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Rosemary’s Baby : Le Démon de midi

 

Prophétie de folie ? Bénédiction de saison…

« Mes chers frères, n’oubliez jamais, quand vous entendrez vanter le progrès des lumières, que la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ! »

Baudelaire, Le Joueur généreux, Le Spleen de Paris

Satan get besides me

Satan fortify me

Lingua Ignota, Do You Doubt Me Traitor, Caligula

 Huit avant l’ange exterminateur de Taxi Driver (Scorsese, 1976), voici l’ange déchu de Rosemary’s Baby (Polanski, 1968). Fi de la nuit, du pandémonium parcouru en bagnole, de la solitude en effet infernale, en sus insomniaque, du vétéran du Vietnam : cette fois, le « gothique new-yorkais » en plein jour puis en société se déploie, perché sur les toits. Tout de suite, le générique iconique et mélancolique de Wayne Fitzgerald & Stephen Frankfurt donne de la hauteur et de l’ampleur à ce qui demeure un drame de chambre (à coucher), un huis clos pas si psycho(logique, pathe), quoique. Rosemary’s Baby ainsi commence par un plan-séquence, un panoramique pas très catholique, puisqu’il inverse le sens de lecture occidental, de gauche à droite, se dirige donc à sinistre senestre, visualisez une croix chrétienne renversée si vous le voulez. Les gauchers, dont votre serviteur athée, peuvent se gausser d’un tel rapprochement malséant avec le côté classé malsain du Malin, mais la caméra continue à tourner, au propre, au figuré, topographie une partie précise d’une métropole interlope des États-Unis au terme des sixties. Tandis que défile le sage paysage un brin brumeux, junglede béton aux bâtiments totems autrefois fatals à King Kong (Cooper & Schoedsack, 1933), déjà fable affable à propos de la persistance du primitivisme parmi notre civilisation sauvage et pourtant policée, la voix de Mia (Farrow) fredonne la berceuse tristounette du fidèle « Christopher Komeda », vague valse aussitôt rendue suspecte par des dissonances de clavecin, parce qu’elle le vaut bien, cette épouse trop parfaite, mariée à un médiocre acteur arriviste, femme au foyer à effarer les enflammées (surtout leur soutien-gorge) représentantes du MLF de la décennie successive. De l’iteml’intitulé, du casting et de l’équipe technique les identités apparaissent en douceur, rose calligraphique presque à confondre avec un ouvrage de Douglas Sirk ; correspondance d’ailleurs cohérente, si l’on résume le métrage en mélodrame maternel, amen.

Placé à l’ouest, en surplomb de l’un des deux quartiers résidentiels de l’insulaire Manhattan, on avise vite un coin du lac, une portion de Central Park, salutations d’absolution au sabbat homonyme de William Hjortsberg, œdipienne trame de Angel Heart (Parker, 1987), avant que l’objectif ne vienne cadrer en plongée prononcée, molto Vertigo(Hitchcock, 1958), le colossal et sépulcral – Lennon ne s’en étonne, sur son seuil y décède – Dakota Building, anachronique coquetterie architecturale à disons affoler Hawthorne et sa maudite Maison aux sept pignons. Plus tard, histoire de désespoir, la protégée des Castevet, poussée ou pas, tombera depuis leur septième étage, dommage. Cette comptabilité à proximité du célèbre 666, date de naissance fatidique, beaucoup apocalyptique, de l’invisible Antéchrist, von Trier à la niche, et ensuite d’un certain Damien (La Malédiction, Donner, 1976), se voit complétée, souvenir de cinéphile initié à la sorcellerie de l’existentiel exil des grandes villes, par un film en filigrane, le moins amusant, plus obscur, davantage dépressif, La Septième Victime (Robson, 1943), terminé sur le suicide de son héroïne, l’homicide Jacqueline. Lecteur nocturne et compulsif du bon bouquin de Levin, itou auteur de « l’insoutenable bonheur » des dames d’une dystopie de domination que transpose en virtuose Bryan Forbes (The Stepford Wives, 1975), Polanski en conservera Dieu merci la coda, sorte de happy ending pas si surprenant, que ne ferait une maman par amour pour son terrifiant (?) enfant… Outre relier Répulsion (1965) au Locataire (1976), variations individualisées du pionnier Psychose (Hitchcock, 1960), dont la douche maousse possède sa matrice apocryphe chez la précitée production Lewton, Rosemary’s Babyétablit la perversité rapprochée de Chinatown (1974), viol ou inceste, choléra ou peste, reprend les bases conspirationnistes du Bal des vampires (1967), par la suite développées selon Frantic(1988), Le Pianiste (2002), The Ghost Writer (2010) et J’accuse (2019).  

Il s’agit aussi, bien sûr, d’un assez superbe portrait de femme forte et fragile, d’une première Femme sous influence(1974), indeed, n’en déplaise à Cassavetes, sur l’écran et sur le setmal à l’aise, irrité par la technicité du tournage, son absence d’improvisation, qui déclara préférer au directif bébé de Rosemary des Douze Salopards (Aldrich, 1967) la décontractée compagnie, libre à lui, précédant ceux de Tess (1979) et La Vénus à la fourrure (2013). Moralité renommée, à diabolique succès, Rosemary’s Baby utilise le fantastique en métaphore dynamique, polysémique, non en catéchisme filmique. Petit rescapé du ghetto de Varsovie, sous peu aux prises avec la presse US, en raison d’un fameux fait divers d’absolue déraison, désormais avec les féministes numériques, Polanski, peut-être mieux que n’importe qui, excelle à capturer, voire à lui-même incarner, ce sentiment constant d’exclusion, évidemment irréductible à l’antisémitisme, cette sensibilité d’altérité, d’adversité, de réalité en POV, menaçante et menacée. L’Adversaire, au fond, l’indiffère, au contraire des vieillards vicelards, de leur clique excentrique, supposée sataniste. Cinéaste existentialiste, en sourdine il dépeint un pacte faustien, diaboliquement hollywoodien, une autarcique et méphitique communauté d’âmes damnées, dans laquelle on peut reconnaitre un écho des producteurs et des parasites de son industrie problématique. Alors que la démonologie vintage de Chinatown se préoccupe de capitalisme patriarcal, celle, jamais marxiste, de Rosemary’s Baby, par (Castle & Evans) un gros studio produit, pratique l’ironie, anticipe les couples en déroute, torturé, embrasé, au propre, au figuré, again, de La Jeune Fille et la Mort (1994) et La Neuvième Porte (1999), le tandem Weaver & Kingsley substituant Schubert au Beethoven du duo Cassavetes & Farrow.


Satire réflexive, gérontophobe effroi des affres et du stress de la grossesse, motif du Monstre est vivant (Cohen, 1974), clin d’œil du It’s Aliveà une réplique de répit, insanité partagée en symptôme d’une pérenne « ère du soupçon », relisez Sarraute, ne réélisez Nixon, en train de s’installer en esthétique et en politique, sur le point de se poursuivre via le révisionnisme des seventies, miroité au ciné, Rosemary’s Baby, dès l’incipit de son trop joli générique, de surcroît exsude sa tristesse et sa solitude, plutôt que du fastidieux Lucifer du lucide Strindberg valide l’enfer, non plus à craindre dans l’au-delà, car vécu ici-bas par toi et moi. Face aux failles de la confiance, aux trahisons en réunion, à un corps contaminé, instrumentalisé, à une absurdité structurelle, essentielle, congédiée à l’aide d’un projet (pseudo-)métaphysique, cadeau cruel, domestique blasphème, il ne faut défaillir, il faut accepter le pire, famille d’occasion, de coercition, par procuration, bonne pour le cabanon, enfant différent, espérons ou prions pas si malfaisant, malgré son berceau enténébré, ses yeux odieux à incinérer les missels. Poussée à la limite, la christique Rosemary reste stoïque, offre au nourrisson et au spectateur sa détresse, sa tendresse. Si L’Exorciste (Friedkin, 1973) cristallise, à travers sa singulière pédophobie, sus à la contestation de nos désenchantés rejetons, l’exposition de la pornographie, ne pouvait appartenir à une autre époque, Rosemary’s Baby relève d’un érotisme morbide, intrusif, suggestif. Deux ans avant le double meurtre atroce d’une Sharon Tate elle-même enceinte, mimétisme terrible, confluence de démences, il paraphe la fin des festivités ou des frivolités, suivant la perspective adoptée, il envisage le revers du solidaire, du libertaire, du fraternel, du spirituel, il dévisage, hors-champ tétanisant, le visage d’un intime démon, irréductible, encore, à celui du minable et misérable Manson, de ses stupides séides de soumission, l’adolescente Samantha ne démentira, l’adulte Samantha pardonnera, cela vous va ou pas.

Avare d’analyses psychologiques, psychanalytiques, à juste titre, emmerdant roman à stérile rengaine des censées, insensées, sciences (in)humaines, Roman Polanski délivre cependant, depuis plus de soixante ans, des œuvres à la fois professionnelles et personnelles, tel ce délectable et redoutable Rosemary’s Baby, valeureux ave Satani, certes délesté de l’inspirée messe noire du maestro Goldsmith, y compris aujourd’hui…       


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