant, la répartition des rôles, des nationalités et des langues en rime avec ce que pratiquait Hollywood à l’ère du péplum (l’aristocratie anglaise ou polonaise face à la plèbe américaine ou française). Dans Danton, le Christ se pourlèche les babines à un festin privé, s’entoure de disciples quasiment pasoliniens, aux mains sales et aux esprits égarés. On ne peut que comprendre la colère des autorités devant cette peinture sentie infidèle et irrespectueuse, sinon trompeuse (la Révolution française, épiphénomène crucial, sert souvent de motif manichéen au cinéma, cf. le bel ouvrage choral dirigé par Marc Ferro). Avec sa direction artistique irréprochable (due à Allan Starski, épaulé aux costumes par Yvonne Sassinot de Nesle, deux références indiscutables dans leurs domaines respectifs), avec sa diégèse funèbre (une saveur à la Visconti, en plus prolétarienne, Wajda, comme les jeunes confères de ses débuts, vouant un culte autobiographique au néo-réalisme, héritage souligné dans un documentaire programmé juste après, sympathico-anecdotique, dans lequel, revenant sur sa carrière, l’auteur parlait surtout de ses tracas avec la censure, de la manière purement cinématographique de la contourner, plus préoccupé de politique que de cinéma, les deux, pour lui et moi, cependant totalement inséparables), avec son prix Louis-Delluc et son César du meilleur réalisateur, son succès public, le film séduit sans peine, sans enthousiasme immodéré non plus, et s’achève comme il commençait, au lit, dans la maladie d’un corps (individuel, social) et dans la récitation ironique, par une « petit homme » tout sauf reichien (quoique), des fameux principes supposés intangibles et internationaux.



Retenons pour finir à notre tour une phase de Maxime ne pouvant que résonner en 2016, ici et ailleurs : « Que deviendrait la France, si nous n’avons plus la confiance des Français ? » La réponse, chaque citoyen, cinéphile ou pas, la contemple au quotidien, en ligne et en dur, pour de vrai autant qu’à travers l’incessant storytelling politicien. « Aux armes ! » (ou aux caméras) : belle et dangereuse injonction désormais passée de l’autre côté, récupérée par toutes les « éminences grises » instrumentalisant la religion (pas celle de l'Être suprême) et la déréliction (on ne fait pas encore la queue pour obtenir du pain, ni des ordinateurs) afin qu’advienne un âge de ténèbres déjà contenu dans les Lumières (relisez Sade). Danton, film de son époque, allégorie homo et fable sur l’abus de pouvoir, de tous les pouvoirs, sur les idéaux (dictatoriaux) et l’humilité (des besoins, des désirs, des aspirations), sur l’art asservi, muselé (David prié de retoucher fissa sa fresque dédiée au serment du Jeu de paume), éclairant et libre, continue à nous interpeller aujourd’hui, à l’heure du terrorisme globalisé, du totalitarisme soft, pollueur de consciences, de cultures, de paysages, vomi voici quarante ans par Pasolini, spécialement à Salò, de l’abrutissement (une forme sans douleur de décollation, disons) du cinéma et de la société qui le suscite, contre laquelle il se couche. Plutôt qu’une révolution condamnée à répéter les horreurs d’hier (du gouvernement précédent), en bonne logique astronomique, exigeons une révolte singulière, pourquoi pas partagée par la planète, histoire de voir de meilleurs films et de vivre un peu mieux (décemment, dirait Nanni Moretti), si possible partout, par-delà les régicides, les potences, les guerres, les attentats, les produits et les candidats. Aux armes, mille fois oui, mais seulement à celles qui nous conviennent et qui servent, concrètement et intelligemment, la vie, dans sa beauté, sa tendresse et sa fondamentale, amorale, sauvagerie.     
    

Parfum de femme : Connaissez-vous Agnès Godey ?

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Agnes of God (le Thérèsede Norman Jewison) ? Agnès Godey, « trait pour trait », ou presque…


Dans Vesper, juste avant qu’elle ne meure, son partenaire rugueux et malicieux (Götz Otto, naguère nazi pour Spielberg ou Oliver Hirschbiegel) semble humer son cou, placé derrière elle, tête levée, yeux fermés, en ange exterminateur captivé par son essence féminine, à l’instar du tueur en série esthète du Parfum de Patrick Süskind (adaptation illustrative par Tom Tykwer, d’après un scénario de l’auteur). La caméra, nul ne l’ignore, nul ne devrait l’ignorer, fonctionne en machine de mort, même (surtout ?) quand elle sublime, idéalise, « immortalise » ; elle capte à chaque fois, vingt-quatre fois par seconde, la trace (l’évanescence) d’un fantôme, le sillage (musqué) d’un corps transformé en image, en projection (double sens, mécanique et paranormal), en souvenir. Il faut du courage, de l’inconscience, une grande part de talent et une bonne mauvaise dose (égoïste/généreuse) de narcissisme pour oser l’affronter, se placer devant l’objectif, pénétrer dans le tableau vivant, celui de L’Invention de Morel ou de La Rose pourpre du Caire, disons, pour la gloire, pour l’admiration, pour la rédaction de biographies, au prix de sa propre réalité, de son énergie (vitale), de sa vie (de famille). Jeu sérieux et dérisoire, anecdotique et mythologique (au sens courant, dans l’acception de Barthes), le cinéma nous donna dans les années trente, du côté de Hollywood, au temps d’une crise économique majeure, de nouvelles déesses à idolâtrer, par exemple la somptueuse Greta, qui laissait pourtant froid Ingmar Bergman. Le « septième art » évolua (régressa, fulminent les nostalgiques), proposa mille autres visages, innombrables vestales du culte profane et nécrophile, amantes et mères pour caresser, consoler, les cinéphiles si désenchantés par la « vraie vie » (oxymoron nervalien), tellement blessés par le réel qu’ils préfèrent en filmer un ersatz au lieu de radicalement le modifier, toute sorte de révolte foutrement compromise par une industrie puérile, mercantile, perfusée, incestueuse, en France et au-delà.


En 2016, à l’époque du numérique globalisé, du cadre législatif (particulier, problématique) sur les « intermittents », de la mainmise télévisée, des festivals annulés pour cause de terrorisme (ou d’incurie étatique, ou d’angoisse instrumentalisée, ou de paranoïa sécuritaire), comment vit et travaille une comédienne (sur scène), une actrice (à l’écran) ? Le CV d’Agnès Godey esquisse une réponse, comme j’esquisse son portrait (plutôt énamouré). Elle suivit ainsi les leçons du cours Clément, pratiqua l’improvisation (« école buissonnière » d’un certain Jamel Debbouze), apparut l’an dernier au cinéma chez Jean-Pierre Mocky (Tu es si jolie ce soir, possible titre alternatif de Vesper), à la TV dans des séries supposées humoristiques, en ligne pour des rôles de mères (dont l’une de gamine démoniaque, sur les pas de l’inoubliable Ellen Burstyn aux prises avec la gosse possédée de William Friedkin), au théâtre selon Agnès (bis) Jaoui & Jean-Pierre Bacri, Muriel Robin & Pierre Palmade, Jean-Michel Ribes (transposition du célèbre Palace), Anton Tchekhov (une évocation à base d’extraits de pièces fameuses) et Georges Feydeau (Madame Virtuel la bien nommée), sans compter moult publicités pour des marques renommées (Chanel par Karl Lagerfeld, comble du chic franco-allemand). Son site personnel-officiel – quelle formidable civilisation que celle disposant d’outils de communication et de sociabilité propres à réjouir la fibre inquisitrice d’un Richelieu – indique en outre des courts métrages, des clips (Ben l’Oncle Soul et Matt Pokora, duo redoutable après les deux premiers cités supra, restons-en à Eminem & Lisa Ann) et une formation commerciale (économie, gestion, marketing) à la Sorbonne et au CNAM (tel le droit, les affaires mènent à tout, y compris à la comédie, « à condition d’en sortir », de ne pas se piquer de politique, ou alors on ne s’en sort plus).


Définie sur sa page Facebook en tant que « comédienne » et « cavalière » (un double point commun avec la transalpine Valeria Cavalli, croquée ici même par nos soins sudistes), l’actrice cumule encore les sports (danse, gymnastique, fitness), parle anglais, possède des « notions » d’allemand et un permis B, mesure un mètre soixante-douze, pèse soixante kilos, arbore des « cheveux blonds ondulés » (je confirme la nuance serpentine), des yeux noisette et une taille trente-huit – le tour de poitrine et la pointure figurent sur le portail d’un agence « spécialisée » (dans les baby-boomers et les « séniors »), on se gardera d’en révéler plus (le lecteur, la lectrice et l’intéressée me pardonneront l’ironie de cette anthropométrie, car si je n’appréciais pas Agnès Godey, vous ne liriez pas, ni elle non plus, avec plaisir et le sourire, j’espère, ces lignes sincères et gentiment futiles, puisqu’un être humain ne se réduit jamais à un parcours, une carrière, une vitrine, puisque l’on aime certaines personnes pour l’évidence d’un mystère irréductible aux faits, aux dates, aux partenariats). Dans sa « bande-démo », elle donne notamment la réplique à la douce et forte Anne Marivin, unique raison, à vrai dire, de s’infliger le lucratif chromo de Dany Boon consacré aux « gens du Nord ». De cette consultation parcellaire, de cette cohabitation des deux masques principaux de l’expression théâtrale antique (la comédie, la tragédie), il résulte une persona convaincante, aux capacités non pas contradictoires (sale manie hexagonale d’étiqueter les talents) mais complémentaires. Stakhanoviste, Agnès Godey ? Certainement pas, seulement (précieusement) une actrice et une comédienne au « sens plein » des deux termes, aworkingactress, dirait-on outre-Atlantique, aussi bien à l’aise en génitrice endeuillée venant annoncer le suicide de sa fille au petit connard du dessus qu’en bourgeoise nymphomane encanaillée avec un clochard asocial à la Michel Simon.


Native de Nogent-sur-Marne (guinguettes à la Gabin, pavillon Baltard, réminiscences de Laurent Voulzy), on l’imagine bien un bouquin de George Sand à la main, ou en train de lire un script lovée dans un fauteuil du seizième arrondissement de Paris, ville où elle vit et partage sa vie (avec un homme aimé, marié). Internet, symptôme et baume technologique, incite à traverser les frontières entre le public et le privé, à les brouiller allègrement, indécemment, dans une sorte de mélasse sentimentale et illusoire. Je ne connais pas (personnellement) Agnès Godey (connaissance souhaitable, discutable, incomplète de soi-même), bien qu’elle me fasse l’amitié (désintéressée) de me compter au nombre de ses « amis » électroniques, et cependant j’aime son jeu précis, la gamme des figurations qu’elle déploie, le rythme qu’elle impose à une séquence, avec lequel elle cisèle des mots d’autrui, des histoires étrangères à elle-même (paradoxe de l’interprétation, de l’incarnation, évidemment étudié par Diderot). J’aime croire qu’en chaque personnage elle parvient toutefois à glisser un peu de son intériorité, de sa « nature », de sa trajectoire (ne comptez pas sur moi pour énoncer sa date de naissance, non par bien-pensance courtoise ou féministe, mais par élémentaire élégance et considération de la valeur de toutes les « saisons », au cinéma et en dehors, la jeunesse éphémère mirée, déjà, dans la belle maturité, ou l’inverse, avec tous les dégradés par vraiment dégradants entre les deux). On ne peut pas ne pas parler, désolé, de l’apparence, du physique, du look, en Occident au vingt-et-unième siècle, afortiori quand on évoque une actrice : il convient donc de le faire avec respect, complicité, sans blesser sa pudeur ni dresser sa beauté sur un piédestal. Agnès Godey, comédienne talentueuse et femme sans doute rieuse, attachante, parfois grave, absente, mérite mieux que les éloges transis et les déclarations anonymes (ou planqué derrière un avatar spéculaire).


Partez à sa rencontre, découvrez la multiplicité de ses éclats dans le miroir de sa filmographie en patchwork (une pensée pour Rita, ofcourse, cheveux courts, blonds, démultipliée dans la galerie des glaces de son Orson à Shanghai). Avec son prénom à la Molière (des parents fans de L’École des femmes ?), avec sa voix vive et retenue, avec ses faux airs de Catherine Frot (consœur de valeur), elle dessine joliment la course d’une étoile au ciel intérieur du spectateur, elle fait vaillamment, avec une joie lucide, son boulot de menteuse cernée de vérité, elle transmet une existence et un passé lestés du poids nécessaire d’une vie et d’un talent, alliage naturel, dynamique, positif (gardons les raisons de déprimer pour un autre article). Si, comme votre serviteur – Identification d’une femme, antonionienne ou non, à travers le prisme et la « sororité » de ses petites camarades, drolatiques et mélancoliques –, vous aimez Jacqueline Bisset, Sandrine Bonnaire, Valeria Cavalli, Rebecca De Mornay, Mimsy Farmer, Annie Girardot, Marlène Jobert, Laure Marsac, Jacqueline Pagnol (cf. également nos médaillons de Jenny Agutter, Edwige Fenech, Sondra Locke, Caroline Munro, Gena Rowlands & Theresa Russell) ou Céline Tran (qui officie dans un registre certes différent), alors vous apprécierez à sa juste (et sereine) mesure Agnès Godey, dans Vesper et ailleurs, dans le soir artificiel d’une salle obscure ou dans la clarté insomniaque de la « lumière bleue » des ordinateurs...        

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