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My Bernard Herrmann : Anatomie d’une discographie

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Du « citoyen » Kane au chauffeur de taxi, repères de leur noire et lumineuse galaxie.


La vie et l’œuvre de Bernard Herrmann s’avèrent désormais largement documentées. On renvoie donc le lecteur (anglophone) vers les travaux de Steven C. Smith (A Heart at Fire’s Center: The Life and Music of Bernard Herrmann, biographie essentielle, en effet « de référence », à la fois technique et intimiste), de Christopher Palmer (The Composer in Hollywood, essai « polyphonique » et chronologique, où l’auteur replace le compositeur dans le contexte hollywoodien des années 30 à 50, parmi Max Steiner, Erich Wolfgang Korngold, Alfred Newman, Franz Waxman, Dimitri Tiomkin, Roy Webb, Miklós Rózsa, Alex North, Elmer Bernstein et Leonard Rosenman) ou le documentaire de Joshua Waletzky (Music For The Movies: Bernard Herrmann, cinquante-huit minutes assez éclairantes, avec notamment la participation de l’émérite Royal S. Brown), sans omettre les quelques pages précises et pertinentes (le caractère tragique conféré à l’amourette ferroviaire de La Mort aux trousses, par exemple) de Michel Chion dans La Musique au cinéma, le panorama synthétique, un brin superficiel, de Jean-Pierre Eugène (La Musique dans les films d’Alfred Hitchcock) ou le site de la Bernard Herrmann Society, qui propose de nombreuses entrées, dont un forum, des articles thématiques et un « catalogue raisonné », commenté, en sus d’un délectable entretien accordé par le musicien au « royal » universitaire durant le dubbing de l’inoubliable et obsédant (métrage + partition) Obsession, peu de temps avant son décès (en décembre 1975) au lendemain de l’enregistrement d’un certain Taxi Driver. Pour « faire bonne mesure », expression ici adéquate, on mentionnera en outre les « collatéraux » Moi, Orson Welles, recueil roboratif d’entretiens avec Peter Bogdanovich, le luxueux L’Art d’Alfred Hitchcock : 50 ans de films assorti de son prolongement « polémique », La Face cachée d’un génie : La vraie vie d’Alfred Hitchcock, tous deux signés bien sûr par Donald Spoto.     


Contrairement (ou en complément) à tout ceci, on propose à l’auditeur principalement d’entendre (d’écouter) la musique de Bernard Herrmann, souvent dans son intégralité, ou alors sous la forme de « suites » d’occasion, de montages-échantillons sonores. Deux principes guidèrent notre sélection : l’identité des sources (l’enregistrement mis en ligne doit correspondre parfaitement ou se rapprocher le plus possible de celui gravé sur CD) et leur disponibilité (rien sur Williamsburg: the Story of a Patriot, rarissime biopic de 1956, d’ailleurs réduit à une poignée de minutes sur disque, tant pis). Dans ce parcours subjectif assumé, à ne pas confondre avec une quelconque exhaustivité, les « classiques » alternent avec les raretés, à l’instar de ces versions vocales (et improbables, reconnaissons-le) de Sueurs froides et Pas de printemps pour Marnie (Richard Chamberlain s’en sortit mieux pour Joy in the Morning). Parfois, un film se voit illustré par plusieurs items, tel le liminaire et matriciel Citizen Kane, œuvre d’une grande richesse visuelle, intellectuelle, émotionnelle et, aussi, musicale, où Herrmann (et Welles, n’en déplaise à cette conne « révisionniste » de Pauline Kael) récapitule avec brio, virtuosité, tout ce qu’il apprit à la radio et en dehors, en même temps qu’il esquisse les bases déjà significatives, puissantes et affirmées d’un style unique, singulier, qui le caractérise à la façon d’empreintes digitales (il use lui-même de cette métaphore, déplorant les instrumentations cédées à d’autres, les orchestrations d’emprunt ou de « seconde main », petite pique, peut-être, au tandem Jerry Goldsmith/Arthur Morton, plus vraisemblablement, à une industrie américaine du divertissement sonnant, trébuchant et syndiqué, au sein de laquelle le « travail à la chaîne » et la division des postes relèvent davantage du fordisme transposé que de l’esthétique fordienne). Quand l’opus (lexique idoine) prend la forme d’une anthologie, nous présentons les affiches concernées, manière de distinguer, différencier, de surprendre, également (cf. les langiennes acclimatations italiennes du Faux Coupable).


Irréductible à son application à l’écran (on recommande la découverte des « pièces de concert », particulièrement l’épique Moby Dick, l’ample et délicate Symphonie numéro 1, hélas « orpheline », le poignant For the Fallen, dédié à ceux « tombés » durant la Seconde Guerre mondiale, l’élégiaque Souvenirs de voyage), à de fécondes collaborations (Welles, Hitchcock, au ciné ou à la TV, De Palma mais encore William Dieterle, Mankiewicz, Rod Serling, Ray Harryhausen, Henry King, Henry Hathaway ou François Truffaut), à des instrumentalisations sympathiques (Lady pas Gaga, affirmée Born This Way, le pilote en sueur, refroidi, de la réussie American Horror Story) ou clairement à la con – adoptons le ton notoirement acerbe de « Benny » –, celles de la grenouille Terry Gilliam se prenant pour le bœuf Chris Marker (L’Armée des douze singes, ennuyeuse plutôt que vertigineuse), du surfait Gus Van Sant (Psychosebis, risible et stérile ersatz arty, qui nous remet en mémoire Henri Jeanson, scénariste scatologique, se gaussant à propos des Espions de Clouzot : « Il a fait Kafka dans sa culotte »), de Tarantino ou Michel Hazanavicius, gens sans talent sinon celui de recycler, parasiter, celui d’autrui, la musique de Bernard Herrmann lui ressemble à chaque note, « cellule », motif, leitmotiv. Au croisement du romantisme et du sérialisme, du folklore et de l’impressionnisme, de la narration et de l’expérimentation, du spectacle et de l’intériorité, elle ne rime finalement avec aucune autre, peu importe le jeu des influences, des admirations, des transmissions (Charles Ives, pas seulement). Anglophile (il s’installa à Londres, en écho à Kubrick, il enregistra un généreux et very greatGreat British Film Music associant William Walton, Constant Lambert, Arnold Bax, Arthur Benjamin, remember la cantate « orageuse » de L’Homme qui en savait trop, Ralph Vaughan Williams + Arthur Bliss) et très américain, homme de culture et de rupture(s), lecteur attentif et analyste judicieux (spécialement lorsqu’il se penche sur la duelle production britannique, entre un Benjamin Britten « moderniste » et un Edmund Rubbra « traditionaliste »), Herrmann arbora toujours un individualisme idiosyncrasique mâtiné d’amitiés avérées (Welles lui obtint le OK de la RKO, Alfred Newman, accessoirement signataire de la fameuse fanfare du studio, le convia à la Fox).


La sincérité, la radicalité, l’indépendance (à l’époque du Rideau déchiré, il sut dire non à Hitch et avant tout à Lew Wasserman, grand manitou de Universal, il se ficha de risquer l’excommunication d’un Friedkin converti en Exorciste de style) se paient au prix de l’hostilité, de la (mauvaise) réputation (proverbial « mauvais caractère »), de la solitude (malgré ou à cause de trois mariages et de deux enfants, duo de filles aux prénoms, Dorothy & Wendy, empruntés au Magicien d’Oz et à Peter Pan !), afortiori dans un milieu foncièrement « pourri », régi par le fric, le trafic, les fa(r)ces hypocrites. Plus profondément, le compositeur de musique (et pas le « musicien de cinéma », les deux veines réconciliées le temps du frénétique ConcertoMacabre de Hangover Square) éprouva sans cesse, son œuvre par essence existentielle le prouve avec une candeur superbe, orgueilleuse et impudique, l’extase et l’agonie de la vie, sa beauté, sa mélancolie, sa noblesse et sa sauvagerie. Tragique par nature, par goût, l’artiste peu mondain, enclin aux courbettes, ne s’aventura guère, en bonne logique symbolique, au pays phonique du rire : le thème de Mais qui a tué Harry ?, débonnaire, devient vite automnal, celui du Faux Coupable passe des flonflons à la grimace, celui de Twisted Nerve débute comme du Tati avant que le sifflement ne s’enlise dans une comptine orchestrale de cinglé à la Sisters. Une quarantaine d’années après sa disparition, son corpus(musical, astral, mémoriel, numérisé) continue à sidérer par sa modernité, son immédiateté, son intelligence pragmatique des images et son insoumise autonomie par rapport à elles (les disques se savourent par et en eux-mêmes).


Même si des correspondances se tissent entre son travail et les ouvrages d’un Ennio Morricone (l’harmonica menaçant de Il était une fois dans l’Ouest reviendra dans The Night Digger) d’un Pino Donaggio (successeur sur Carrie au bal du diable, et pour cause, en l’occurrence « de décès »), d’un Howard Shore (Chromosome 3 ou le Psychose canadien, la bouleversante coda de Fahrenheit 451 retrouvée dans l’ouverture de Faux-semblants, Ed Wood et son thérémine cheap, filial), d’un Ryūichi Sakamoto (Talons aiguilles, mélodrame maternel à la Marnie, nanti d’une Victoria baptisée Rebeca, voilà, voilà, sans compter que le Japonais délivra sa propre lecture des Hauts de Hurlevent, quatre décennies après le bel opéra de Benny), d’un Danny Elfman (cartographie caverneuse, « au centre de la terre » et du territoire du justicier névrosé de Gotham, Batman, le thérémine, idem, sarcastique et stellaire de Mars Attacks!), il convient de remercier en premier (lieu dématérialisé) ceux qui surent maintenir vive la flamme de l’incandescent Herrmann, en miroir de sa mission « éducative », les Elmer Bernstein, Tony Bremner, Charles Gerhardt, Laurie Johnson, John Lasher, Muir Mathieson, Joel McNeely ou William T. Stromberg (une pensée particulière pour David Blume, arrangeur doué, inspiré, du jazzfunèbre et urbain offert à Scorsese pour le « chemin de croix » autarcique, politique, hystérique et ironique de Travis Bickle, cette BO-là notre inaugural achat, naguère, au siècle dernier, conjointement au lecteur CD/DVD, eh ouais). Oui, le corpusherrmannien, grâce à eux tous, chefs d’orchestre ou producteurs soutenus par divers labels (Arista, Decca, Milan, Marco Polo, MCA, RCA, Rhino Movie Music, Silva Screen, Southern Cross, Varèse Sarabande, les Allemands de Tsunami, les Australiens de Fith Continent Music Classics et Preamble), aujourd’hui par des fans cosmopolites on line, se porte bien, tant mieux et enfin. Il comporte de surcroît, retour au cinéma, afin de finir cet article (sous-titre de salut à Preminger) aux allures de boucle bouclée, de célébration quasiment autobiographique (écrire sur Le Voyeur reviendrait, jusqu’à un certain point, un point certain, à se regarder dans le miroir ; préférons le relais identitaire du son, disons), moult trésors à exhumer, à partager (pistes personnelles : le lyrique Jane Eyre, les « fondantes » Neiges du Kilimandjaro, pas celles de Robert Guédiguian, pourtant, les nocturnes soyeux de La Sorcière blanche, la douceur terrible de Tendre est la nuit, ah, Jennifer Jones for ever).


Gare aux superlatifs superflus, aux hyperboles d’école, au palmarès au rabais : à défaut d’être « le plus grand », Bernard Herrmann, pour nous, en tout cas, s’aime et se comprend (mystérieusement, magnifiquement) comme (probablement) le plus exemplaire et le plus fraternel des complets (il dirigea ses créations itou) auteurs musicaux amoureux de radio, d’opéra (on opine à son estime pour le mésestimé, myopie du snobisme, Puccini) et de cinéma, un vrai maestro et un homme au cœur à raison brûlant, vibrant, à jamais (double éternité fragile de la mélomanie, de la cinéphilie) vivant via ses scores, encore et encore, pour toujours, au synthétiseur Moog ou à l’organique viole d’amour.


De Palma : À bout de souffle

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Noah Baumbach et Jake Paltrow.


Cela commence mal, par le début de Sueurs froides (poursuite sur les toits, glissade, gouttière et patatras, voilà, voilà), film « brechtien » remémoré avec révérence par l’intéressé ; cela ne se termine guère mieux, par une photographie de plateau de Redacted(réalisateur debout, la victime musulmane, martyrisée par les petits gars du sale Oncle Sam en Irak, à ses pieds), propre à ravir les féministes rancunières « outragées » par Pulsions. Entre les deux, Brian De Palma, en bleu marine (pas celui de notre walkyrie nationale très bas du front), bras croisés, mains frottées (pour le Rapidod’Antoine de Caunes, à l’époque des Incorruptibles, Christophe Gans le filmait en contre-plongée, sa main en amorce à la Mr. Arkadin), le regard au plafond ou pointé vers sa gauche, souvent jovial (pour information, ce sacripant impénitent de Sean Penn susurre à l’oreille du pauvre Michael J. Fox, Candide au Vietnam, un plaisant « acteur de télé »), cadré dans un quasiment unique plan rapproché, devant la cheminée éteinte (symbole explicite) du séjour du sieur Paltrow, parle, parle, parle. Oh, il ne parle pas pour ne rien dire – presque pire : il parle pour dire, formuler, ce que n’importe qui d’un peu familier de son œuvre connaît, par cœur, votre honneur (l’objection d’une dimension éducative se voit non retenue, car cette logorrhée ne s’adresse certes pas au premier venu, au spectateur de hasard, au mythique « néophyte »). Durant cent cinq minutes (quintessence supposée des trente heures du tournage mensuel, au secours), il monologue (il dit « toute la vérité »), entrecoupé d’extraits illustratifs, jamais dialectiques, acontrario ou à contretemps.


Classé en « documentaire » (abus de langage à l’usage de ceux qui méconnaissent le dictionnaire, pour paraphraser Paul Valéry), De Palma ne déçoit pas (que pouvait-on sérieusement attendre des deux auteurs invisibles, muets, faiseurs de second plan modestement relégués dans leur bicéphale hors-champ ?), il confirme les craintes et une attristante évidence. En l’état (de ses artères, du système hollywoodien), la filmographie qui sut tellement nous séduire, nous bouleverser, nous questionner, s’achèvera donc, désormais, sur un naufrage (Passionle mal nommé), sur du verbiage (confondu avec un récapitulatif hommage). Le métrage au goût de cendres, présenté à Venise, démontre ainsi, par l’absurde, à la fois l’emprise généralisée de l’anecdote (de « l’histoire orale » substituée à l’Histoire en perspective, de préférence critique, cf. nos articles consacrés à Midnight Movies ou Electric Boogaloo) dans le paratexte paresseux des images (le proustien Obsession se voit ravalé au fond de teint « à la truelle » de Mister Robertson) et l’immense fatigue d’un homme âgé, que l’on entrevoit, une poignée de secondes enfin en extérieurs, se déplaçant, seul, avec difficulté, en « surcharge pondérale » (litote politiquement correcte de diététicien hitchcockien), après des propos (et une citation en rapport de William Wyler) sur la résistance physique nécessaire pour tourner, sur l’épuisement causé par le cinéma, notoire « mort au travail », en masse (en équipe) et dans le détail. Passion sentait le sapin, De Palma enfonce le clou (du cercueil, par exemple celui de Jake Scully) et souligne qu’il convient de se méfier davantage des fansémollients que des stimulantes hostilités (chez BDP ou dans la « vraie vie », motus sur les désolants « réseaux sociaux », les amitiés et les amours trahissent toujours, tandis que les adversaires et les ennemis affichent une fidélité sans faille), que le biographe, ou l’auditeur, ou le commentateur, s’avèrent constamment, désespérément, inférieurs à leur sujet, à moins de s’appeler Stefan Zweig  (Hitchcock, tant mieux pour lui, sut trouver en Truffaut, flanqué de l’énamourée Helen Scott, secrétaire-traductrice, un VRP de luxe, un évangéliste « du métier », puis, en la personne de Donald Spoto, une sorte de Giorgio Vasari prompt à la psychobiographie, mais pas exempt de pertinence, même si Patricia peina à retrouver son papa dans ses travaux, dixitDavid Cronenberg).


De Palma, lui, devra se contenter d’un recueil d’entretiens avec deux journalistes français « spécialisés », auquel on peut parfois préférer ceux du Canadien avec Serge Grünberg, de David Lynch « cuisiné » par Chris Rodley, en sus de cette « autobiographie » d’oracle autarcique, dans le silence et le désert, déguisée en immobiles feuillets dignes du Reader’s Digest. La Camarde nous crèvera tous (nous enculera à la Rocco Siffredi, autre protagoniste de récents « mémoires » apparemment dépressifs, « l’étalon italien », notStallone, imaginable en anachronique et sombre consultant éclairé de Body Double), détiendra in fine le « dernier mot », dans le sillage de la vieillesse, « charogne » d’un proverbe sicilien repris par Nick Tosches dans sa vivante évocation de Dean Martin (Dino, autrefois publié par Rivages), personnage au croisement de Blow Out (les démons de l’autodestruction) et de Snake Eyes (le glamour mortifère des casinos) ? Bien sûr, ceci aussi, nul ne l’ignore. Et alors ? Puisque demain constitue un autre jour, affirmait Scarlett à contre-jour du crépuscule embrasé d’Atlanta, le monde (« est à toi », à Paul Muni ou à Tony Montana) continuera à (mal) tourner, le cinéma également, ce qu’il en reste, ce qui survit, ce qui parvient (pour combien de temps ?) à faire illusion, ou à renaître avec rareté, radicalité (à « saisir le vif » d’outre-tombe, refus d’amnésie et motif mémoriel, métaphorique, icônisé viala coda de Carrie au bal du diable). Dire adieu à l’univers admirablement sincère, à l’intelligence du cher et grand master(pas seulement de l’horror, pas uniquement menstruelle), revient finalement à « faire le deuil » de sa propre adolescence, de sa jeunesse « faustienne » (façon Phantom of the Paradise) de cinéphile (aura réflexive), de citoyen (conscience politique), à l’instar des nombreux personnages dont ses films content, racontent, persisteront à chroniquer, pour les générations postérieures, successives (vœu pieux davantage qu’espérance étayée, hélas), la mort annoncée, le trépas de cinéma en cover (un certain Jean-Pol Brissart double le cinéaste en voice over) du décès matriciel et spectaculaire de ce goujat (aux « fréquentations » mafieuses) de JFK.


Rien de grave, au fond (de la tombe du voyeur préoccupé par « l’origine du monde » d’un simulacre désiré, courbé, pénétré à la perceuse de BD), juste les « choses de la vie », avec Romy ou Holly Body, le final cutdéfinitif d’ici(-bas), L’Impasse de nos extases et l’inaccessible Paradis (musical, tropical, idéal) de nos agonies, Lang pendue face aux écrans de divertissement et surtout de surveillance, camés à la sinistre modernité. Bye-bye, Brian, et encore merci pour tout ce que vous sûtes nous offrir avec générosité, majesté, intensité, lucidité (l’ensemble méritait de plein droit une maigre « communauté », un kaléidoscope aux allures de split screen, une mosaïque impressionniste en POV, ouais). Votre corpus cinématographique, foncièrement immarcescible (donc « incorruptible », littéralement), gore ou non, dépourvu de misogynie (allez feuilleter quelques « magazines féminins » et l’on en rediscute), aimablement maniériste, méta, mélomane et mélodramatique (un compliment) parle pour vous, laisse loin derrière cet exercice superflu, à la limite de la nécrophilie (retour à Vertigo, so), du making-ofdiscount lesté d’une arrogante totalité (de titre, d’artiste, d’individu). Brian De Palma, heureusement irréductible à ce piètre De Palma, s’en remettra, nous itou, et nous célébrerons longtemps (vraiment ?) son précieux, profond, scopique et politique cinéma, sur ce blog-là ou pas.   

        

Absolute Beginners : Notes sur le jeune cinéma français

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Une affaire de perception et de point de vue, always et pour l’éternité.


1

La Fémis, une école de (re)production (sociale) peuplée « d’héritiers » à la Bourdieu ? Avec Le Concours, Claire Simon, une ancienne de la maison, semble découvrir l’Amérique. Dans un registre similaire, la pluie, ça mouille et la guerre, ça tue des gens. « Étonnant, non ? » comme ironisait Pierre Desproges. Allez, on évite d’en rire, please.

2

L’article « polémique » de Richard Brody récemment paru dans le New Yorker (une dizaine de paragraphes sans difficulté lexicale particulière, les anglophones s’en apercevront vite ici) ne brille certes pas ni par son originalité, ni par sa profondeur, moins encore par la qualité de son style. On ne s’appesantira pas non plus sur la réponse-riposte anodine et chauvine d’un Jean-Marc Lalanne dans les colonnes des « Inrocks », hebdomadaire pour bobos aux goûts musicaux assez horribles, à la prose ad hoc, qui osait mettre en une (numéro 1103, du 18 au 24 janvier 2017) la dansounette d’Emma & Ryan se prenant pour Ginger & Fred, voire Cyd & Gene – on évite de rire, bis– avec cet imparable titre : « La La Land, le film le plus attendu de l’année » (par qui ? Par eux ? Tant mieux, tant mieux, vous en reprendrez bien une double dose avec l’interviewdu si fadasse chauffeur Gosling). Pour citer Eastwood en mémorable Harry, « les avis, c’est comme les trous du cul : tout le monde en a un », yes indeed, et ceci inclut le nôtre, charité bien ordonnée de cinéphile commençant par soi, voilà, voilà.

3

Le texte du critique américain, fan et apparemment connaisseur de la Nouvelle Vague illico vieillie, éventuellement d’un Samuel Fuller, mavericknotoirement « vénère », porte avant tout, dès son titre : A Documentary that Explains the Dearth [sic] of InnovativeYoung French Filmmakers non sur le cinéma français en général mais bel et bien sur sa jeunesse, sur ceux qui vont le représenter sous peu, pour le meilleur et plus souvent le pire, avouons-le, non par pédophobie de quadragénaire, auto-flagellation nationale à la con ou apriori« discriminatoire » de classe ouvrière (crime toujours très à la mode au temps du politiquement correct importé d’outre-Atlantique), qui, on le sait bien désormais, n’ira jamais au paradis, a fortiori en Italie, avec ou sans Elio Petri, seulement par expérience de spectateur, par constat désabusé, mouais.

4

Brody brode autour de l’érosion rapide de l’excellence (des films), des talents (de cinéastes), de l’audace (créative), sur l’incapacité de notre cinéma à produire, depuis trois décennies, ce qu’il dénomme joliment a historic director. Il reconnaît l’existence de certains marginaux exceptionnels, ou d’inside men (que l’on nous pardonne cet explicite anglicisme à la Spike Lee) qui surent donner vie à de distinctifs travaux – néanmoins, aucun ne s’avéra un révolutionnaire, mes frères. Tel le René de Chateaubriand (et une part importante du romantisme à sa suite), écœuré par la vie avant même de l’avoir vécue, avant même d’avoir vécu tout court, les réalisateurs de France vieillissent durant leur juvénilité. Le responsable principal de cette progéria artistique, de ce formatage normalisé ? Un système de financement et de production propre à l’Hexagone, jugé rigide, que La Fémis, établissement rigoureusement compétitif, symboliserait, incarnerait,  soutiendrait.   

5

Le Richard, aux allures de prophète d’opérette, par ailleurs admirateur de Sofia Coppola, Noah Baumbach et Todd Solondz, beau trio de têtes à claques à désespérer du cinéma dit indie US, décrit ensuite le fonctionnement du recrutement, épreuve écrite, tradition académico-scripturale oblige, l’ersatz de dissertation en écho au sacro-saint scénario, entretien, exercice pratique puis déballage biographique et psychologique devant un panel d’une demi-douzaine de professionnels, « de la profession », of course, se moque Godard, qui faillit organiser là-bas un atelier, dont il souligne l’homogène caractère économique et « ethnique » (aïe, voici un critère qui fâche au pays de la République « une et indivisible », tellement préoccupé de laïcité, et pour cause, de crispation, de conflit, d’instrumentalisation, de récupération et tutti quanti, accessoirement territoire parangon du « bon goût », des idées visant à « l’universel », donneur de leçons et de Lumières, au croisement de l’amnésie et du ressassement des altruistes colonies, du régime de Vichy, des « événements d’Algérie », passons, passons, mes bons compagnons) ; l’extrait de dialogue inclus mérite à lui seul la lecture du texte, en ce qu’il constitue un remarquable exemplaire de la doxa discursive contemporaine, œcuménisme de bien-pensance à la Benetton revue et corrigée par un pouvoir estampillé de gauche (à droite, pas de temps pour ces conneries, vous comprenez, on préfère se faire offrir des montres valant plusieurs mois de salaire de « travailleurs pauvres »).

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La contextualisation de la problématique implique un « retour vers le futur » (mitterandien) des années 80-90, la crainte du « village gaulois » d’être dévoré vif par l’ogre Oncle Sam, la substitution de La Fémis à la feue IDHEC, aimablement décrite en repaire technique, techniciste, de retraités caducs depuis belle lurette, avant l’invention de l’extraordinaire notion « d’exception culturelle » défendue à Bruxelles, notamment par l’inénarrable Christian Clavier (les gens du Parlement, sur ce sujet ou d’autres, démontrèrent leur irréprochable compétence, le traitement de la guerre civile en ex-Yougoslavie ou celui de l’actuelle « crise des migrants » en témoignent admirablement, pas vrai ?). Le but caché, inavoué, du prestigieux aréopage (Delphine Seyrig, Carrière, Étaix, Trauner parmi leurs confrères) alors aux commandes ? Alimenter le futur courant dominant, passer de la conservation (de l’héritage des compétences, des savoir-faire) au conservatisme (calibrage des imageries, des imaginaires, des sensibilités), préférer l’auto-perpétuation à l’expérimentation.    

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Danton réclamait de l’audace, Brody exige de l’originalité, sur et derrière l’écran, à la fois dans la diégèse et la coulisse du financement, de l’administration, de la production et de son sillage. Avec un soupçon de pathos à l’évocation des filmographies d’hier, contemporaines de l’émergence du « cinéma moderne », à l’origine de sa propre cinéphilie, l’auteur garde bon espoir d’une renaissance, d’un regain, fruits toujours possibles du hasard, de rencontres fécondes, en dépit ou clairement contre l’influence officielle en amont, en surplomb. Cette nostalgie participe in fine d’une stratégie commerciale, d’une reconnaissance et d’un succès internationaux perçus en signes de vitalité : à l’instar de la cuisine ou de la mode, le cinéma tricolore devient un marqueur identitaire à l’étranger mondialisé, dont l’auteur attend impatiemment, au-delà de manifestations promotionnelles ponctuelles, qu’il se transforme enfin, qu’il retrouve son lustre d’antan, troquant l’espoir pour la passion, la curiosité pour l’urgence, le plaisir pour l’amour.

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Mainstreamversus autarcie, étatisme en adversaire du libéralisme, diversité opposé au conformisme (le sieur Lalanne achève son explication de texte par une énumération propre à nous donner des névralgies – Claire Denis, Céline Sciamma, Justine Triet, Serge Bozon, Asghar Farhadi, Alain Guiraudie, Michael Haneke ; auparavant, il enrôlait Pascale Ferran, Patricia Mazuy, Olivier Assayas, Jacques Audiard, Bertrand Bonello, Arnaud Desplechin, Bruno Dumont, Michel Gondry, Abdellatif Kechiche ou Gaspard [sic] Noé en discutable bataillon d’élection, en échantillon de hérauts émérites – et toutes ses félicitations à un système de soutien censé défendre et non menacer de précieuses « propositions formelles » (pour information et rappel, les films ne proposent rien, ils s’imposent, ils réalisent de facto leurs promesses en se réalisant, sinon, qu’ils périssent au plus vite avec leurs exégètes spécialisés, appointés, écrivant de la sorte).  

9

Dans leur guéguerre par billets interposés, le vénérable Américain et le petit Frenchy oublient au moins deux éléments capitaux (sans jeu de mots, quoique) : primo, l’individualisme étasunien, rétif à tout interventionnisme étatique, porté, disons, par un De Palma (outsider de l’intérieur et inversement) confiant naguère à Isabelle Huppert, éphémère rédactrice en chef des Cahiers du cinéma (et fragile pont de chair rousse maousse entre les deux nations) sa préférence à voir L’Impasse se frotter au box-office concurrentiel à Wayne’s World plutôt que de s’inscrire dans une économie encadrée, protégée, assistée, par un Eastwood (Malpaso ou meilleur pas d’indépendance), par un Fuller, hier, justement ; secundo, le rôle-clé de la TV dans la cinématographie française d’aujourd’hui (on renvoie vers nos réflexions sur la production). Ne pas prendre en compte ce duo d’idiosyncrasies, et leurs effets directs ou collatéraux sur les films (sur les produits audiovisuels, culturels, suivant la perspective et le vocabulaire), revient au mieux à faire preuve de myopie, au pire à maladroitement hiérarchiser l’enchevêtrement des causes, à amputer l’existant, « l’état des lieux » d’une situation en effet préoccupante, d’un facteur (de peur ?) majeur.

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En vérité (on vous le dit, ici ou ailleurs, depuis bientôt trois ans, Seigneur), peu nous importe que La Fémis ferme ses portes, que Canal+ rempoche son portefeuille, qu’un regard délocalisé pointe la nature structurellement bourgeoise du cinéma français (Truffaut fit de même au moyen d’une tribune fameuse, avant de se voir rattrapé, de force ou de gré, par ce qu’il conspuait, avec une évidente justesse assortie d’une bonne dose de mauvaise foi, pousse-toi donc de là, vieux, con, que je prenne fissa ta place). La plus grande partie de la production nationale d’aujourd’hui, celle que l’on distribue, médiatise, commente, que l’on fête ou dont on se désole, qui rapporte ou disparaît aussi sec, nous afflige et ne nous intéresse pas. Que les itinérants d’Unifrance aillent vanter ses mérites supposés cosmopolites, qu’ils exercent ainsi leur métier de VRP (Jean-Paul Salomé, le responsable des immortels Braqueuses, Restons groupés, Belphégor, le fantôme du Louvre, Arsène Lupin et autres Femmes de l’ombre, dirige l’organisme et ne craint pas le manichéisme lorsqu’il fustige le rétrécissement de la part hexagonale face au mastodonte hollywoodien, Saturne allant jusqu’à cannibaliser ses enfants épris d’autonomie, oui, oui).

Que l’on continue à s’exciter sur les cachets de stars, les tapis rouges, les apparitions d’icônes ou de célébrités en fin de JT, venus vendre leur soupe populaire au bon peuple qui doit voter, n’oubliez pas, surtout pour moi, bande de « mauvais Français ». Que les jurys (cannois) ou les académies (des César) décernent avec bonne conscience des miettes dorées aux « minorités visibles » (Entre les murs, Divines). Que le streaming et la VOD (opérateurs téléphoniques, Netflix et compagnie) tissent tranquillement leur toile prescriptive. Que les salles deviennent placidement des annexes de luxe du salon ou des stations en velours de l’ubiquité cellulaire, sur tablettes proprettes. Que l’on persiste à se servir du même mot – cinéma– pour (d)écrire (sur) des réalités disparates, sinon contraires, inégalitaires. La « table rase », cartésienne ou non, nous convient, ne nous scandalise pas. Que le cinéma sache se réinventer dans sa dialectique avec la société – ou que les deux, statues de cendres et de pourriture retenues ensemble par des rustines, des bandelettes bricolées, s’effondrent une bonne fois pour toutes, et que le mausolée s’inonde de soleil, se remplisse d’air frais, de mouvements de danse, sauvage et sensuelle, au risque du sang, du saccage, du tissu (syrien, européen) déchiré sans broncher.    

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Si le « jeune cinéma » questionne, que penser (comment les évaluer) de la littérature, de la musique, de la peinture du présent, en France ou sur la planète ? Ne succombons pas au pessimisme (pose à la mode, syndrome de stérilité), il doit exister (il existe forcément) des foyers de résistance, de désobéissance, d’intelligence dans l’océan du tout-venant abêtissant, abrutissant et désespérant (une communauté en atteste). 

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Faire du cinéma ou faire des films : pas de supplémentaire alternative. La première position (laissons la vocation aux poètes, aux esthètes, aux subventionnés) implique de se farcir La Fémis ou son équivalent, d’arborer sa carte syndicale, de prendre sa place dans la file réglée au cordeau, de répondre, le week-end, à la voix douce de Laurent Delahousse, notre Bob Redford du (si) petit écran. La seconde, de voir/apprécier/analyser des œuvres, de les oublier, de ne pas chercher à les copier, à les recycler. De se bouger, d’aller (en Corée ?) s’acheter (ou louer) une caméra, ou un appareil photo numérique de bonne qualité (cf. le rendu de Rubber), de sortir dans la rue et hors de son cerveau (même Eraserhead, enraciné dans une psyché particulière, dans un studio de l’AFI, s’ouvre sur le cosmos, s’adresse à tous les amants du ciné), de regarder autour de soi et en soi. De ne pas mépriser les pères (inspiration de la tradition), les pairs (émulation de la conjonction) et de savoir cependant s’en affranchir, non pour se complaire dans ses « obsessions », la transposition d’anecdotes biographiques, mais afin de donner du sens, de la matière, de la beauté, de l’abstraction, une âme et une direction à ce qui (ils appellent cela la vie), fondamentalement, n’en possède pas, ou déploie une altérité de chaque seconde, vertigineuse et malicieuse, terrifiante et stimulante – tu veux créer avec (ou contre) le cinéma, mon petit gars ? Alors prépare-toi au bénévolat, au mécénat, aux repas de pâtes premier prix, aux petitesses et aux grandeurs d’un art majeur et dévalorisé par ses propres soins d’épicier mesquin, d’auteurisme risible, de suiveur de malheur (innombrables téléfilms du mercredi).

Jeune, vieux, entre les deux, Blanc, Noir, basané, du centre, des cités, de la campagne, de BTS, de CAP, du Pôle Emploi, femme, homme, androgyne, « Français de souche » (quelle horrible expression !), d’adoption, natif de l’horizon, artiste, comptable, diplomate, singularité, synergie, éloquence, silence, don, gnon, en toi et dans ton art doivent s’harmoniser les puissances antagonistes, les forces d’écartèlement. Alors, ta cruauté caressera, alors, tes flammes se feront fleurs, alors, tu saisiras l’univers non plus au creux de ta paume, à la William Blake, mais au centre de ton objectif, parfaitement placé au centre du monde, dans l’œil serein du cyclone, où la nuit éblouit, où le jour ouvre sur les ténèbres. Le cinéma, art pragmatique et mystique, art de pauvres et de parvenus, d’artifices et de révélations, se paie du prix de ta peau, de ton ciboulot, de tes organes génitaux. Tu en mourras (tu crèveras quand même, avec ou sans lui, malgré le « bio », les « énergies renouvelables », les « droits humains » (voire civiques), la « Sixième République » et assimilables farces et attrapes du capitalisme, de l’altermondialisme, de tous les foutus ismes imaginables), sache-le, so what ? On te défie, Fémis ou pas, ici ou aux USA, de brûler en salamandre, de retrouver, reformuler, via la langue glacée, eugéniste, démocratique, du numérique, l’incandescence des premières projections, le danger de l’incendie, de la pellicule inflammable, du cœur sacré immolé par les saintes à leur dieu évanoui. Prométhée ou rien ? Mille façons de s’embra(s)er, autant que de personnalités, de se consumer avec discrétion, intensité, détermination, sincérité, avant de servir d’humus apaisé, oublié, dans les cimetières. Aucune école ne t’apprendra ça, crois-moi, aucune greffe, seringue, fréquentation muséale ou « rapport non protégé » (avec la réalité) ne te l’enseignera-inoculera.

Vivre et filmer, vivre de filmer, filmer en vivant, vraiment en vie : pas un programme, pas un duel, pas un « projet » (à la rigueur, probable projection) – une manière de vivre puis de mourir, d’aimer, de vomir, de penser le cinéma en le pratiquant, à long terme et dans l’instant. Enfant, il t’arrivait de « décrocher le pompon » sur un manège (pas celui d’Yves Allégret flanqué de la Signoret, de Duvivier paniqué, de De Palma furieux). Adulte, vise le rosebuddu citoyen Kane, clitoris de Marion Davies, énigme de sphinx à l’agonie, sésame de trésorier, indice de journaliste et, surtout, passeport vers l’enfance enneigée, blessée, marchandisée, visa vers le cinéma, domaine des ombres, des spectres, des éblouissements, des souvenirs, des plaintes et des soupirs. Go West(or East), go Welles, va et reviens vite, young man, rich andstrange (Hitchcock, pas du toc) de tes trésors qui dorment encore, qui scintillent déjà dans ta pupille ! Nous reparlerons demain ou dans un siècle de Richard Brody et des lendemains désenchantés, OK ?


PS : merci au fidèle Benjamin Fauré pour le lien vers Les Inrockuptibles et que le lecteur (la lectrice) de notre miroir moins modéré visite sa pertinente kinopithèque (courtoisie dénuée de flagornerie, merci), puisque la solitude (ontologique) du cinéma et de l’existence sait aussi, parfois, s’entourer d’agréables présences.

Coupez, on remballe et on recommande vos commentaires, mes chers.

Et tu vivras dans la terreur

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Topographie de l’euphorie par un cartographe du désastre.


Qui pourrait m’empêcher
De tout entendre
Quand la raison s’effondre
À quel saint se vouer
Qui peut prétendre
Nous bercer dans son ventre

Si la mort est un mystère
La vie n’a rien de tendre
Si le Ciel a un enfer
Le Ciel peut bien m’attendre
Dis-moi
Dans ces vents contraires comment s’y prendre
Plus rien n’a de sens plus rien ne va

Mylène Farmer, Désenchantée

Trois lieux caractérisent le vingtième siècle : la salle de cinéma, le parc d’attractions, le supermarché. Chacun représente et concrétise trois moments-avènements : la « société du spectacle », la « société des loisirs », la « société de consommation ». Avec des accommodements locaux, culturels, ce paradigme architectural déborde du cadre occidental pour s’étendre à l’ensemble de la planète. Une fois encore, l’esthétique rejoint le politique, l’économique le ludique, l’abondance la désespérance. Comme nul ne l’ignore désormais, le moindre plan suggère son contraire, sa permutation de point de vue : le champ possède non seulement son contrechamp mais également son hors-champ. Celui du centenaire passé ? « L’image manquante » d’Auschwitz, bien sûr, « angle mort » et « point aveugle » bien nommés venant équilibrer la prolifération des reportages d’autres fronts, d’autres conflits (le Vietnam, par exemple), avant que moult récits (y compris à propos des « événements d’Algérie », a contrario d’une réputation d’oblitération, d’amnésie en partie inexacte) ne viennent remplir cette béance documentaire, substituer aux témoignages une imagerie et un imaginaire prompts à susciter le confort (manichéisme pyrotechnique) ou la controverse (immersion de la reproduction). Au changement de millénaire, le 11-Septembre, effondrement filmé, dédoublé, du si symbolique World Trade Center, fait converger les deux courants : l’image en direct devient virale, mondiale, elle montre et démontre de manière itérative, en boucle, boostant jusqu’à la nausée, l’anesthésie, le catastrophisme hollywoodien des années 70 et la paranoïa terroriste de la même filmographie deux décennies plus tard. Pourtant, un mystère demeure, par-delà le ressassement sonore et en vidéo de l’épiphanie laïque, traumatique, l’invasion du territoire et du champ (on se doit de châtier l’ennemi dans sa chair, celle de ses ressortissants, surtout, et avant tout de lui infliger une « blessure narcissique » peut-être pire, inguérissable par le « travail de deuil », à jamais, pour l’éternité des caméras, des archives, des mémoires globalisées, personnalisées, inscrite dans son histoire audiovisuelle et donc sociétale).

La poussière, la cendre, la pudeur (aucun cliché de cadavre, comme en Irak) servent de voiles bienséants déposés sur les absents, simples virgules ridicules et vertigineuses en train de se défenestrer sous nos yeux, ceux de l’Occident et de l’Orient réunis pour assister, avec ironie et cruauté, à quelque chose d’unique, d’inouï, de grossi, de répétitif, de déréalisé, de stupéfiant, d’enivrant et de barbant. Voir et ne pas voir, ou mal voir, ou ne pas voir totalement – l’assassinat spectaculaire (double acception) de JFK, snuff moviemarital du côté d’Elm Street avant que le sinistre et drolatique Freddy Krueger n’y traîne ses griffes de la nuit, d’insomnie filiale et de mauvaise conscience parentale, servait déjà de matrice, obscurité affichée en plein jour, énigme évidente, insaisissable à force d’évidence (avec le sens anglophone de preuve), Cluedo pour obsédés du complot et transposition à grande échelle du hobby de Mark Lewis, réalisateur amateur maltraité par son scientifique de papa, protagoniste « scandaleux » et fraternel du suprême mélodrame méta et masturbatoire de Michael Powell & Leo Marks, LeVoyeur (1960). La pornographie, avec son épuisante « petite mort » automatique (nécessité d’automates désincarnés) reconduite à l’infini, en constitue un ersatz, une acmé dévaluée, clairement mercantile et pareillement hypnotisante (ou vite lassante). Mourir, jouir, durant ces états extrêmes, à portée de main, l’être cherche son dépassement, il contemple (ou entrevoit) sa « part maudite » à la Bataille, il s’approche d’une disparition censée le révéler à lui-même, à autrui, excéder son corps et celui de son bourreau, de son « partenaire », dans une danse macabre davantage hitchcockienne que bergmanienne (romantisme psychanalytique versus sensualité mystique).

Le cinéma, le Luna Park et la supérette procèdent d’une similaire autarcie, de la rencontre de l’altérité et de la trivialité. Utopies urbaines, elles reconstruisent à leur guise (et à celle de leur direction, de leur clientèle), les « châteaux de la subversion » du roman noir gothique (on renvoie vers les riches travaux d’Annie Le Brun) ou les forteresses de supplices de la liminaire littérature sadienne (nous pensons aux Cent Vingt Journées de Sodome, porte d’entrée bibliographique dantesque, réellement infernale, inachevée, close sur des liste de chiffres de sévices, de victimes), elle-même présage « de hasard » des atrocités perpétrées par le Reich dit Troisième avec l’indifférence, l’inaction, l’assentiment, sinon la complicité, des populations, des nations, leur regard pudiquement détourné vers l’Amérique latine, où récupérer-extrader à son profit les « savants fous » de l’armement aérien ou de l’eugénisme toujours créatif. Territoires à part et au cœur (des préoccupations, des évasions), au centre et à la périphérie, ils promettent une parenthèse d’enchantement, de « sensations fortes », de produits à profusion (ou en rupture de stock momentanée, au désarroi du consommateur toutefois émoustillé par l’acquisition différée, tant le désir se nourrit aussi d’attente, de préliminaires et d’obstacles, de lingerie ou d’intempéries, de rendez-vous raté ou de retard de livraison). La trinité de bâtiments déploie une patine d’enfance, en avatars des marionnettes, des (premiers) manèges, du sein maternel. En ces royaumes de ténèbres et de néons, de mouvements et d’immobilité, de déambulations et de contemplation, tout adviendra comme il conviendra, rien ne manquera jamais plus, le corps fourbu et l’esprit repu ne pourront que remercier le quadrillage – les rayons de denrées, les rangées de sièges – et les courbes – les rails du train fantôme, des montagnes russes – de leur libido, de leur pupille, de leur estomac (« bien accroché », bien engraissé, light ou bio inclus), de leur régression consentie, stimulée.


Pour séduire et masquer leur nature anxiogène, mortifère, ces cimetières à ciel ouvert, logés dans des hangars, des bunkers (« de la dernière rafale » à la Caro & Jeunet, dorénavant de multiplexes en mode Le Corbusier, architecte aux sympathies notoirement totalitaires), se parent de musiques (d’ambiance), de défilés (les parades d’un Disney), de sucreries (apaisement du pop-corn). Qui ne succomberait, en vérité, à tous ces charmants mausolées, même en version paupérisée (le hard-discount), domestique (la VOD) ou itinérante (la fête foraine) ? Tel Pinocchio, les adultes s’y pressent, plutôt que leurs enfants, vaguement inquiets devant une telle étrangeté industrialisée, ritualisée, sécuritaire (gare aux gardiens de l’ordre et de la morale en cerbères assermentés, rarement souriants, censés impressionner les voleurs, les resquilleurs, les terroristes de province de leur seule présence). La peur et le plaisir alimentent au présent les cerveaux, les organes génitaux, les idéaux, pas uniquement écolos (la fin du monde cédée en héritage aux générations futures), principes essentiels face auxquels celui supposé de réalité se voit relégué à un accessoire de bazar, dégradé au rang de relique du réel, dans une ère de suprématie iconique, de temps instantané, de numérisation des relations et des émotions, de métamorphose(s) physique(s) et psychique(s) permise(s) par la biochimie et la diffusion démocratique des prothèses (actuelle mythologie du « transhumanisme », à faire se pâmer un Mengele). Les mannequins, tellement sereins dans leur panoplie en plastique, se rendent à ces temples comme autrefois les croyants à la messe (les musulmans persistent à faire un semblant de résistance. Pour combien de temps ?).

L’économie de marché n’apparaît plus en option, en choix, elle s’impose partout, à tout le monde, dans le monde entier, au cinéma, au parc attractif, à l’hypermarché. Il faut se divertir afin d’oublier pendant une séance, un tour de manège, une course (à pied ou via le drive) aux « commissions », la terreur intime logée dans le repli des vies à l’instar d’un cancer endormi, d’un SIDA qui se tient coi, d’une mortalité reportée dans sa patience angélique et diabolique. La couleur, la saveur, la jeunesse serviront d’hôtesses irrésistibles. Peu importeront les avertissements, les satires, les sarcasmes, les allégories, les incendies des Lumière, les ménagères définitivement apprivoisées, robotisées, de Stepford, les zombies« marxistes » de Romero, la grande roue (du destin, de « l’éternel retour » indien ou nietzschéen, de la déréliction du consul de Malcolm Lowry enterré Au-dessous du volcan) d’Orson Welles dans le clair-obscur de Vienne : longtemps les foules, sentimentales et létales, « aliénées », hébétées, reconnaissantes, ardentes, se presseront devant les grilles (écho carcéral), les baies vitrées (parfois brisées par quelques cagoulés altermondialistes, saccage de « sales gosses » de riches, de petits bourgeois en plein complexe d’Œdipe), les devantures plus attirantes que le sexe en vitrine à Amsterdam, empire néerlandais de la tristesse légalisée, rémunérée. Anywhere out of the world, réclamait naguère un Baudelaire, et la salle de ciné, le grand marché, les nouvelles attractions (pas leur « montage » selon Eisenstein, certes) convient à cela, l’offrent en permanence, avec une vaillance forçant le respect ou l’addiction, accessoirement la gêne et le dégoût. « L’impératif catégorique » de la joie, de l’impossible pénurie, du film qui saura redonner l’envie de vivre, feel good movieà consommer sur place ou à emporter chez soi, merci au mille moyens de visionnage (ubiquité 2.0, cosmopolitisme mis à jour et en demeure de proposer un identique menu scopique sur tous les continents), finit, in fine, par peser.

Une entêtante intuition saisit en douceur le quidam, l’innocent, le blasé, le prophète (de malheur), le noceur cynique, l’adepte de la « normalité », le « travailleur pauvre », le préfet parisien fraudant le fisc, l’épouse du candidat droitiste empêtrée dans ses emplois fictifs (simulacre à la Baudrillard mâtiné de capitalisme de classe). Et si tout ceci, finalement, ne visait qu’à rassurer, à conjurer l’épouvante (de la « crise », du chômage, des attentats, de la maladie, de la perte programmée des proches, des amours, des amitiés, du déclin des admirations et des organismes) prégnante, permanente, latente ? Il suffirait de très peu pour que le film saute, que la carte mémoire ou la clé USB ne s’enraie, que le wagonnet ne tombe à la renverse, emporté dans son élan vers antan, que les bactéries ne viennent contaminer le contenu de l’assiette, repas mortuaire et surréaliste entre L’Aile ou la Cuisse (1976) de Louis de Funès et le poulet funeste de David Lynch dans le délectable Eraserhead (1977). Tout ceci, ce doute-effarement, surgit assez superbement au tout dernier plan du clip de l’aimable Katy Perry (signé Mathew Cullen, un comparse de Guillermo del Toro), dont on recommande d’écouter (de lire) attentivement les paroles (co-écrites par Sia) et de savoir décrypter la parabole. Dans son imperméable de sexdoll(à Cherbourg, mon amour, ouvre ton parapluie bi, cernée de marins à court de carburant), dans la proximité d’un ange noir immaculé (le petit-fils de Bob Marley), la talentueuse chanteuse (adoubée par le brillant Brian Wilson), plus douée que le John Landis du Flic de Beverly Hills  3, 1994 (chasse à l’homme parmi les chenilles et les « pommes d’amour »), moins cinéphile que Michael Crichton (Mondwest, 1973), moins dérangeante qu’Arnaud des Pallières (le domaine de Mickey « perversement » revisité dans Disneyland, mon vieux pays natal, 2002), se rend à Oblivia, rime féminine et vintagedu (professeur) Brian O’Blivion de Vidéodrome (1983).


Oublier, en effet, tourner dans un cercle mobile en mammifère prolétaire ou hamster décérébré, « s’envoyer en l’air » une poignée de minutes, attention à ne pas perdre sa perruque peroxydée, Blanche-Neige sirkienne (ou Belle au bois dormant réveillée) à la chevelure rosée, à la rose piquante, décrire l’Amérique, une certaine Amérique, en exercice brechtien de réflexivité à plusieurs niveaux et couches, sans se départir de l’énergie, de l’humour, de la « douce folie » (et de l’implicite mélancolie) caractéristiques de l’univers de la star : Chained to the Rhythm parvient à ce modeste miracle, à ce prodige pop (les mecs de Depeche Mode ne déméritent pas, avec leur grimage de Marx et leur question sur la présence de la Révolution en noir et blanc à la Leni Riefenstahl) et s’achève, sidérant, sur le regard caméra d’une Katy sidérée, par ses péripéties, par son pays, par son nouveau président (elle soutint la piètre mère Clinton, on lui pardonne), par son art mineur et majeur, lavage de cerveau et dessillement dansant, par celui ou celle qui l’avise de l’autre côté de l’écran. Fin de la comédie, éparpillement des paillettes, maquillage assombri, découverte du vide fondateur : maintenant, ma chérie, dans le sillage d’un Lucio Fulci (nous empruntons et traduisons le beau titre original de L’Au-delàen intitulé de cet article), tu vivras dans la terreur, et nous aussi, au miroir de la modernité hantée, électronique, métaphorique, ici et là résident ta grandeur de superficialité, ta noirceur colorée. À moins que les « enchaînés » dont tu parles, ceux de Metropolis plutôt que de Hitch, décident enfin d’en finir avec leur asservissement divertissant, désertent les cinémas, les supermarchés et les parcs d’attractions, pour conquérir une illusoire, provisoire liberté, même désenchantée.  


Le Brasier : Démineurs

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Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre d’Éric Barbier.


Le Brasier ne s’embrase jamais, Le Brasier embarrasse souvent. Cela sent mauvais, cela sent le coup de grisou (ou de Trafalgar) dès le générique de début, salmigondis supposé sensoriel de surimpressions où les gueules noires grimaçantes alternent avec les lettres blanches. Cela se poursuit avec un scénario schizo, qui essaie de jouer sur deux tableaux, l’individuel et le collectif, qui mêle maladroitement amourette, galipettes, contexte et grève. Avec un art de la nuance, de la subtilité, propre à un Yves Boisset, le Barbier (pas de Séville, de Sibérie ni de la Fleet Street de Sondheim et Burton) entend édifier son spectateur à propos du rude labeur des mineurs, de la montée du racisme et de l’anticommunisme bruns dans la France rance (dirait un Philippe Sollers) des années 30. Du côté de Trieux, personne de joyeux ; dans ce Nord reconstitué en Pologne et en Belgique (nonobstant un bal tourné à Tourcoing), peu de motifs à donner la trique. Les femmes, on les avise, on les baise, on les engrosse, on les délaisse, on les embrasse à travers une grille avant de les perdre pour toujours. Les mecs, on les tabasse, dès le plus jeune âge, on les affronte au fond (au sommet, plus exactement) du puits, on les retient brièvement en otage, on leur tape sur la tronche au centre d’un ring, on brûle leur tête de maudit prophète sur des affiches de meeting et eux-mêmes achèvent (bien) les chevaux à coup de gourdin (expertise de Mario Luraschi, ouf, la SPA respire). Les gentils, clairement définis, se défendent contre des méchants vraiment pas marrants : le bon père de famille polack et boxeur très amateur perd son ultime combat mais regagne son honneur (qui dit Nous avons gagné ce soir de Robert Wise ?), évite de devenir, in fine, une pure pute aux basques du pouvoir médiatique et politique.



Le directeur de journal, avec ses faux airs d’Artaud au bout du rouleau (Serge Merlin, vu dans le Dantonde Wajda, recruté pour La Cité des enfants perdus puis Le Fabuleux Destin d’AméliePoulain), se présente aux élections municipales (contre la racaille rouge, of course) et se pique le soir, drogué à sa médiocrité, à son hubris provinciale. Victor, fils un brin rebelle, rejeté pour ses progénitures naturelles, fait la bise sur le front à son petit  frère si blond venu de Varsovie décéder ici, victime d’un éboulement souterrain, Gavroche à la lampe torche. Alice, la fille des Français de souche, presque de riches, s’en éprend un moment, avant d’épouser son pitoyable violeur de wagon, avant de sangloter dans sa robe de mariée (et les bras de sa compréhensive amie) immaculée sur fond de terril noirci, obscur. Les Roméo et Juliette charbonneux font de leur mieux afin de faire croire à leur histoire tressée à l’Histoire, d’émouvoir et d’alerter le regard contemporain de 1990 (un didactique carton final souligne à la fois l’embrasement à venir de l’Europe et la dimension moderne, d’avertissement au présent désormais passé, de la reconstitution des événements soixante ans après). Barbier, débutant trentenaire, se verrait bien en prédécesseur de Berri, il n’arrive qu’à la cheville, guère élevée, de Jeunet (notez François Hanss, sbire de Boutonnat, et Darius Khondji, crédité en chef-opérateur, à la tête de la deuxième équipe à Łódź). Il se voudrait en avatar du Buñuel tenant Le Journal d’une femme de chambre(Octave Garnier, l’adversaire ganté, remplace Octave Mirbeau, so) et se contente d’annoncer, en mode dépressif, le Christophe Barratier nostalgique et vintage de Faubourg 36. Les scènes de combats visent (en couleurs) à l’aise le Raging Bull de Scorsese et s’avèrent inférieures à celles du Retour de  don Camillo par Duvivier.



Son romantisme voudrait rimer avec L’Atalante(prix Jean-Vigo à la clé) et se viande, voilà, vers la telenovela. Quel dommage, pour lui et le cinéphile en ligne, que des films de la trempe (de la renommée) de La Belle Équipe, Le Crime de monsieur Lange, La Règle du jeu ou LeQuai des brumes, précèdent le sien, hein, et quelle pitié que le message bien-pensant (dans la famille Le Pen, on demande le père) passe à ce point inaperçu (insuccès de la fresque en salle), se voit oblitéré, une décennie après, par le principe de réalité, la vox populi des urnes (exit Jospin, victime d’un dixit séisme politique en psychodrame national ; en 2017, il faudra donc choisir, ou pas, entre la walkyrie décatie et ses prétendants désespérants, gang bang grossier, putassier, en caricature de la démocratie). Flanqué de son frère (il novélisa son maigre script), distribué par la Warner, nanti d’une manne financière (Pour cent briques, t’as plus rien... comme l’affirmait Molinaro en 1982) plus que confortable – misère obscène de parvenu à portraiturer de cette manière la pauvreté du peuple ouvrier, aporie du cinéma, du système de production, et si l’on hésite à le soutenir, à valider ses produits, on passe fissa pour un mauvais Français, un sale critique bolchevique, rememberla querelle totalement oubliée de Serge Daney dans les Cahiers du cinéma avec Claude B. à l’époque de son Germinal de luxe à lui –, Éric Barbier enfile les effets, ralentis, courts travellingsavant ou circulaires, scansions de plans d’ensemble panoramiques, plongée dans la bouche d’ombre muette ou le silo à la Star Wars, une de journal factice, fausses actualités redondantes reconstituées, palme remise à un plan suffisamment hilarant d’horloge-anamorphose.



En définitive, en vérité, sous les bonnes intentions de saison, sous le marxisme d’école primaire (le patron patelin fait une apparition pendu au téléphone, les syndicats font de la figuration le temps d’une confrontation), derrière l’alibi sociologique, il s’agit de jouer au jeu censé masculin de celui qui possède la plus grosse. Tout Le Brasier s’éclaire alors d’un sous-texte révélateur, freudien, badin, qui participe du comique involontaire de l’entreprise ploutocratique, pas épique et surtout lubrique. Une foreuse à faire pâlir la perceuse phallique de Body Double pénètre interminablement et à plusieurs reprises la paroi utérine, son manipulateur les dents serrées, les traits déformés par l’effort, tel un étalon ou un performeur enténébré de blue movie. Alice, prise entre deux hommes, entre deux pénis, relecture aux ongles et aux bas de laine noirs du léger, transparent, Jules et Jim, disparaît finalement dans le vagin sans fond (double acception) des événements, du hors-champ (le film ne laisse aucune empreinte résiduelle, aussitôt vu et enterré). La conscience et lutte politique, économique, la solidarité conflictuelle sur le point d’apparaître, s’apparentent à un combat de coqs vaguement homoérotique (Barr, saint Sébastien enfantin), à une joute sous la ceinture logiquement et symboliquement dénouée dans un décor vertical, abyssal, relisant et transposant l’anatomie génitale (ou anale) féminine. Atteint du syndrome du démiurge qui urge (montage ad hoc, à la hache, trois dames à l’ouvrage), le cinéaste, malgré un relatif sens du cadre, ne prend pas la peine d’animer ses silhouettes suspectes de démagogie, de mièvrerie, de leur conférer une seconde un semblant de vie, de liberté – il les instrumentalise dans son projet (sincère, sans doute, autant que la partition pachydermique, aux accents herrmanniens recyclés, de Frédéric Talgorn, et alors, depuis quand doit-on évaluer une œuvre sur ce critère de base, condition sine qua non de l’expression ?) boursouflé et dégonflé, il cristallise et exhibe les enjeux latents, affligeants, de sa baudruche en peluche (peu importe la présence d’un conseiller minier, gadgetdocumentaire, puisque à aucun moment la violence congénitale du milieu ne mord l’œil ou l’oreille), de sa montagne-souris reçue avec une indifférence cinglante (critique, publique) hélas cette fois justifiée.



Pour information et mémoire, Mister Barbier commit un peu plus tard le risible Serpent, similaire et explicite duel de mecs en replay acclimaté de Cape Fear. Concluons, bons compagnons : en dépit d’une direction artistique irréprochable, évocatrice (Jacques Bufnoir, Zidi, Arcady, Lelouch, Wargnier, un César pour Indochine + La Boum, Les Spécialistes, Chouans !), d’une direction de la photographie soignée, inspirée (Thierry Arbogast, Besson & Téchiné mais aussi Femme fatale), de la candeur charmante d’un acteur limité (Jean-Marc B., Le Grand Bleu troqué contre le grand noir), de la beauté assez bouleversante de la vibrante (délicieusement accentuée) et chère Maruschka Detmers, dans la vraie vie compagne de son mari-ennemi fictif feu Thierry Fortineau, criminellement réduite à incarner les utilités, du caméo aimable de François Hadji-Lazaro, garçon boucher non dépourvu de grâce et de solidité, Le Brasier n’embrase personne et dut embarrasser son producteur, l’éminent Jean-François Lepetit (grand amateur de trio d’hommes avec couffin, au secours !), secondé par la TV assortie de la participation du Ministère de la Culture, de la Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire, bigre, en paraphe officiel d’un art idem, d’un académisme de téléfilm hypertrophié, anémié, décharné (l’envahissant doublage du tournage deviné en anglais n’arrange rien, certes). On peut néanmoins le recommander pour une double soirée thématique – dans la foulée avariée, Les Amants du Pont-Neuf du sieur Carax – autour de l’arrogance et de la dérisoire folie des grandeurs de réalisateurs pris pour des visionnaires aveuglés, des enfants gâtés doués, des architectes de boîtes d’allumettes. Jaurès, réveille-toi, ils sont devenus fous, psalmodiait Brel ; variante : mous du genou et d’autre chose.



PS : on invite à découvrir en antidote la trilogie des souvenirs transcendés, désargentés, de Bill Douglas, sise dans une imagerie fraternelle (double sens). Si la morale du point du vue et du budget vaut en problématique scolaire, rassie, pour étudiant de cinéma, cette curieuse espèce, et encore, les ouvrages du Britannique démontrent magistralement que l’on peut atteindre beaucoup avec peu, que les gueux supportent mal le pathos, que le cinéma, en tout cas celui qui nous intéresse ou passionne, ne saurait se confondre avec un album en mouvement, un livre d’images (un manuel historique, mélodramatique) bien trop sage pour pupilles puériles, éprises d’expressionnisme ripoliné, de correspondances à la con (les expulsions renvoient vers la rafle du Vel d’Hiv, remarquablement rapportée par le Losey de Monsieur Klein en 1976). On parlait récemment, en référence à l’article de Richard Brody (Barbier scénarisa Le Péril jeune et sort de La Fémis, qu’on se le dise !), d’immolation volontaire, de vie et de film dans les flammes : rien de tout ceci ne surgit ici, et ce tas de cendres si propre sur lui ne méritait, en terrain miné, que de se faire descendre, en rime à la descente stérile dans leur fosse dangereuse des fantômes d’une période et d’un pays aujourd’hui au bord de l’incendie – ou de la glaciation, sur grand écran et au-delà, gla-gla.  


La Mécanique des corps : Réparer les vivants

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Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Matthieu Chatellier.


Je dis, pour lui refaire son anatomie.
L’homme est malade parce qu’il est mal construit.

Artaud,Pour en finir avec le jugement de dieu 

Put on your red shoes and dance the blues

Bowie, Let’s Dance

Croyez-le ou non, l’amputation constitue l’une des niches du X en ligne. Rien de neuf, finalement, et sans l’élégance, hélas, du Tristana de Buñuel, mémorable exercice de fétichisme prothésiste remarquablement porté par une Catherine Deneuve décolorée. Point d’érotisation (à la Crash de Cronenberg, par exemple) ni d’héroïsation (malgré une brève volonté de renouer avec la SF d’adolescence) ici, pas de noms (ils figurent au générique de fin), de relation (au sens de récit) ou de narration (optique de la chronique). Du côté de la côte normande (à défaut de celui de Guermantes), il convient non plus de rechercher puis de retrouver le temps perdu, la sensualité du monde sensible encapsulée dans la sensorialité suprême de la période (de la phrase et de l’époque), mais de regagner une partie de ses sens, de ses sensations, de sa conscience de l’espace et de la pesanteur (lourdeur imprévue du rajout), à travers une mobilité à nouveau permise, accompagnée au quotidien (quatre mois de rééducation, une dizaine d’opérations, énumère en voix off une patiente vaillante). Là, pas de place non plus pour l’apitoiement, le pathos, le regret-ressassement du ou des membres absents, fantôme de la liberté des biens portants ne cessant de se plaindre à l’extérieur, au primo bobo, au premier signe de la vieillesse ennemie, de la ruine tapie, programmée. Le témoignage brut de décoffrage rend hommage à un courage discret, peu médiatisé, à des hommes, des femmes, des adolescents, de tout âge et de toute condition, leurs visages et leurs paroles davantage éloquents que leurs CV particuliers, leurs mille raisons d’occuper une chambre de l’établissement spécialisé.

Elle dessine sur un bloc sa jambe coupée, contaminée par un staphylocoque, il scrute les chalutiers à l’horizon, dans le crépuscule doré hors-champ, sous le regard d’une gamine mutique. Le jeune homme épris de badminton, qui ne cesse de casser ses pieds en bois, pique un sprint dans le couloir en lino, ravi de son simulacre. Le documentariste, aperçu, quasiment subliminal, dans le reflet d’une glace, mise en abyme immobile, filme au plus près des corps, des artefacts, des silences évocateurs (pleurs capturés-gardés à bonne distance, dans celle du champ et de l’instant). Plutôt qu’à Pinocchio, à Terminator, à Cendrillon (poignante pantoufle unique), à Steve Austin ou Super Jaimie, on pense aux pirates (le vieux marin, pas celui de Coleridge, en fauteuil et aux jumelles à la James Stewart chez Hitch), à Proust, au similaire Je suis et à Żuławski se prenant pour Kubrick (le grand hôtel de Mes nuits sont plus belles que vos jours, cartographie bis de l’Overlook indigène de Shining). Le fantastique trivial du principe – se faire poser une extension de soi-même – rejoint le cinéma et la métaphysique immanente d’un Marshall McLuhan (les médias en prolongement du système nerveux, les lunettes de nos yeux). Montage, démontage, remontage ; l’appareillage issu du moulage répare l’outrage, cicatrise la blessure narcissique, donne les moyens d’apprivoiser une autre forme de beauté, laisse la normalité aux présidents navrants et la perfection aux eugénistes à foison. En bordure de mer ensoleillée ou orageuse, océan atlantique derrière la grande vitre, météo du paysage et des sentiments, de l’espoir et des doutes, pas de software, à peine un PC sur lequel décrypter un genou modélisé, rien que du hardware, de l’artisanat, de l’acier, du plastique, de la pâte aux allures de ciment travaillée, adoucie, à la perceuse, et un four qui ne chauffe pas assez vite, se plaint au passage un ouvrier en blouse blanche.

Dans l’atelier à proximité du parcours entre deux barres horizontales (naissance complice du travelling), fait, refait, à l’envers, à l’endroit, quelques mètres et une éternité, un petit pas pour l’Humanité, un grand pour les résidents-résilients, les pièces détachées se découpent, se poncent, se polissent, s’assemblent. Nous voici dans un labo d’effets spéciaux pour films dits d’horreur, dans un garage où la meule, le marteau et la colle colorée remplacent le scalpel et le bistouri. Si le baron Frankenstein récupérait des morceaux de cadavres et les plongeait dans un chaudron à la Macbeth, à la Taram (James Whale et ses émules ou descendants préféreront l’électricité, plus scientifique, mystique, cinématographique, méta), le personnel soignant joue au Meccano avec hésitation, brio. Il faut (s’)adapter, tailler, scier, resserrer, les amputés fatiguent, transpirent, les valides aussi, à genoux, à leurs pieds, assistants de stars anonymes, tailleurs de sur-mesure tenant à un millimètre. De l’effort, encore et encore, avant une douche salvatrice, une coda muette en rollers, une main posée sur une paroi en rappel inconscient du geste identique de Madeleine/Judy dans la forêt de séquoias de Sueurs froides, de Weronica/Véronique dans sa double vie selon Kieślowski. Toucher les murs, comme Brando sur un plateau, se laisser toucher afin de moins faire travailler son dos, d’atténuer la douleur, de déporter son centre de gravité avec légèreté, un sourire de femme radieuse quasiment séducteur, érotisme revenu, tamisé par l’absence, l’image manquante qui porte atteinte à l’intégrité physique (pauvre Lawrence d’Arabie, spolié de sa citadelle sexuelle par un viol homo) et la redéfinit à l’envie, suivant les progrès de la médecine et le coût du remboursement, de la prise en charge, sous conditions, par la Sécurité sociale (on trouve des modèles pour tong plus chers, paraît-il).




Souvenir universitaire de votre serviteur : à Aix, en fac de Lettres, au siècle dernier, une jeune femme blonde et bouclée enseignait une UV indéterminée, oubliée, faisait travailler sur Sade et l’abbé (Prévost). Elle boitait, elle claudiquait, elle tanguait, encore plus que l’impeccable Cameron Diaz dans The Box– et cependant, en dépit ou grâce à cela, il émanait d’elle une présence et une assurance assez sidérantes, petit bout de femme, de flamme et de charme suffisamment intense pour susciter une réminiscence tendre, si longtemps après. Ce court documentaire, soixante-dix-huit minutes au compteur, denses, simples, essentielles, expurgées du moindre superflu, tourné durant deux ans par un admirateur d’Alain Cavalier remercié, dit cela à sa manière un brin impersonnelle, volontiers en retrait. Se reconstruire, redémarrer du bon pied, en effet, trouver chaussure au sien (cf. celles, flambant neuves, de l’énergique chanson de conclusion) ou repartir avec moins pire, oui, bien sûr, surtout, se tenir droit, ne pas flancher, ne pas se coucher, gambader à l’extérieur, proche des baigneurs, puis sortir du champ, du plan, s’affranchir de la césure et pénétrer dans le champ des possibles, disparaître sous l’œil respectueux de la caméra, histoire d’écrire la sienne au-delà, dans et par sa chair hybride, augmentée, remodelée. Ne me touche pas, implorait le Ressuscité à la prostituée reconvertie en servante sainte, après son séjour en lambeaux au tombeau. Dans La Mécanique des corps (des hommes et pas seulement des femmes, tant pis pour Calaferte), le transhumanisme à la mode s’incarne au niveau le plus matériel, à la fois contingent et nécessaire.

Film d’amour et de guerre, le métrage peut-être un peu trop sage de Matthieu Chatellier finit par faire tressaillir, merci à son lyrisme embusqué, empêché, handicapé. Prisonniers d’un nid a priori douillet à l’abri de la furie du monde, d’une enclave au sein de laquelle ils doivent se réinventer, au risque de tomber, de ne plus se reconnaître, de s’évaporer, entièrement dévoré, au sens littéral du terme, par un diabète diablement dissimulé, les frères (et sœurs) humains inversent la problématique de la robotique traitée par Philip K. Dick et consorts : la dialectique de l’esprit dans la machine – du spectre dans la coquille, dirait-on au Japon, possible traduction du Ghost in the Shell de Mamoru Oshii – permute pour celle de l’inanimé en béquille (et soutien, concret, abstrait) de l’âme, de la personnalité, de la représentation symbolique et organique, à soi et à autrui. Pures créatures de cinéma (impureté ontologique du supposé septième art à la Bazin, des alliages de matériaux divers associés à la peau, à la chair), acteurs/actrices de leurs vies au point le plus précis, indéniable, manifeste, les silhouettes émouvantes et vivantes du film ne délivrent pas de message scolaire, de leçon édifiante, de promesses de lendemains radieux, où tout ira mieux, tant mieux pour eux. Elles se bornent à exister, à exposer leur moignon et leur exosquelette, leur chic de freak et leur endurance d’athlète, leur rire sincère et leurs impulsions nerveuses à canaliser. Précédant la sortie et le suivi, un examen devant jury (pas celui de La Fémis, ouf !) assis décide de la bonne taille (être ou ne pas être ? Disons raccourcir pour grandir), un expert par terre sonde la réactivité acoustique d’une géante en métal via de petits coups dans une basket sans os, au contact d’un ballon permettant de pointer la position du son.

Sur l’affiche et dans le film, une superbe main de seconde main, au croisement du matériel médical, du design d’avant-garde et de l’art contemporain, aux doigts tactiles, amovibles, interchangeables, cristallise le troublant mystère de l’humanité recomposée, mécanisée, spectaculaire, solidaire (une infirmière demande à l’essayer, la sienne glissée dans l’ersatz). La Mécanique des corps, grand petit film au sujet vertigineux et bienheureux, touche, interroge et stimule l’imaginaire, la praxis du cinématographe, art par définition du mouvement, de sa trace mécaniquement reproduite sur l’écran par l’artifice d’un truc de foire (la persistance rétinienne, sereine). L’histoire du corps en kit, de la fabrique des images (suppléantes, narcissiques) s’avère par conséquent, in fine, dès l’origine, une histoire de l’œil, de batailles, de part maudite à la Bataille et d’altérité fidèle, dévouée, à sceller à l’instar d’une collure de plan. Déambuler, courir, rouler, à l’unisson du défilé audiovisuel et du mécanisme de projection-vision, donc – lève-toi et marche, voilà, comme ça, avec moi, au rythme du cinéma, et peu m’importe ton prénom, Jean, Marc ou Lazare, ta foi ou ton athéisme : vois, l’œuvre s’achève et nos voies commencent.   


Le Musée juif de Berlin : Entre les lignes : Le Ventre de l’architecte

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Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Stan Neumann et Richard Copans.


En vingt-sept minutes, visite d’un espace dissimulé, brisé, hanté, évidé, guidé en voix off par François Marthouret. Durant un plan solaire d’ombres et de lumière, une porte semble s’ouvrir, alors que la caméra, en réalité, se déplace et contourne un mur. Entre les verticales fatales, le réseau dynamique des diagonales, double abîme de béton et de métal, on aperçoit de la verdure, respiration vivante imprévue, (in)congrue. Cutsur des plans en noir et blanc du cimetière hébraïque (et berlinois) de Weissensee, tombes à l’abandon, certaines sans inscription, recouvertes de lierre, désert solitaire d’un calme désastre. Nul ne viendra plus identifier, remplir, les plaques pragmatiques et prophétiques. Puis l’architecte (débuts de Daniel Libeskind, avant le Run Run Shaw Creative Media Centre de HK et l’Occitanie toulousaine contemporaine, son esprit-ventre substitué à celui de la bête brechtienne), en monologue, en fil rouge, sympathique type à lunettes aux cheveux gris, aux vêtements noirs, explicitant son projet, ses intentions, leur réception, les obstacles surmontés. Panoramad’une grande avenue de Berlin, démolie par les bombardements alliés, reconstruite après. Série de vues immobiles, panoramiques, histoire de situer l’objet étudié (Histoire excédée), à proximité d’immeubles et d’un aimable bâtiment baroque, rayonnant plutôt que (gothique) flamboyant. Dessins préparatoires, esquisses au crayon, tel des extraits de l’improbable story-board du Cabinet du docteur Caligari– le déconstructivisme épouse ainsi l’expressionnisme, noces anachroniques mais logiques. Un bouquin de Walter Benjamin et un opéra biblique inachevé de Schönberg en sources d’inspiration, la portée transposée en dossier de papier, en paroi extérieure. Entre les lignes s’écrit dans la ville une disparition polysémique à la Perec (e, la voyelle, eux, les parents).

Plongée depuis un sommet, merci à la grue Jimmy Jib, maquette en reproduction diminuée, clarifiée, du réel.  Un arbre miraculeusement contourné, un réverbère presque viennois, à la Max Ophuls, relique d’hier apposée sur la rigueur cimentée de la modernité géométrique (Euclide au placard). On entre par une autre époque, littéralement, les architectures s’imbriquent, se télescopent au sous-sol, passage infernal vers le muséal, l’irreprésentable, l’indicible (notez une Eurydice mutique). La caméra explore de manière factuelle les surfaces, les volumes, natures mortes, abstraites et  dépeuplées où piétine pourtant une femme de ménage munie de son chariot coloré. Perspective(s) en bichromie d’angles, de néons. Les animations numériques, gentiment didactiques, éclairent l’opacité ressentie à l’intérieur. Trinité d’axes entrecroisés, monumental escalier (pas celui d’Odessa selon Eisenstein) empreint de légèreté, ascension vers le jour, l’air, le niveau de la terre. Dans des vitrines, des trésors de pauvres, des babioles de familles, des reliquats d’une Shoah, mot non proféré par notre Virgile assis, sinon sous sa forme anglaise de catastrophe (prononcez catastrofi), tenue à distance et cependant rendue sensible par le musée lui-même. Tout paraît pencher, aller de travers, jusqu’à un étouffant tombeau percé à l’acmé d’une pointe diurne (écho de la couverture du Consumés de Cronenberg), alignement de monolithe et d’astre à la Kubrick en 1968 ou 2001, allez savoir. Dehors, ce sombre puits devient un bloc blanc séparé du reste, pièce rapportée dans l’écrin vert, dent semée à la Cadmos (présage des caractères d’imprimerie, affirme un McLuhan) pour signifier, ironiquement, ce qui ne peut s’écrire, se transmettre, à peine s’approcher, se donner à éprouver, avec le corps, les sens, la mémoire en acte et expérience.


Des colonnes inclinées coiffées d’oliviers pour touristes faussement ivres, rats de laboratoire contraints de redescendre pour quitter l’îlot illusoirement à ciel ouvert. Retour au/du plan d’ouverture, suivi de prises de nuit. Zébrures-blessures, cartographie agrandie du réseau d’adresses, urbanisme et urbanité dédoublée. Du zinc condamné à s’oxyder, à changer de couleur. De vastes salles provisoirement vides, parcourues avec succès, ensuite, économie de marché oblige, le retour des objets, du marketing, de l’aide-mémoire réduit à un porte-clés, le devoir de mémoire transmué en éclairs miniatures à la Metropolis, à la James Whale entiché de la monstrueuse progéniture de Mary Shelley,  à des bouts de parquet conçu par un David Lynch, l’invasion de collections et d’expositions traditionnelles, ethnologiques, traversées à vitesse grand V par un objectif chaotique. Pourtant veille le vide, sous les verrières. Six tours imposantes, flagrantes, inaccessibles, aux ouvertures-gerçures parfois comblées par un visage-paysage en clair-obscur. Dans une seule d’entre elles, on peut marcher sur une installation, milliers de faces crissantes aux allures de bobines de films muets, en direction d’une bouche d’ombre rectangulaire (contrechamp impossible du superbe Au-delà de la gloire) évoquant davantage un four, crématoire, forcément, que l’entrée du royaume surnaturel en mode Hugo. Pas de fondu au noir, rien qu’une coupe définitive avant le générique de fin (co-production du Centre Pompidou, d’ARTE, du CNC, du ministère de la Culture en 2002, inclue dans la collection Architectures). On peut suggérer de coupler avec Nuit et Brouillard car l’horizon des événements (comme on dit en astronomie ou Antonioni nouvelliste) passe par le spectacle du manque, qui ne supporte ni le pathos ni l’anecdote.

Afin de figurer l’infigurable, aporie du cinéma, de l’être-là aux prises avec l’absence, il convient (il conviendrait, disons) de recourir au documentaire post-mortem, au portrait spectral (et vocal) à la Resnais, au pèlerinage (voire verbiage) à la Lanzmann, à la visite guidée en retrait, accompagnement assez convaincant, réussi, d’un édifice tout sauf à confondre avec un caprice de metteur en scène de MJC subventionnée, un petit exercice stérile de gardien mémoriel intellectuel. Le Musée juif de Berlin, surgissement lyrique et glacé, lourd et racé, tragique et résilient (survivant, tourné vers la vie), représente une belle réponse qui oppresse, interroge et charme, harmonieuse adéquation du fond et de la forme, du discours et de son abolition, le signe éloquent, laconique, d’un siècle de feu, de fer, d’absurdité raisonnée, d’extermination humaine rationnelle, de mécanisation du massacre à l’ombre complice de la parallaxe du mécanisme cinématographique. On n’en finira sans doute jamais avec cela, avec ce hors-champ bouleversant et barbant, tellement actuel et resté lettre morte (ou numéro d’amnésie) depuis, vu la propension naturelle et entretenue de l’espèce à si bien se faire du mal. Qu’importe – sur la bande-son, des oiseaux à la con continuent à gazouiller, sur la peau du voyageur immobile un souffle d’été paraphe la vitalité stupide et précieuse. Au sortir des ténèbres irréversibles, du mauvais rêve advenu (cf. la coda ferroviaire, aérienne, de l’éprouvant Outrages dans un parc cette fois dépourvu de cadavre), la vie, pas seulement sémite, historique, insiste, résiste, persiste à donner envie d’ouvrir grand les yeux, les oreilles, les cerveaux et les claviers sur une invraisemblable vérité (à la Lang), sur une intériorité partagée, sur un écran démoniaque (un salut à Lotte Eisner, une pensée pour la thèse spatialisée de Rohmer à propos du Faust de Murnau) en héritage d’image, d’hommage, de naufrage et, peut-être, aussi, espérons-le, réalisons-le, de sauvetage.


PS : l’opus se visionne (en ligne, librement) ici et se détaille (estimable synthèse scolaire)
  

Devilman : Démons

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Satan bouche un coin ? Mon Dieu, pas vraiment !


Ou le naufrage de Gō Nagai, « le créateur de Goldorak », jacte la jaquette juvénile. Dans ce goulash oriental lourd à digérer, divers ingrédients alimentent la centrifugeuse démente : maladroits clins d’œil aux Chariots de feu (course au ralenti), à Carrie au bal du diable (harcèlement entre lycéennes), à Kids Return (violence machiste), à The Thing (démon des glaces, pas celui de Tardi), à Romero (mondialisation de la contamination, retransmise via les apparitions d’un colosse noir à rendre hilare, l’impressionnant Bob Sapp, vu dans le caca Elektra, ici coryphée tricéphale de JT) + un égaré couteau de giallo, sans omettre les marqueurs paresseux d’une identité-imagerie supposée nippone (jeunes filles en uniforme et jupette ou sa variante, succube immaculé en culotte blanche, collectivité contre individu, conservatisme versus différence, militarisme expéditif, eschatologie à la Nagasaki) plus un zeste d’inceste (par procuration, rassurons les plus pudibonds) et un soupçon de syncrétisme (une pincée de satanisme mal acclimaté, plutôt, le dessinateur aperçu lors d’un caméo quasiment subliminal costumé en curé). Cela se voudrait, dès la mise en abyme de l’ouverture, un conte pour grands enfants un peu pervers et ceci s’avère, au final, au bout de très longues cent quinze minutes (les dispensables suppléments du DVD M6 en rajoutent une couche maousse supérieure à une heure, palme remise de bon cœur à trois bandes-annonces roboratives, celles de l’improbable New Mad Mission avec Tony Leung Chiu-wai en tireur bourré, du savoureux Festin chinois de Tsui Hark mitonné par le regretté Leslie Cheung, du surréaliste et zoophile Le Catcheur calamar, au titre idoine), un décompte de patience et d’endurance pour le spectateur assommé par l’insipidité, la vanité, le risible esprit de sérieux de l’ensemble (une scène cristallise la mélasse mélodramatique, l’alter ego inversé, blond démon, en pietàde fada tout près du torse amputé du héros, s’esbaudissant de son sourire post-mortem, amen, le Tod Browning de L’Inconnu s’en marre encore). 

Devilman– on retient ses sarcasmes à ce patronyme de BD US – se verrait bien en relecture de l’infernal Dante et surtout d’un manga contemporain d’un dessin animé télévisé, diptyque culte là-bas, voilà, voilà. Hélas pour moi (dirait Godard), tout ce pataquès prodigieusement catastrophique verse dans le patatras davantage que dans le verset, la faute, le péché, à un castingexécrable (duo de guignolos jumeaux à micro filmés en champs-contrechamps, comme un seul acteur dédoublé, comme si le virtuose et bouleversant Faux-semblantsn’existait pas ; mannequin aussi expressif qu’une langouste en Lilith anorexique ; parents navrants en famille d’accueil prête pour le cercueil) et à des effets spéciaux au niveau Ground Zero de l’expressivité graphique, au pire croisement du jeu vidéo anémié, désincarné (ah, ces râles dérisoires d’effort, d’agonie) et de l’anime désargenté, socheap (celui naguère infligé à la génération traumatisée du Club Dorothée). Tout ce fatras de n’importe quoi, mixage de possession, de dénonciation, de manichéisme, d’homoérotisme (notez notre saint Sébastien canardé sur sa croix SM de saint André), se terminera, lors d’un épilogue écologique sur fond de chansonnette sentimentale déconseillée aux mélomanes diabétiques, dans les ruines de la ville et du film, un Adam et Ève de pacotille, frère et sœur désaccordés, en orphelins sur le point, qui sait, dans quelques années, de copuler afin de repeupler l’espèce et de s’en aller mater le Legend de Ridley Scott ou le Perfectde Michael Ninn, deux métrages presque admirables, en tout cas pourvus d’une véritable grâce, classée X ou en fantasy, portés par des diables foutrement et fantastiquement séducteurs aux prises avec des anges déchus, mis à nu, des licornes phalliques et des ondines promptes à se damner.

Emballé avec un formalisme de téléfilm par un tâcheron décédé peu après (il doit désormais rôtir au paradis du pire), le brouet, logiquement, ne convainquit personne, ni les fans ni les néophytes, japonais ou résidents de l’étranger. Au détour d’un plan ou deux, voire trois, il laisse cependant entrevoir un possible palimpseste, ce qui pouvait en surgir avec moins de pesanteur, de boursouflure, de stupidité obstinée – des visages de suppliciés-ingurgités décorent la carapace d’une tortue tordue, une double colonne de maudits naturistes à la Lars von Trier, à la pub-partouze Sanex, à la Michelangelo de Tokyo, s’élève superbement dans les cieux, un gosse sidéré assiste à l’embrasement connoté d’une cité, une patte démoniaque étreint une main humaine en reprise du contact surnaturel de la chapelle Sixtine dû à Michel-Ange, bis. Ces instants infinitésimaux ne permettent pourtant aucun sauvetage à long terme du métrage et la barque (de Charon) crue baroque coule dans sa propre houle de maboul pas si cool, carrément à la con et non abscons. L’Apocalypse-Armageddon selon Hiroyuki Nasu, on s’en fout, on s’en contrefout, elle nous casse les genoux et autre chose. Allez, on met sur pause (en lecture-écriture accélérée) la purge régressive et l’on retourne, du moins en pensée, au côté du prince d’Euphor, du professeur Procyon, de Vénusia, de Minos, des golgoths aux numéros de série ahurissants, à ce bout de Japon en madeleine proustienne du petit écran d’enfance. Actarus rules !



Le Débarquement au cinéma : Les Conquérants

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06/06/1944 – « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » Si, si, des paras, des soldats, une certaine idée du cinéma !


De cet album mémoriel, commémoratif, amnésique – rien, absolument rien, sur le second débarquement, culturel, cinématographique, sociétal, comme si les accords Blum-Byrnes de 1946 sur la distribution ne signifiaient rien, comme si les « US, go home ! » proférés une trentaine d’années après, ailleurs et au pays libéré, pas vainqueur, guère résistant, un chouïa culpabilisant, malgré la doxa gaulliste, des colonies, de Vichy (de son « syndrome », clôt en coda l’inévitable Marc Ferro), de la guerre d’Algérie, restaient sans portée, sans actualité –, sympathique et anecdotique, bien et plaisamment illustré (« photos inédites de La Grande Vadrouille» claironne la couverture cartonnée, vérité avérée puisque Danièle Thompson se fend de quelques tirages en noir et blanc de sa personnelle collection), on choisira de retenir, plutôt que les « suspects habituels », deux ou trois curiosités de saison (« 1944-2014 : 70 ans de liberté » assure une pastille bleue à côté du logorouge et blanc de l’éditeur Ouest-France).

Coordonné par Jean-Jacques Lerosier, le court ouvrage (une centaine de pages) vite lu (nulle prétention à une quelconque exhaustivité) propose en effet un riche florilège. Flanqués du Jour le plus long(interminable reproduction dont l’historien Jean Quellien s’amuse à souligner les évidentes inexactitudes, la « mémoire de pacotille » hélas transmise de génération en génération), de La Septième Compagnie (série sinistre de pantalonnades de planqués), de La Bataille du rail (la SNCF versus les SS, et tant pis pour les convois toujours à l’heure et en bon état vers Auschwitz ou Treblinka), de Paris brûle-t-il ? (reconstitution starifiée dont Boisset nous assure qu’elle ne doit rien à Coppola ni à Gore Vidal mais tout à Marcel Moussy, le scénariste méconnu des Quatre Cent Coups, on le croit sur parole, sur son passé d’assistant de Clément), de Il faut sauver le soldat Ryan(immersion de contrefaçon), de Patton (belle fresque déceptive et portrait d’un taré des tanks), des Femmes de l’ombre (Sophie Marceau en béret résiste, mal, au ridicule), du très adulte et autobiographique Au-delà de la gloire (Fuller for ever), de Un singe en hiver(ivresse intergénérationnelle surfaite, éventée), de la déambulation œcuménique, révisionniste et inoffensive signée Gérard Oury (deux grands acteurs ne font pas un grand film, sorry, tea for two ou pas), on aimerait bien découvrir un jour (le plus rapproché) le Far Away : Les Soldats de l’espoircoréen, Le 6 juin à l’aube, documentaire écourté, archivé, de Grémillon, La légion des damnés d’Umberto Lenzi (Palance en pleine vengeance), Le Bataillon du ciel (Pierre Blanchar en présage de R. Lee Ermey dans une sorte de Full Metal Jacket aérien), La Lune d’Omaha (téléfilm de Jean Marboeuf avec les Cassel père et fils d’après une série noire anti-héroïque), La Vie de château de Rappenau (Catherine Deneuve à croquer, Noiret en prophétie soft du Vieux Fusil). Sans oublier, un peu par perversité, ou surtout pour leurs actrices, le Cinq jours en juin de Michel Legrand abandonné par Demy, secondé par Sabine Azéma, robe légère d’été, offerte à la Colette dans le foin, ou le Mariagede Lelouch (Bulle Ogier désenchantée).

Le lecteur trouvera encore des articles consacrés à Band of Brothers (dispensable démarquage télévisuel du Spielberg), aux Douze Salopards (Aldrich devient riche), à La Percée d’Avranches (suite inutile du suprême Croix de fer de Peckinpah, Coburn remplacé fissa par ce soulard admirable de Burton), au Bal des maudits (O’Toole en Jack l’Éventreur aryen), à Vaillant(Piaf again dans le sillage de Ryan, et doublement), à l’amourette de Au sixième jour (Jules et Jimà Omaha Beach, son of a bitch), aux Misérables (Lelouch se prend pour Hugo, au secours !), au méconnu (et teuton) Rommel (James Mason, naguère, s’y risqua, avec succès), au Mur de l’Atlantique (film éprouvant pour Bourvil au bout du rouleau, à peine sorti de la peau du commissaire Mattei de Melville, prisonnier de la destinée du Cercle rouge) et une poignée de « brèves » (trente-trois, martiales, pas christiques), parmi lesquelles recommander, maudire (ou s’interroger sur) L’Ombre d’un géant (création d’Israël et nuisette d’Angie Dickinson), Yanks de John Schlesinger (Richard Gere, gentleman en uniforme, à défaut d’être officier), L’Arme à l’œil (versée par Richard Marquand, auteur d’un séducteur Psychose phase 3), L’Affaire Cicéron (Mason, à nouveau, espion cette fois, et notre Danielle Darrieux nationale, que diable), Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (Minnelli avant Eastwood), Arrêtez les tambours (un Lautner rarissime et réputé, ouais, ouais), Apocalypse, la Deuxième Guerre mondiale (storytellingemphatique et colorisé), Les Jeux de l’amour et de la guerre(Julie Andrews « américanisée », pacifiée, par Arthur Hiller, le criminel lacrymal de Love Story), Les Vainqueurs de Carl Foreman (ce coco, littéralement, politiquement, signa le scénario du Train sifflera trois fois, le westernfavori de Wayne & Hawks), les IngloriousBasterds (affligeants) de Tarantino et Bastards (inspirants, pourquoi pas) de Castellari ou, last but not least, le premier volet des aventures de James Logan (X-Men Origins: Wolverine), de quoi vous faire regretter pour l’éternité de l’adolescence celles de Serval conçues pas ce diable de Chris Claremont (en matière de petit écran, une biographie d’Eisenhower sous les traits de Bob Duvall accompagné de la chère Lee Remick et un épisode anachronique d’Au cœur du temps nous tentent assez, allez).

Tout ceci, à vrai dire, fait certes un peu catalogue, mais une réelle pensée sur/de l’événement, particulièrement à travers le prisme de l’objectif, demeure absente, on le disait, ou alors se réduit au constat scolaire d’un écart spectaculaire (double sens) et à des formules laissant songeur (« Le Jour J et la Bataille de Normandie comptent parmi les plus fantastiques aventures militaires de tous les temps », « La réalité guerrière peut aller au-delà de la fiction du cinéma », « Le tandem Tom Hanks-Steven Spielberg n’a plus rien à voir avec le duo Darryl Zanuck-John Wayne. Alors, le Jour j [sic] a changé dans l’œil de la caméra. Et la caméra a changé le regard sur le jour j [idem]»). Résumons, mon colon (ou mon général, vaille que vaille) : voici un ouvrage très sage et souvent régionaliste (chapelet de localités normandes), à néanmoins conseiller, disons le temps d’un voyage en train vers les plages du lendemain (de la démocratie payée du sang étranger, français, allié) et les bunkers d’hier, en naissance de Vénus à la Prusse (Grande Illusion, espoir déconfit, de croire à la fin des conflits), à la Russe (Staline en embuscade), jusqu’au trajet vers le dernier, mausolée du cinglé qui se prenait pour un peintre, se rêva empereur, appréciait les films, pas uniquement ceux de Chaplin, son faux sosie, fit occire sa chérie (canine) de Blondie puis s’ensevelit illico en facho névro. Le Débarquement au cinéma ? Une histoire encore et toujours à filmer, célébrer, dédramatiser, quasiment une occasion manquée. Le Débarquement dans la « vraie vie » ? Une nécessité, une tragédie, une stratégie, un regain – et le rêve d’une solidarité internationale vite brisé sur le réalisme du consumérisme, de la réponse pacifique, intéressée, de l’Europe, des divisions entre blocs, idéologies, corporatismes, désormais communautés. « Bienvenue dans l’Humanité », ironisait Snake Plissken (Los Angeles 2013, Carpenter, 1996) dans l’obscurité californienne et, déjà, mondiale.   


Psychose III : Chambre avec vue

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Autoroute perdue et humanité retrouvée.


On ne peut qu’aimer ce film mal-aimé, maudire ceux qui le moquent ou méprisent, car il montre et démontre une mémoire stimulante et une émouvante mise à nu de cinéma. Après le duo Hitchcock/Stefano puis Benjamin/Holland, Anthony Perkins et Charles Edward Pogue (dramaturge notamment connu pour sa contribution à LaMouche contemporaine de David Cronenberg) retournent en 1986 au motelBates, le réinvestissent de souvenirs, de surprises, de pistes et de promesses. Des artistes solides et talentueux les accompagnent : David Blewitt (monteur de Ghostbusters et Moonwalker), Henry Bumstead (productiondesigner supérieur), Carter Burwell, Hilton A. Green (producteur et ancien assistant de Sir Alfred), Bruce Surtees, sans omettre une troupe à l’unisson : Roberta Maxwell (croisée dans L’Enfant du diable), Diana Scarwid, Jeff Fahey (excellent dans Chasseur blanc, cœur noir), Hugh Gillin, ni les appréciables apparitions de Juliette Cummins, Lee Garlington, Katt Shea (entrevue dans Scarface) ou Brinke Stevens (body double de Miss Scarwid, aperçue dans… Body Double de Brian De Palma). Cette fois, l’acteur remarquable et remarqué de Barrage contre le Pacifique, Psychose, Le Procès, Aimez-vous Brahms…, Phaedra, Paris brûle-t-il ?, Catch 22, La Décade prodigieuse, Juge et Hors-la-loi, Le Crime de l’Orient-Express, Le Trou noir, Les Jours et les Nuits de China Blue, Docteur Jekyll et M. Hyde (+ un Javert télévisé), comédien primé (un Saturn pour Psychose III, trois prix pour le Litvak) et croonerà ses (belles) heures perdues, passe de l’autre côté de la caméra, du miroir.


À des années-lumière d’une fonction de gestionnaire, d’héritier désargenté, désabusé, il délivre – le thème de l’impossible libération parcourt le métrage, de l’émancipation de prison jusqu’à la réplique finale, mains menottées, coda de boucle bouclée, en passant par un extrait à la TV de Délivrance– une œuvre sincère, aboutie, constamment surprenante et à lire, relire, sous les atours du « genre » (le thriller), de la « légende », à l’instar d’une autobiographie fantasmatique, transposée, en écho de jumeau au similaire Maître des illusions de Clive Barker (la Mère, christique, « castratrice » ou pas, relie aussi les deux officieux autoportraits). Qui mieux que lui pouvait ainsi réfléchir à sa propre persona, savoir avec élégance, assurance, confiance, dans l’ornement du « divertissement », (re)présenter la personnalité d’un homme dédoublé dans la « vraie vie », publique et surtout privée, au demeurant charmant, attachant, parfaitement conscient de ce qu’il faisait, de la meilleure manière de le faire ? Psychose III, film d’acteur-réalisateur et inversement, séduit par son regard, son intelligence, sa modestie, sa nature ludique et lucide. Perkins n’écrase personne, laisse chacun s’exprimer avec ses moyens sereins, il ne s’entoure pas de faire-valoir mais de partenaires de jeu, rajeunis ou non, afin d’ériger une digne annexe, pièce (de puzzle) tout sauf superflue, au manoir maniaque (bâtisse gothique délocalisée au sein du « cauchemar climatisé » américain à la Henry Miller), déjà cartographie-comédie noire et plongée en apnée dans un (étang surpeuplé) psychisme très perturbé.


Débarrassé du moralisme hitchcockien (tu ne voleras pas ton patron et ses variantes : tu n’espionneras pas ton voisinage sur cour, tu ne convoiteras pas la femme vertigineuse de ton faux ami), Tony P. se permet de retravailler, dès l’ouverture de son opus, le final de Sueurs froides, de dédoubler plus tard le suicide empêché de sa bonne sœur blasphématoire (« Dieu n’existe pas ! », premiers mots enragés proférés dans le noir) dans une sanglante baignoire (à la Marat), d’associer les visages et les positions (au sol) de Janet (Leigh, who else ?) et Diana. Cinéma méta, mémoriel, bien sûr – la référence, la rime deviennent parfois plus subtiles, implicites, quand un assassinat se déroule dans une cabine téléphonique empruntée aux Oiseaux, lorsque Fahey décore sa chambre avec des photos pornos découpées, collées sur les abat-jour, en réminiscence des oripeaux de peau domestiques d’Ed Gein, inspiration, comme chacun sait, du romancier Robert Bloch puis de Tobe Hooper au Texas – et cependant rétif à la citation per se(répliques reconnaissables déplacées, adroitement replacées dans un contexte neuf), à l’exercice de reproduction stérile, nécrophile, arty (Van Sant), à la déclinaison de saison (le film prend acte, néanmoins, de la vulgarité MTVesque et reaganienne de son époque, annoncée dès la trivialité seventies de Frenzy ; désormais, on baise pour un seul soir, on fait la fiesta footballistique entre anciens élèves attardés, salaces, bruyants, on se fait égorger sur le siège des toilettes en train d’uriner, prolongement de « l’inédit » sonore d’une chasse d’eau dans Psycho).


Si notre cinéaste n’hésite pas à reprendre à son compte la trame de l’épisode précédent, avec sa fausse génitrice abreuvée de poison, estourbie à la pelle (retour en arrière en noir et blanc, à l’image de l’outrage définitif sous la douche), deux ou trois figures fétiches de la rhétorique de Hitch (contre-plongée du protagoniste sur fond de volatile empaillé, chute statique dans l’escalier), il s’affranchit en douceur, en beauté, de l’ombre (immense) et du soupçon (de plagiat), il insère dans sa « suite » des nuances de mélancolie (piano solo compris), de décrépitude (une saveur de westernanxiogène, avec ces liminaires étendues sableuses aux faux airs de linceul, ces bosquets de broussailles soufflés par le vent du désert, cette poussière et cette chaleur généralisées), de romantisme et de religiosité absentes de la matrice mortelle ou substituées à son sens de la fatalité, de la fuite (en avant), de la folie. Attentif, Perkins soigne les transitions entre les scènes, détail révélateur de son implication (disons en « compensation » dérivative de sa contamination au VIH), de la qualité de son « œil », collé ou non à sa cloison de voyeur, il unit au montage les espaces, les temporalités, il entremêle dans la même séquence les tons, les émotions, les pulsions. Avec une logique cruelle et purement visuelle, il arrange le trépas différé de Maureen Coyle (clin d’œil d’initiales à Marion Crane, of course) via un cupidon de salon à la flèche très acérée, perforant le cœur (sacré) de l’héroïne en reprise de l’accessoire orgasmique de sainte Thérèse extatique par Le Bernin.


Mieux, il déjoue les attentes érudites des cinéphiles et asticote les analystes avec un deuxième cadavre maternel momifié, Fahey soulignant l’assonance de la démence (mommy et mummy, miam-miam), réduit en miettes, en charpie, par son gros couteau de giallo, en contrepoint du récit explicatif (comme si le discours didactique du psy du premier film passait en accéléré) d’une journaliste cynique (pléonasme) entichée de réinsertion-rédemption à pognon, de point de vue exclusif de l’assassin sans cesse relancé, traqué. Hélas ou tant mieux (constat récapitulatif d’une carrière, épitaphe contradictoire d’un parcours irréductible à un « mythe » majeur, un croque-mitaine à demeure), le passé ne meurt jamais, jamais vraiment, une main (une griffe à la Tourneur) pieusement coupée, conservée, caressée, en atteste. Seul dans ses sombres pensées, dans sa joie mauvaise de grand enfant (shooté à l’explicite chocolat Peter Pan) bien trop proche (qui d’assez ingrat pour le lui reprocher, in fine ? Pas moi, en tout cas) de sa chère maman (le gros lard égrillard de Bloch diffère réellement de la silhouette gracile et timide de son incarnation sur grand écran, filmée avec les armes économiques du petit), isolé à l’arrière d’une voiture de police, tandis que le soleil disparaît, qu’advient aussitôt, à l’improviste, un clair-obscur irréaliste, vaguement cosmique, Norman Bates nous sourit une nouvelle et dernière fois, terriblement, joyeusement, freak fraternel revenu du simulacre de l’effrayante « normalité », « guéri » à la façon de l’incorrigible Alex de Burgess & Kubrick (Orange mécanique, 1971).


Anthony Perkins itou pouvait sourire, peu importe la réception manquée de son « testament », sa possible (et prochaine, espérons-le) réhabilitation. Trente ans après son surgissement, l’allégorie de sa dualité (sentimentale, sexuelle, professionnelle, spirituelle, à Diana la chaste tendresse, à Jeff le désir ouvertement homoérotique, à elle l’au-delà, à lui l’ici-bas) se tient bien droite, tient debout toute seule, charme et trouble (filigrane du vrai coupable, musicien sudiste du script original), amuse (corps « au frais », littéralement, dans une glacière aux glaçons rougis suçotés par le shérif bienveillant, affrontement à coup de guitare en reflet agrandi des déboires de Woody Woopecker sur la « petite lucarne ») et touche, poursuit et anticipe (présage en stéréo d’un numéro quatre longuet, malgré Olivia Hussey, d’un convaincant avatar juvénile vanté par votre serviteur, ah, cara Vera Farmiga). Psychose III tu rediagnostiqueras, tu réévalueras, voilà.     
  

Bienvenue à Pornoland : Candide

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Entrer, sortir, pour le meilleur et pour le pire. 


Écrit par et comme un journaliste, voici un ouvrage de deux cent dix-sept pages vite lu et vite limité. Après une « note de l’éditeur » (les petits gars de Respublica, pas de jeu de mots priapique, merci) se signalant par sa modestie, son refus de l’hyperbole – « Il s’agit, y compris dans l’histoire de la pornographie, d’un témoignage saisissant, aussi inédit qu’exceptionnel » – et une lucide préface de Céline Tran, encore (en 2009) désignée Katsuni – « On désire aussi ce qui nous manque, et l’on finit par insulter ce qu’on ne peut avoir. C’est là toute la fatalité du monde du porno qu’on regarde avec envie et rage » –, avant des remerciements adressés à l’épouse, aux amis, à la maison d’édition, à la famille, au rédacteur en chef et aux collègues d’une célèbre revue spécialisée, à ceux qui ne le recrutèrent pas et à « l’industrie du X », surtout ses actrices, l’auteur se fend d’un avant-propos lexical dans lequel il fustige la « laideur » du vocabulaire anatomique (une probable invention de puritains, hein, tant pis pour le brûlant et glacé Crash de Ballard) et justifie son emploi récurrent de termes disons un chouïa moins élégants, mais jugés « légers, imagés et joyeux ». Réjouis-toi, lecteur (ou lectrice), car « Le sexe est avant tout une joie, la meilleure qui soit. La pornographie aussi, son but premier étant d’apporter du bonheur et du plaisir à ceux qui la regardent. » Le dernier paragraphe précise la démarche : « Comme la majorité des actrices X dans l’exercice de leurs fonctions, les pages qui suivent espèrent juste remplir sérieusement leur rôle de divertissement, mais sans jamais se prendre au sérieux. »

Dans un chapitre liminaire, autobiographique, Paul-Jérôme Renevier (allez voir ce que signifie l’ultime syllabe de son patronyme prédestiné dans le « parler marseillais ») évoque ses émois, ses études de droit, son milieu petit-bourgeois, son emploi au Parisien-Aujourd’hui en France, le chômage et l’embauche. Puis on le suit à Paris (seizième arrondissement) en compagnie de Nina Roberts (Julia rougit), à Rimini sans Fellini, flanqué de Manuel Ferrara (étalon de Bondy) & Steve Holmes (érudit polyglotte). Ici se tourne un gonzo avec Allison More (pas une once d’amour, so), la vingtaine, « encore plus inexpérimentée » que lui-même. La sodomie de la débutante absolue, ou presque, se passe mal, elle devient littéralement sanglante, devant les yeux de l’apprenti sidéré qui, à défaut de faire, de pouvoir faire, autre chose, l’encourage et la soutient moralement : « Pendant dix minutes encore, Allison a donc supporté ça, le cul en chou fleur [sic], les yeux trempés et les joues noircies par son maquillage dégoulinant. Une boucherie » (héroïque, rajouterait Voltaire). Peu après, interrogé, pragmatique, Ferrara affirme : « Si je me mets à y penser, comment je lève ma bite pour finir ma scène, moi ? » La novice, « consentante » et « payée » (ouf, nous voilà rassurés), « on ne l’a jamais recroisée sur un plateau de tournage hard » (après une chute de cheval, il faut rapidement remonter, se console Marnie). À Prague, la « ville aux mille clochers », similaire son de cloche, Sharka confie un (vol) viol d’enfance, tandis qu’une de ses consœurs, ailleurs, parle de son papa qui les abandonna, elle et sa maman, de son amant et père de son enfant qui la battait (« C’était du Camus » commente le confesseur, confondant sans doute avec Zola).

Haut les cœurs, néanmoins, oublions vivement les haut-le-cœur et le double baptême (ou dépucelage de carnage) peu amène : « l’ambiance est chaleureuse, les gens sont sympas et pour la plupart, loin d’être des cons », la preuve avec Rocco Siffedri, au bout du fil, les mains prises, pourtant davantage disponible et urbain qu’un certain Thierry Henry, au bord de la paranoïa par téléphone. Le chapitre suivant, explicitement intitulé Le rêve éveillé !, donne le ton de l’ensemble (du récit, du milieu), professionnel, international, lubrique, ludique et corrige la première impression (pas toujours la bonne, donc), s’ouvrant sur la couverture d’un « tournage idyllique » au « paradis » de la République dominicaine (Sea, Sex and Sun, indeed). Hervé Bodilis (lisse séide de Marc Dorcel) à Budapest ou l’angélique (et démoniaque) Silvia Saint en Espagne serviront de Virgile d’occasion, de visas en chair et en os pour le merveilleux pays de la pornographie filmée (le titre ne possédait par conséquent aucun second degré, il participait d’une appréhension du sujet en pur parc d’attractions à la Disney, pour et entre adultes consentants, évidemment, pas question d’envoyer, « dans quelques années », son propre fiston alors âgé de sept ans acheter un magazine de golf, des fois qu’il tomberait sur le dernier numéro de l’employeur paternel). On retrouve ensuite notre habile Rouletabille, notre Tintin badin, à Las Vegas (Parano, of course, dans le sillage de Hunter S. Thompson, inventeur du journalisme gonzo, boucle bouclée, allez), promu cartographe-ethnographe (« Le marché américain est à l’image du pays, un oxymore véritable »).

La pirate (pas Judy Garland) Jesse Jane, la clean (pas Maggie Cheung) Briana Banks, la magnanime Janine, la reconnaissante Jenna Jameson, deux stars incontestables, l’haltérophile Jean Val Jean (pas si misérable au générique des Experts) – tous se donnent rendez-vous au salon Adult Entertainment Expo, hébergé dans le casino du Venetian (faux Rialto inclus, mon coco), royaume bipolaire entre des « compagnies de films scénarisés » (Digital Playground, Vivid, Wicked Pictures), ersatz du glamourhollywoodien de naguère et des sociétés moins argentées de pure efficacité, les Jules Jordan, Elegant ou Evil Angel, au sexe anal en norme banale. L’occasion, mon colon, d’esquisser des parcours, des portraits, ceux de jessica drake (pièce de collection rétive aux majuscules), Savanna Samson (correspondante siffredienne), Katsuni bis(affectueusement apocopée en Katsu), incarnation 2.0 de la fameuse devise d’Arletty sur la nationalité de son cœur et l’internationalisme de son postérieur, ou Brigitte Bui, refroidissante beauté (on pouvait lui préférer Lahaie). Mister Renevier, épris de psychologie, s’attache dans la foulée à l’exercice du profilage, humblement assimilé à une « philosophie de comptoir ». En résumé : « Si la vocation d’actrice X est précoce, elle répond moins à un désir d’épanouissement professionnel qu’à un profond besoin personnel. Ce n’est pas un métier qui leur apportera un bonus pour l’avenir, mais qui viendra combler un manque du passé » (approbation des psys).

Les (souvent) anciennes infirmières (Lou Charmelle, Nina Hartley, Tera Patrick, Dora Venter, Yasmine) s’envoient dorénavant en l’air, dotées d’un « côté masochiste » flagrant, « léger » ou « très prononcé » (l’assertion « Qu’une femme aime sentir le pouvoir, la force d’un homme pendant l’acte sexuel, c’est un besoin social, culturel » ravira les féministes, afortiori façon Femen), à l’instar de la stupéfiante Melissa Lauren, amatrice de batte de baseball insérée où vous devinez, revenue à une modération de saison, « décidée à se respecter ». Dans toutes ces acrobaties, il conviendrait de lire « une sensibilité à fleur de peau et une estime d’elles-mêmes souvent défaillante », associées à « une demande d’attention appuyée. La plus vieille du monde » (les mauvais esprits citeront plutôt le supposé plus vieux métier du monde, passons). Le besoin d’amour, la sensation d’exister, l’émancipation sociétale, passent accessoirement par le viol fantasmé (un salut à Isabelle Huppert chez Ellechez Verhoeven), les tatouages-piercings(propriété, liberté, douleur d’un corps décoré, labellisé), le danger (la coke devenue denrée rare). Le chapitre 6 énonce un progrès généralisé, point d’exclamation à l’appui : Sexe et argent, grâce au X les femmes s’épanouissent ! Fi de la vénalité (Laetitia en vidéaste pionnière pour ménagères délurées), remisez le rassurant misérabilisme de la « misère sexuelle », des « pauvres filles », des filles pauvres, au vestiaire, observez la démocratisation de l’onanisme numérique et la mode du sex toy (cachet de Sonia Rykiel, quand même, l’insertion de l’objet dans la collection printemps-été décrite sans rire par P.-J. Renevier « comme le véritable point de départ de la libération sexuelle en France ») – les femmes « aiment ça, point » et, un sondage IFOP en atteste, beaucoup d’entre elles s’intéressent au X.



Face à une « sexualité féminine déculpabilisée, ouvertement provocatrice parfois », les hommes peinent à pratiquer ou seulement admettre une bisexualité (constat confirmé par une Ovidie) et se voient concurrencés par un appétit de puissance empreint de parité (« Désormais, je suis une femme qui pense comme un homme. Je veux tout : le pouvoir, l’argent, le fun et le sexe » revendique la peu timide Shy Love), d’enrichissement sonnant et trébuchant (« D’une manière générale, ce sont les filles qui gagnent de l’argent dans le X »). En mode réflexif, l’opus s’en prend par la suite (sous patronage gainsbourgesque) à l’hypocrisie médiatique (à quoi bon, cependant, tirer sur l’ambulance de la bien-pensance ?), celle du vieillot Charles Villeneuve dans le racoleur Droit de savoir, du Parisienguère serein (Adeline Lange y joue les diaboliques Brutus), du bientôt freudien Marc-Olivier Fogiel (Adeline, pas Jessica, bis) de l’inénarrable Marie-Claire de Tina Kieffer, à deux doigts (dans la braguette) d’une diffamation ou d’une séparation. PJR, « membre de la grande famille du porno », s’insurge et son sang ne fait qu’un tour devant un tel ramassis de conneries, de mauvaise foi tous azimuts. Il reprend les arguments balisés, entreprend de les démonter, sans toutefois vouloir « s’ériger en défenseur intégriste du X » (Daech, à la niche). Non, personne n’exploite financièrement les actrices, par ailleurs (estampillées filles de l’Est) conductrices de Mercedes (Cristina Bella) ou future propriétaire multiple (Claudia Rossi), ni ne les abuse sexuellement, ni ne les influence fortement (pas de producteurs mafieux dans le milieu, malgré la présence à succès du crime organisé à l’époque de Gorgeprofonde, objectent les nostalgiques ou les non amnésiques).

Pas plus hard qu’hier, la pornographie, si elle peut représenter une réelle agression par inadvertance (suggestion de création « d’une police internationale sur Internet », on ne rit pas au souvenir du fiasco Hadopi, please), si « Aucune œuvre à caractère pornographique ne devrait tomber entre les mains d’un ado, c’est d’ailleurs une disposition légale très stricte », ne s’avère finalement pas un fléau, responsable de tous les maux, elle n’incite à aucune misogynie facile, mimétisme nocif (en dépit d’une nocivité admise « sous certains aspects extrêmes »), érosion de la distinction réalité/fiction, ou alors autant interdire les films d’horreur, Le Parrain et Scarface. Tressons par conséquent et a contrario des louanges à Helena Noguerra (sœur de Lio), Fabrice, Lagaf’, Nagui, Stéphane Collaro, Antoine de Caunes, Michel Houellebecq (cherchez l’intrus), Lord Kossity (ami vocal de Clara Morgane), Thierry Roland (titillé par Delfyn Delage), Patrick Sébastien pour leur naturel, leur franchise, et laissons son pathos à la documentariste Mireille Darc. L’objectif inavoué de cette imagerie policée, frigide : « ne pas laisser penser aux gens ‘normaux’ qu’on peut être heureux dans ce métier. » Vive Canal+, vive les Hots d’Or, vive la série Hard(homonyme du document éprouvant de Raffaëla Anderson) et les courts métrages interdits aux mineurs signés Lou Doillon et Arielle Dombasle. L’enjeu de la harangue ? Proposer « un point de vue éclairé sur ce sujet passionnant que peu de gens maîtrisent vraiment » (moi insider, toi outsider, capito, espèce de puceau ?). Le segment Éthique, morale et perversions comprend un trio de mantras : « Dans tous les pays, la morale se confond généralement avec la loi », « La morale est la pierre angulaire du X », « Conclusion, on pourra interdire la pornographie tant qu’on voudra, on ne fera qu’accroître sa consommation » et retrace la matrice de moult repas.

Au menu,le roboratif (ou écœurant, cela dépend) 65 guy [sic] creampie 2 avec la gastronomique et athlétique Arianna Jollee, plat principal et unique à 20 000 euros (à peine 50 concédés à la cinquantaine d’éjaculateurs recensés), des MST, des certificats médicaux, des « trans » et le sentiment-volonté de participer au « redressement de la production pornographique ou à sa démocratisation ». En guise de digestif, on parle d’argent dans Secrets, techniques et performances, on sonde le « vrai mystère » des budgets du X et le récurrent « manque de moyens » (antienne nationale corporatiste), petit exercice comptable intégré afin de calculer la moyenne d’un tournage moyen (moins d’une semaine), 10 000 euros, répartis ainsi : 4 000 pour 5 actrices, 2 500 pour 5 acteurs, 1 500 pour la maquilleuse (convoitée en nouveauté de chasteté), 500 pour le photographe de plateau, 500 pour un ou deux jours de maison en location, plus un surplus pour « un peu de matériel ». Panne, impuissance, prestance, panoplie de beauté retouchée, rhabillée, blanc d’œuf mélangé à du savon, lubrifiant débandant et lavement recommandé – autant de trucs, d’astuces, de farces et attrapes nécessaires, complémentaires, avec pour acmé l’art manuel du squirting, enseigné de main de maître (ah, le point G, point alpha et oméga de la jouissance du sexe classé deuxième) par Axel Braun, « fils de l’illustre Lasse ». Notre grand reporterà demeure nous en offrira l’éloquente démonstration-imitation, secondé (à son service) par une « Meetic girl » au téléviseur drôlement éclaboussé par son éjaculation purement féminine. Et moi dans tout ça ? se questionne, pour la forme, au miroir rhétorique, l’explorateur des profondeurs.

Il reconnaît avoir « beaucoup appris », via un « perfectionnement subtil et involontaire ». Remarquez en outre que le père « boursicoteur » ne peut qu’approuver la viabilité du voisinage « d’une entreprise de vingt-cinq salariés générant quinze millions d’euros de chiffre d’affaires », que l’acceptation de la profession du rejeton se déroule dans un climat de « décontraction », que le trentenaire autrefois célibataire rapporte une relation orpheline avec une actrice française à présent retirée, retraitée, anonyme, « une fois en presque six ans », résistant aux tentations très tentantes d’une Angel Dark, « sublime Slovaque », d’une Liza del Sierra, « adorable enfant souriante et malicieuse », d’une (solaire) Silvia Saint, son « fantasme d’adolescent ». L’odyssée feutrée, sinon édulcorée, déplore une poignée de lecteurs on line, s’achève en romance mélioriste, par un mariage religieux après son homologue civil à Vegas, plaisanterie gay du père de La Morandais en bonus. Auparavant, Paul-Jérôme Renevier concluait « ne plus rechercher le sexe pour le sexe », il « préfère de très loin les jeux de séduction, les instants de complicité subtile, le moment exaltant de la découverte », il ose une citation d’escalier de Clémenceau (possiblement en route vers le septième ciel, pas celui, mortel, de Félix Faure le bien nommé, certes). Oui, Leibniz disait la vérité, tout va vraiment pour le mieux dans le meilleur des monde possibles, cultivons notre gazon pas si maudit (cf. l’horticultrice saphique Nica Noelle), continuons à jouir sans entraves, à vivre sans temps mort, à visionner à l’infini, à consommer avec modération, le spectacle mondialisé de la petite mort sur tous les écrans de la modernité. Bienveillant, Pornoland nous tend les bras, principalement peuplé des sirènes virtuelles ; au nom de quoi refuser (remettre en cause, en question) leur bel appel ? 

« Il faut un peu de courage et de liberté pour pouvoir communiquer honnêtement sur le X » assurait le signataire ; cette expression-là requiert également un minimum d’indépendance, de distance, d’absence de connivence. Juge et partie, amphitryon et VRP, clone de Fabrice del Dongo à Waterloo, avatar d’Emmanuelle Riva à Hiroshima, le scribe placide enfile les truismes assermentés et les aveuglements (tamisons : la myopie) d’autodéfense, il prend bien garde à ne jamais mordre la main nourricière, à exercer un semblant d’ironie, d’esprit critique, de position singulière, apologue soft et sympa, inoffensif et, infine, fondamentalement conformiste, dans sa prose et son optique. On se gardera ici de revenir sur des thématiques développées ailleurs (sur ce blog), en cinéphile, en citoyen, en marginal cérébral, sentimental, nanti d’un œil, d’un cœur et d’un pénis, l’on bouclera ce compte-rendu (de lecture), ce reflet (d’écriture) à la fois fidèle et subjectif, par le rappel du cynisme, du mercantilisme, de la paresse, de la hideur, de la dérision d’une imagerie nonobstant riche de possibilités, de beautés, de sourires, de complicités, de noirceurs, d’éblouissements, d’esthétique et de politique, de dialectique scopique, libidinale et sexuée, pas uniquement sexuelle, par un appel en écho, en solo, à la révolte, à la mise à sac (à nu) de l’empire dédoublé de la tristesse, celui du X, celui de l’existence (une vision tragique de l’être s’autorise la sensualité, congédie l’hédonisme démagogique). Lorsque nous réclamons, mélancolie, folie, de réinventer le cinéma (la société, le cosmos, collatéralement), nous visons aussi ce cinéma-ci, anti-cinéma et horizon des événements (au-delà, la mort). On arrête cinq minutes de se masturber, au propre, au figuré, on s’y essaie, pour de vrai ? 


Les statues meurent aussi

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Un conte nocturne, une fantaisie d’adulte.


À la fin du dix-neuvième siècle, les hommes inventèrent le « cinématographe », bientôt apocopé en familiers « cinéma » ou « ciné ». Le centenaire suivant vit l’essor, l’avènement puis le retrait de cet art commercial, populaire, fascinant, fasciste, baptisé « septième » en guise de bourgeoise respectabilité. Certains, à peine une poignée, en vécurent, d’autres, à peine plus nombreux, lui prêtèrent une part plus ou moins importante de leur temps de vie et de nuit. On loua, on blâma, on s’émerveilla, on se lassa. La TV, les jeux vidéo, Internet redéfinirent la superficie et l’emprise du territoire audiovisuel. Au nouveau millénaire, que les historiens font désormais débuter dans les ruines médiatiques et mondialisées du World Trade Center, le cinéma survécut, mua un peu via la numérisation généralisée de l’univers de l’espèce, s’enfonça en douceur, au quotidien, dans une agonie jolie, indolore. Les films continuaient à se faire, à « sortir » (le mercredi), à être commentés au « café du commerce » des blogs, des sites, des colonnes d’une presse elle-même moribonde, perfusée à la publicité. La Troisième Guerre mondiale (mémorable repère parmi moult conflits), les radiations irréversibles, la Terre stérile, l’exil facile, l’aventure exaltante, terrifiante, des stations orbitales, de la colonisation spatiale, l’insatiable biochimie, tout ceci « sonna le glas » d’une expression désormais évoquée en pure archéologie. Dotés de corps radicalement différents, de consciences inconcevables par le passé, d’horizons au-delà de la raison, des expectations, les hommes surent se passer des plaisirs scopiques, passifs, narratifs. Ils vivaient l’événement, ils ne se divertissaient (ou consolaient) plus avec son reflet stylisé, simplifié, sinon amélioré.

Quant aux machines, elles servaient, elles s’enthousiasmaient, elles dépassaient vite et bien le stade du questionnement sur/de leur « humanité » allègrement acquise. Que reste-t-il, aujourd’hui, d’une pratique étrange, édifiante, désolante ? Bien peu, à vrai dire, à part quelques souvenirs de nos arrière-arrière-grands-pères, resplendissants dans leurs atours de mortalité longuement différée, de santé augmentée (dans les années 2000, nos ancêtres accolaient cette épithète au terme « réalité »), d’absence de nostalgie. Le genre, la famille, les nations, les religions, la politique, le sexe, le travail, la morale, l’angoisse et la joie de vivre – on se débarrassa (enfin) de tout cela, du cinéma aussi, emporté dans l’élan vers le firmament. Qui s’en plaindra ? Pas toi, ma chérie, à l’aube de ta vie, à l’âge où l’on découvre l’immense « champ des possibles » alors longtemps tenu « hors-champ » des caméras, des esprits. Si la prospective mystique en 1968 d’un Stanley Kubrick (totem de « cinéphiles », d’amateurs de catacombes en « Scope » et dans la pénombre) nous amène à sourire, si l’ironique utopie d’une fausse « dystopie » littéraire à la Aldous Huxley provoque notre hilarité – tu vois que je connais à mon tour deux ou trois artefactsd’autrefois ! –, tu savoures, mon amour, ma belle et magnifique amputée, les mille merveilles sauvages d’un présent réinventé, purgé des projections, des prévisions, des déflagrations. Dans les étoiles à jamais pacifiées, nous dérivons ensemble dans l’oubli de l’éternité, des images-mensonges, des images-ravages, des images-visages. Le tien, ma fille, ma femme, ma mère, ma sœur, ma tendresse et ma fureur, mon cher androgyne et mon miroir méconnaissable, me suffit superbement.

Tu te tais, tu me souris, tu frémis à me lire t’écrire ainsi (coquetterie de la calligraphie), dans ta lumineuse mélancolie d’Eurydice/Alice interstellaire. Accorde-moi ta bouche d’ombre et jouons à nous remémorer, s’il te plaît, le charmant fatras du romantisme enterré, refroidi dans les cendres sèches des métrages invisibles, risibles, puérils et subtils. Hors de tout, au cœur de rien, cessons de raconter (de regarder, d’espérer) afin de commencer à respirer, enfants iconoclastes et vieux navigateurs de l’immense silence.           
  

Prick Up Your Ears

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Être et avoir, voir et entendre.


Sur une célèbre plate-forme de « contenus adultes » (QG montréalais, ce qui nous ramène à Cronenberg au temps de Rage avec Marilyn Chambers, éminent et mémorable transfert de bluemovie, boucle bouclée, donc), on trouve désormais une « catégorie » un brin particulière : il s’agit, croyez-le ou non, d’un service d’audiodescription, disponible sur environ une soixantaine de scènes hétérogènes (gay inclus). Puisque la vie s’avère courte et notre patience tout sauf inépuisable, on se piqua d’écouter, de se borner, au (court) premier segment hétéro (notre orientation sexuelle, sorry ou pas), une version remontée (abrégée) de Sexy Threesome in the Office. Comme l’indique l’allitération assez peu racinienne (quoique) de son intitulé, la saynète encapsule un triolisme (Cronenberg, bis, surtout celui de Faux-semblants) au bureau, produit très « calibré » de chez Brazzers, aussi passionnant et surprenant qu’un débat présidentiel à plusieurs, qu’un gang bang verbal pré-électoral. Sous le prétexte éventé d’un entretien d’embauche, Ava Addams (brunette francophone) & Riley Jenner (blonde en silicone) s’adonnent aux joies du « ménage à trois », en compagnie d’un patron impliqué dans le recrutement de ses salariées. Durant sept minutes et demie, une voix off féminine anglophone présente les candidats (au poste, au plaisir), surplombe les (d)ébats, décrit précisément leur froid combat (inutile de chercher un quelconque affect, une once de véracité, dans la facticité d’ensemble). Nous voici devant, jamais dedans, pour ainsi dire, un troublant exercice comportementaliste, où la pornographie, par définition excès de monstration, y compris jusqu’à l’abstraction, tente de pallier les déficiences de la vision par une double couche sonore (le « son direct » ne succombe pas, le mixage se contente de le placer en retrait, à l’arrière-plan du champ auditif, en contraste désaccordé avec la proximité des chairs), de remplacer une image défaillante ou manquante par son ersatz phonique, que profère une chimère fantomatique (muse, « salope » », scientifique, oculiste, sirène obscène).

Dans un registre similaire, la balade en bagnole de Marion Crane dans Psychose, avec ou sans les cordes urgentes et anxiogènes de Bernard Herrmann, demeure un « cas d’école » pour « étudiant en cinéma ». Ici, le pouvoir du son (non musical) ne vient plus redoubler la puissance des plans (ou forer leur neutralité télévisée d’un abîme de tension, de folie sur le point de tout emporter), il cherche sciemment à se substituer à la surfiguration du genre – le mode descriptif cherche à ériger à partir d’une imagerie disparue un imaginaire du désir. Jouez le jeu, fermez les yeux : l’objectivité de l’hôtesse, sa froideur de doctoresse, le lexique utilisé, anatomique et trivial, le soulignement des didascalies et la verbalisation des procédés techniques déployés (fondu enchaîné, cut, point de vue subjectif) relèvent à la fois d’un procédurier procès-verbal à la Ballard (Crash, Cronenberg ter) et d’une transmission de représentation (d’un récit simultané) en ironique (davantage que lubrique) révélateur de l’automatisme des performeurs, de la fausseté généralisé de l’épiphanie de poche, formatée, rémunérée, interchangeable et impersonnelle (nul orgasme en coda, la doubleuse-doublure des doubles bodies achève son monologue, pas vraiment du vagin, par un laconique et expéditif « The video ends »). Redoublé par l’aveuglement volontaire, l’artificiel submerge le canal auriculaire ; (rap)portée par le discours suppléant, en supplément, d’une traductrice encore moins expressive que les annonces enregistrées en gare ferroviaire, la gymnastique se donne à voir et à entendre pour ce qu’elle signifie et incarne, un vide émotionnel et une abolition du physique pourtant surexposé. Les yeux grands ouverts ou fermés, le sexe ne passe ni par l’œil ni par l’oreille (surréalisme souriant du langage et réalisation provisoire du « corps sans organes » d’Artaud), il se dilue dans un hors-champ inaccessible (dans l’exemplaire adaptation-adultère cinématographique des accidents sexuels littéraires, l’évocation de Vaughan lors d’une étreinte à deux suffit à matérialiser le gourou, à susciter sa présence et à transformer la séquence de couple en « plan à trois », belle maestria suggestive d’un film rétif à tout racolage).

À sa manière, ce contradictoire commentaire sanitaire, altruiste et robotique énonce de la façon la plus claire, vocalisée au carré, que la voix ne ment pas, ne trompe pas (on perçoit la fatigue ou la joie d’un proche au téléphone, disons), que les images sans la bande-son, même de saison, d’occasion, s’échinent en vain à produire un début d’érection, de surcroît dans le cadre d’une situation et de silhouettes aussi scolaires, ressassées, paresseuses et réduites à un cliché (désolé pour les deux dames). Avec la fonction described, le bureau, les tableaux, les bouquins anodins, la fenêtre au store tiré, les murs roses qu’un coup de pied, de poing ou de reins suffirait à démonter (on pense aux cloisons coulissantes de LaCorde), tout concourt à créer un pur placebo de sexualité, de spectacle, de (navrant) « divertissement adulte ». Au cœur du simulacre audiovisuel (acontrario de « l’inquiétante étrangeté » sensuelle/sensorielle des soundscapes d’un David Lynch), au sein de la mécanique des automates et des automatismes, la tristesse (versusl’innée mélancolie des films du Canadien) advient, unique réalité à contempler par la vue et/ou l’ouïe. Ce X-ci, arbitrairement (et commercialement) dépourvu du « temps réel » de sa durée originelle (une vingtaine de minutes en moyenne, temporalité impartie de la vignette, de la jouissance indirecte), peut bien nous inciter à prick (double sens, ofcourse) up our ears, il échoue en stéréo (Cronenberg, encore et encore) à nous exciter, il nous met face à une césure-imposture brechtienne dont seul le silence, in fine (ou alors « les soupirs de la sainte et les cris de la fée » poussés dans la « vraie vie », au lit ou ailleurs, par nos Cassandre – maudits mots – et Circé – les hommes, tous des pourceaux, mon salaud – nervaliennes), parvient à nous prémunir, à nous guérir, à nous donner vraiment envie de jouir. Oui, oui, babyà l’invisible pussy, hurle en sourdine, parle (tout) bas ou bien tais-toi, mon inhumaine chérie.

                         

Animal : Le Silence des agneaux

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Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Tatu Pohjavirta.


Dans et durant cette merveille minutée (vingt-sept au compteur), les surprises, les réussites, les étrangetés, les beautés abondent. Pour une fois, on se taira, on se gardera d’en rendre compte « par le menu », « en temps voulu », laissant au lecteur la découverte reconnaissante et surtout enivrante d’un univers à part entière, accessible via la page Vimeo de l’auteur, quadragénaire finlandais reconnu et récompensé dans les festivals spécialisés de Tampere chez lui, d’Annecy ici. Notez d’emblée que son Animalévoque jusqu’à un certain point le fameux (et contemporain) « lapin-garou » du studio Aardman. Point d’ondes cérébrales ni de potager en danger, cependant, moins encore un duo virtuoso (Steve Box & Nick Park, doublure en chair et en os de leurs Wallace & Gromit si britanniques). Pas non plus de pâte à modeler, de confortable budget ou d’Oscar à la clé. Non, une rugosité, une pauvreté (« d’art pauvre »), un caractère inconfortable caractérisent notre fable sur les espèces, sur ce qui les fait et les défait, sur la fragile humanité toujours prompte à retrouver fissa le confort roboratif de sa « bestialité » (steak ou sexe, pourquoi choisir ?), à passer la frontière des royaumes, des normes, des régimes (d’images et d’imageries). Au croisement de plusieurs genres – la chronique, le drame, le film d’horreur, le mélodrame, le film d’amour, la satire politique –, le moyen métrage de Tatu Pohjavirta éblouit en permanence par sa sensuelle et sentimentale intelligence, son sens de la synthèse, l’harmonie de ses dissonances. Jamais, peut-être, sinon dans la filmographie tchèque (Jiří Trnka, voilà), on ne vit l’équivalent de ceci, de ce récit dépourvu de paroles, de palabres, d’explications et d’édification (« Dès 9 ans » recommandent les prescripteurs inconscients de la plate-forme, mésestimant le risque de cauchemar parmi les têtes blondes et brunes rivées à leur précoce tablette).

On plaisante à peine, tant le cinéaste polyvalent, sur tous les fronts et les postes, scénario, réalisation, animation, montage, manie ses marionnettes avec une maestria entièrement adulte, peu préoccupé, apparemment, par la réception enfantine (manière supérieure de respect), « l’horizon d’attente » (comme disent ou disaient les étudiants en Lettres) de son public a priori puéril, entre la bave et le babil. Pohjavirta ne cherche pas à plaire, à prêcher, à épater (les parents, les « grands enfants »). En vrai réalisateur, il élabore une mimesis de pure praxis, dans l’acception la plus physique (et lyrique) du terme. Sous ses mains et devant l’objectif de sa caméra, les pantins prennent vie, s’animent miraculeusement et avec inquiétude (la leur, la nôtre). Autour des protagonistes, un veuf éleveur de moutons et son blond fiston, une infirmière (médecin célibataire) en héritière de Frankenstein, tout vibre d’une vie absolue, tout l’écrin d’une petite ville industrielle où la fumée, les grues, les volets et les portes automatiques, architecture surréaliste, bientôt carcérale, cf. le paraphe du final, voisinent avec un bois voisin, une forêt en lisière, domaine dantesque d’arbres priapiques et de loups épris de cous (ou d’épaule, exactement, emplacement de la morsure paternelle). La bande-son (il faut écouter Animal attentivement, de préférence avec un casque immersif) déploie un climat phonique travaillé, réaliste et onirique, tressé à des morceaux musicaux guillerets ou endeuillés signés Alamaailman Vasarat, l’ensemble baigné dans la belle lumière crépusculaire d’Anu Keränen. Bien sûr, tout ce soin accordé aux puissances du son, cette attention portée à la familière monstruosité, cette évocation de la tragi-comédie (on sourit beaucoup devant les péripéties) d’une vie à deux ou trois pourra rimer avec Eraserhead, matrice apocryphe et ancêtre select.



Néanmoins, Animal vaut avant tout pour lui-même, il retravaille des motifs et en invente d’autres du même élan, il donne à voir, à lire, son projet à l’intérieur même de sa diégèse (animer, ranimer, en effet, Lovecraft inclus ou non). Histoire de cerveaux transplantés, de résurrection électrique, de peau d’échange et de rechange, de famille décomposée puis recomposée, le diamant noir venu de la froide blancheur (« riante » en été, quand même, non privée de sensualité ni d’espièglerie sous la neige, rappelez-vous du sympathique et saphique 101 Reykjavík, sis en Islande, avec Victoria Abril délocalisée) dispense un éclat de chaque plan, de chaque instant, il possède un humour, une grâce, un ton et un regard qui n’appartiennent qu’à son géniteur, tailleur de pierre et de matière que l’on imagine aisément en Viking magnanime, en ermite urbain. Parfois poignant (la mort d’un enfant, évitée de justesse, in extremis et au prix de sa régression à la Algernon, de préférence sans fleurs), ponctuellement violent (la transformation lupine et assassine, stoppée net par son propre reflet, gifle narcissique d’un miroir spectaculaire et spéculaire), nanti d’un sous-texte discrètement sarcastique à la Brazil (« Sous les pavés, la plage ! » ? Derrière la carte postale, à Helsinki ou Paris, plutôt un Pouvoir propice à verrouiller sa population, à cadenasser ses maisons, sa raison, à repousser, littéralement, mécaniquement, l’altérité en marge, en bordure d’azur, accessoirement à raser une végétation envahissante), Animal fait s’aboucher le singulier à la société, l’individuel au collectif.

Il confirme brillamment les promesses du plus court (quasiment de moitié) et antérieur Reflector, vaudeville scopique sis dans le milieu du cirque, faisceau de références plus évidentes (Elephant Man, Le Voyeur, Vidéodrome, Jules et Jim + Tod Browning), dans une trame encore plus ouvertement désespérante (l’homme à la caméra, pas celui de Vertov, y perd la tête, à la lettre, la ballerine sur son fil danse tristement avec le matériel méta en miettes du cyclope esseulé, aveuglé, le mari meurtri finit décapité, olé). Qu’il portraiture la jalousie (cassante) ou la paternité (dévorante), Pohjavirta n’oublie pas le désir (de chair ou de meurtre), l’indifférence, la joie, la terreur, la complicité (de complices amoureux ou criminels), la tendresse et la sauvagerie des êtres entre eux. Ses mannequins de poche, moches et radieux, rétifs aux liftings des magazines, des CGI, de la 3D, du numérique HD, conservent-acquièrent une très troublante humanité en écho à la célèbre interrogation de Lamartine (Milly ou la terre natale, inHarmonies poétiques et religieuses) sur l’âme des objets inanimés. L’effet d’effroi et de proximité se voit en outre renforcé par la matérialité des décors, des accessoires, de la dramaturgie éloquente malgré son silence, loin de l’écart graphique du dessin animé, de l’investissement affectif qu’il réclame du spectateur. Regarder, sidéré, conquis, vaguement mal à l’aise (grandeur de l’horreur) et assurément ému (noblesse du trivial), les œuvres de Tatu Pohjavirta, en tout cas ce diptyque assez mirifique, permet de cerner au plus près les enjeux de l’animation live, organique et poétique, érotique et macabre (Tim Burton, celui d’avant l’impardonnable Alice au pays des merveillesdu capitalisme, pouvait encore agir ainsi, aimer ceci), de (dé)montrer avec brio tout ce qu’elle peut concevoir et atteindre, faire advenir sous nos yeux envieux (d’autres ciels), douloureux (d’innombrables laideurs réelles, incarnées, en virtualités ressassées, le mercredi et le restant de la semaine).


Il ne s’agit, à aucun moment, de prendre du « bon temps » régressif, inoffensif, décérébré, de (re)devenir un gentil mouton tondu par d’’invisibles tourmenteurs, ou un loup-garou (un terroriste, religieux ou non) ivre de sa naturelle/accidentelle fureur, de fuir le monde des hommes et leurs problèmes insolubles depuis des siècles, mais bel et bien d’exposer en pleine lumière, sur grand écran ou petite lucarne d’ordinateur, leur part d’ombre, de ténèbres, de nuit intime, afin d’en faire quelque chose, pas un discours (à l’ONU), pas un catéchisme (auteuriste), pas une rengaine de palmarès – rien qu’une œuvre d’art, un artefact suprême et superbe à partager, à célébrer, à interroger, à affronter, moyen de grandir, de vieillir, de résister, de trouver la force de sourire et l’envie de vivre un jour encore, pour un fils, pour une femme perdue ou rencontrée, pour une métamorphose en signature impure des mille possibles de l’existence, les meilleurs et les pires, avec toute la gamme si souvent dégradée de dégradés entre les extrêmes. Le cinéma d’animation (courant pléonasme) sert à cela et le reste, ceux qui s’en servent à d’autres fins, notamment mercantiles ou futiles, ce qu’il sert régulièrement à des rétines bien trop clémentes, indulgentes, ne nous intéresse guère, ne mérite pas notre pitié, ses sbires drapés dans leur méprisable mépris. Trêve de rancœur ou d’anathème : nous préférons largement aimer, relayer nos admirations : visionnez Reflector et Animal, avérés trésors confidentiels, puis reparlons-en, ici ou ailleurs.  

L’Animal écran : Demain les chiens

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Mammifères familiers, congénères légendaires.


En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte.
Franz Kafka, La Métamorphose

Andalousie je me souviens
Francis Cabrel, La Corrida

Eat my pussy
Anonyme

Sous ce titre terriblement freudien – cf. le célèbre « souvenir-écran », notez dès à présent, cependant, la disparition du trait d’union, laissée à l’interprétation (du lecteur) – se trouve un opuscule paru en 1996 à l’occasion d’une « manifestation » organisée par la Bibliothèque Publique d’Information au Centre Georges Pompidou (éditeur itou) l’année précédente (centenaire du cinéma, faut-il le rappeler), joliment intitulée Animalia cinematografica. Il se compose de trois courts essais thématiques signés par un critique/réalisateur/enseignant, Jean-André Fieschi, un philosophe, Patrick Tort, et un psychanalyste, Patrick Lacoste ; un petit « cahier iconographique » de photographies en noir et blanc sépare le premier des deux autres, un « index des films cités » et des « références » bio-biblio-filmographiques complètent le tout (au prix de « 100 francs », monnaie d’antan). En couverture, la « danse » de l’éléphant (pas sa « marche » de « bébé » pour Hatari ! due à Henry Mancini, certes) du Slon Tango (en vidéo) de Chris Marker (Igor Stravinsky arty sur la bande-son et dédicace à « Juju »). Ceci se lit vite et bien, cela récapitule et stimule assez. Chacun écrit à sa façon et selon son horizon. L’impressionnisme historique et rhétorique de Fieschi esquisse ainsi les enjeux cinématographiques et moraux (oh, le gros mot) de la bien nommée « prise de vues », du piège scopique, du cadre-cage, des dérives du spectacle (sensationnel, sensationnaliste) dépourvu de vrai regard (le film conçu en suite dynamique et dialectique de plans, non d’images, le cinéma perçu en art du temps et de l’espace, pas en best of de dangers filmés). « L’ontologie » du « montage interdit » d’André Bazin, le POV de Jean Rouch chassant l’hippopotame versusle sirop d’épouvante de Walt Disney ou les dragons de Komodo de la super-héroïne Nicole Viloteau, so.


Le commentaire universitaire de Charles Darwin (intronisé « scénariste ») démontre avec clarté la portée (à peine masquée) politique de l’anthropomorphisme courant, particulièrement à l’écran. Lacoste s’appuie sur la théorie évolutionniste (largement préférable aux inepties créationnistes, affabulations de fascisme soft), souligne sa multiplicité (sélection naturelle, sexuelle, sociale, morale, bis), étudie/énonce deux « paradigmes » principaux, celui de la ressemblance et celui de la différence, dans nos rapports aux bêtes, belles et fonctionnelles, à la croisée de l’esthétique et de l’utile. Parler d’elles avec nos mots à nous, associer, sinon assimiler, les deux p(l)ans de réalité, relève in fine de l’idéologie, cherche à justifier, légitimer, un ordre établi, une « nature » des êtres et des choses donnée telle quelle, « sous l’aspect de l’éternité », pour s’exprimer comme Baruch Spinoza. En bonne orthodoxie réflexive, l’approche psychanalytique se préoccupe (et s’ouvre par un drolatique florilège d’expressions relatives au sujet-objet non verbalisé) de parole, de langage. Au sein de la toujours troublante « économie » (voire « scénario ») lexicale et libidinale, le cinéma peut verser dans le réductionnisme (Mon oncle d’Amérique ou le pénible tandem miroité de Henri Laborit & Alain Resnais), s’élever vers l’analyse indirecte (Orson Welles et le rosebud clitoridien de Citizen Kane, « roman familial » matriciel du « septième art »). Jules Renard (on sourit) remonté, Luis Buñuel et son canidé andalou, Léonard de Vinci et son (faux) vautour, la Sphinge d’Œdipe, Francisco de Goya dévoreur saturnien ou Titien tricéphale : Lacoste parcourt les repères artistiques en énonçant les sacro-saintes stations de sa doxa disciplinaire (déplacement, condensation, oralité, analité, animalité, castration, angoisse), avant de conclure par une rapide introspection-réconciliation des tensions, à l’unisson (en doublon) d’un cri de cauchemar adulte very Edvard Munch et de nouveau-né adoré, « origine du monde » personnel + insertion dans la collectivité fantastique du réel désormais spiritualisé.               


Une vingtaine d’années après – autant dire un siècle ou presque à l’époque du « temps réel » accéléré, simultané, mondialisé –, nous voici à l’ère (meurtrière, altruiste) des espèces « en voie de disparition », « protégées » (implicite lien de causalité), de la reconnaissance (en France) textuelle, institutionnelle (encore trop symbolique, déplorent les partisans de la cause de la faune), de la « sensibilité » animale, donc de sa possible souffrance et probable maltraitance (sujette à condamnation, abattoirs ou non). On chérit et chouchoute nos « 30 millions d’amis », on les sonde avec des psys (aux États-Unis), on les soumet à l’expertise de « comportementalistes ». Le végétarisme devient végétalisme puis carrément végan. Devant l’objectif, les bestioles petites et grandes connaissent une assomption au statut de hérauts vivants (transcendance de l’immanence) du Beau, du Bien, du Vrai, la meilleure raison, la plus « innocente », désintéressée, de « sauver la planète », d’embarquer, le temps de documentaires « spectaculaires » mâtinés d’empathie et de ralentis (cf. le récent Planète animale de la BBC), à bord d’une arche biblique 2.0 (celle, par exemple, du raté Noéde Darren Aronofsky) ou d’une Amérique pittoresque, potteresque, peuplée des Animaux fantastiques de la Britannique (et sympathique) J.K. Rowling, romancière milliardaire mais apparemment piètre scénariste (exemplaire publié-survolé en français), en écho aux travaux pareillement rigolos du Stephen King de Peur bleue, histoire de loup-garou relou, d’hybride insipide (saluons néanmoins l’évocatrice contribution graphique à sa lycanthropie livresque, calendaire, de l’émérite Berni Wrightson). Moins mangé, davantage sauvegardé, live ou numérisé (moult « dessins animés » sans âme ni dessins, parfois en 3D), l’animal, sur son piédestal politiquement correct, parmi nos imaginaires émollients, se « taille la part du lion », pour de bon (ou du rat, rajoute La Fontaine et la Sondra Locke de l’émouvant Ratboy). 


Il existe également un verso (« pervers », volontiers « pathologique ») au chromo, un revers d’ombre à la lumière salutaire, une « part maudite » du gentil bestiaire (édifiante spécialité littéraire médiévale) domestique ou exotique censée donner la trique aux (a)mateurs en ligne : avec Internet, la zoophilie se donne à voir, à entrevoir, dans sa littéralité la plus ridicule, attristante, intolérable, écœurante (les deux dernières options à destination des membres de la SPA, oui-da). LaChienne de Jean Renoir (Janie Marèse, classée « art et essai ») et La Chatte de John Leslie (Selena Steele, classée X) peuvent « aller se rhabiller », sans même (se) remémorer les ébats de Georgina (Spelvin, spéléologue en huis clos sartrien) avec son gros boa (The Devil in Miss Jones de Gerard Damiano) ni les émois de Drusilla (Teresa Ann Savoy, modèle préraphaélite lubrique), sister en solo, à l’étalon, de Tinto Brass (Caligula l’incestueux et non camusien, quoique), assortis d’une pensée incarnée pour la rayonnante Roselyne (l’Isabelle Pasco de Tchéky Karyo) aux lions, bis, de Jean-Jacques Beineix (qui transforma Béatrice Dalle en félin virginal et vocal à la fin de 37°2 le matin, mine de rien). Bien baptisé « marché de niche », cette imagerie atteint, fait atteindre au spectateur sidéré, une sorte de point de non-retour de la figuration, lui donne à éprouver une « expérience des limites » (arrière, Philippe Sollers) au-delà de laquelle ne persistent-subsistent, finalement, que les territoires invisibles et au bord de l’indicible de la pédopornographie (à quoi rêvent les cyber gendarmes ? Mieux vaut l’ignorer, en vérité) et du snuffmovie (« légende urbaine » fantasmatique et médiatique à la Max Renn dans Vidéodrome, de surcroît scandaleusement méta). Ici, nulle part, maintenant, éternellement, des jeunes femmes masquées ou à visage (impassible) découvert, taciturnes, masturbent/s’accouplent à (copulent avec) des chiens, des chevaux, tentent de recueillir leur semence, en extérieurs ou à demeure.


Pulvérisation du récit et du reste, mise à l’épreuve de la résistance visuelle, physiologique (et phylogénique), épiphanie manifeste (pardon du pléonasme) de la monstruosité latente des mythes antiques (Zeus cygne sexy pour Léda, voilà) ou de la fréquente « bestialité » métaphorique des contes de fées (Belle désargentée flanquée de sa Bête coquette, allez, avec King Kong en embuscade, entre les totems forcément tabous du World Trade Center prophétisé de l’entravée Fay Wray, ouais, blondinette teintée du « continent noir » de la féminine sexualité) – à la surface (ouf, un peu d’air clair), en mode mainstream (sus à la censure), cela ne vaut guère mieux, Les Chiens de paille de Sam Peckinpah (notoire enquiquineur de scorpions et de fourmis, rememberl’ouverture de La Horde sauvage) à lire (ou dresser) à l’instar d’une transposition rurale et hardcore des observations ethnologiques, éthologiques systématisées d’un Robert Ardrey (accessoirement scribe pour Vincente Minnelli, citons ses adaptations de Madame Bovary, des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, et inspiration pour l’évolution molto ironique du Stanley Kubrick de 2001, l’Odyssée de l’espace, avec son « aube de l’humanité » garnie de singes assassins) ou d’un Konrad Lorenz (voisinage nazi, défilé d’oies « au pas de l’oie », en effet). Aujourd’hui, Jia Zhangke (viaA Touch of Sin) explore la jungledu capitalisme international, « extension du domaine de la lutte » (nul n’ignore le goût de Michel Houellebecq pour les produits du National Geographic) où les animaux « dégustent » autant que leurs maîtres, en illustration didactique, cartographique et surtout cinéphilique du fameux homo homini lupus, possible devise (double sens, of course) de la finance (« ennemie » désignée de la « normalité » présidentielle ? Ne riez pas, pleurez plutôt, de dépit, de rage) carnassière et sans frontières, frères d’armes (de marchands) et de sang (vampirisme adouci de l’épuisement démocratique).


D’un écran (inversé, zoomorphe) à l’autre apparaissent en filigrane l’esclavage des « sauvages », leur exhibition d’exposition (universelle, Kanaks figés en freaks), l’altérité du semblable différé, délocalisé, « gorille » (dans la brume impériale) d’aimable quadrille (laisse de la liesse) un jour « d’unité nationale » tricolore footballistique (1998, trois décennies après la « chienlit » estudiantine du Général au bercail) ou silhouette « simiesque » à insulter un samedi soir de matchabreuvé (de bière amère ou de haine « raciale »). Le cinéma (avec ou sans caméra), on le sent, on le sait, on le voit, on le redira, ne peut se couper (au montage) de la société, de la culture, de l’Histoire ; il élabore une mythologie et du même élan érige une anthropologie, son « impureté » congénitale (art, industrie, divertissement, mystique) le rendant toutefois irréductible aux hobbies de la sociologie, de la psychologie, inassimilable aux discours fertiles ou stériles de la cinéphilie à tendance structuraliste, de la pensée articulée, d’une hypothèse datée du psychisme (reformulons et enfonçons le clou kafkaïen : d’une imposture normative, lucrative, « thérapie » se piquant illégitimement de thérapeutique), résistant (jusqu’à un certain stade, celui de Leni Riefenstahl, disons) aux dévoiements de la propagande (instrumentalisation puérile de son caractère politique). Puisqu’il ne saurait exister de « genre » animalier (classement caduc, à l’égal de tous les autres, à l’encontre de l’unité fondamentale du matériau filmique), demeure le mystère mineur et capital de l’animal regardé, du troupeau (de la meute) épié sans cesse, au moins depuis Robert Flaherty (Nanouk l’Esquimau, docu-fiction hors-saison, Francis bis) et pourtant à peine vus, appréhendés, compris. Adam, « divin » duplicata, nomma d’abord les « créatures » autour de lui ; dorénavant, il les documente, se repent de les avoir tourmentées, à des fins « ludiques » (la chasse) ou scientifiques (la recherche).


Au boomerang de l’abîme, au petit jeu sérieux des outrages, des hommages, du plumage et du ramage (laissons le lecteur feuilleter les nombreuses pages « zoologiques » de ce blog), il court un risque dédoublé : parvenir à se reconnaître, délicieusement, horriblement, dans l’arrogant et rassurant (à double tranchant) concept « d’animalité », « dommage collatéral » de l’ascendance déterministe darwinienne, de la « blessure narcissique » freudienne, frangin du pacifique mathématicien de Dustin Hoffman, proie énamourée transmuée en prédateur-stratège redoutable, « lointain cousin » de l’androïde lyrique (Rutger Hauer for ever, même au lamentable Amsterdam gangstérisé) de Blade Runner (Ridley Scott en ventriloque architectural, imparfait, de Philip K. Dick, Joanna Cassidy en baudelairienne danseuse de serpent à paillettes), ou alors contempler dans la présence mutique, pas vraiment silencieuse (en cela, les animaux prolongent l’expressivité parallèle, précise et « poétique » des fantômes bruyants du « muet »), des proches « compagnons » originels sa prochaine disparition, annoncée par une guenon émancipée (la zélée Zira de La Planète des singes arpentée par Franklin J. Schaffner et Michael Wilson, dystopie seventiesà la mémorable coda maritime) ou les cabots conteurs (chroniqueurs à la Ray Bradbury) de Clifford D. Simak, se narrant entre eux, au coin du feu, de génération en génération, sa légende, réminiscence d’absence (Mondo cane pacifié, mélancolique). En définitive, il ne reste plus à Koko, le gorille qui parle de Barbet Schroeder ou à Link (appréciez le nom en chaînon, manquant, évidemment), l’orang-outang voyeur de Richard Franklin (sur un script du regretté Everett De Roche), à apprendre comment se servir d’une caméra (une praxis à la portée d’un enfant, d’un « petit d’homme »), pour enfin advenir tels qu’en eux-mêmes le cinéma (mallarméen ou pas) les change et les révèle, au reflet infidèle de ses figures fatales et fraternelles.

              

Real : Wrong

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Kiyoshi Kurosawa.


Vrai ratage intégral, Realsouligne les limites d’un style et d’une certaine conception du cinéma. Durant soixante-quinze longues minutes, on suit (ou subit) l’aventure intérieure (celle de Joe Dante distrayait davantage, par-delà l’hommage à Dick Fleischer) d’un homme parti réveiller sa chérie au sein de son esprit (contradiction lexicale ludique), hybride aux « yeux bridés » d’Eurydice et de la Belle au bois dormant. Puis survient un twist auparavant supputé à coup d’indices colossaux, à la finesse éléphantesque (ameublement aseptisé, environnement inanimé, architecture labyrinthique, grisaille persistante, transparences hitchcockiennes en voiture) ou en bordure de perception subliminale (fauteuil de cinéaste contre le canapé dalmatien) : la fausse endormie rejoint enfin son réel dormeur (du val oriental, un brin rimbaldien) et tente de le sauver, non seulement de la Mort, qui, comme chacun sait, « nous programme sur son grand ordinateur » (notez le PC éteint, ici), braillait naguère Francis Lalanne enrôlé par son brotherde René Manzor pour Alain Delon en plein Passage, mais encore de lui-même, puisqu’un traumatisme d’enfance affreusement freudien le retient dans les eaux glacées (« du calcul égoïste », diraient Engels & Marx) de la culpabilité (deus ex machina de tous les asservissements, scopiques, politiques et mystiques), à la merci d’un ado au prénom funèbre (Morio, anagramme très recherchée de Roomi, le héros « positif » des sombres BD matérialisées dans la diégèse) et d’une créature marine (plésiosaure en pendentif, variation sur la toupie « prise de tête » de Inception) lourdement métaphorique, (in)digne des dinosaures drolatiques de Terrence Malick apparus dans The Tree of Life.

L’ultime quart d’heure, assez hilarant de ridicule et attristant d’absence d’enjeux (tout finira bien, éveil dans le soleil inclus), nous inflige l’affrontement de la bête et des amants, en relecture teen, « zoophile » (« ménage à trois » à la Jules et Jim), de Jurassic Park ou The Host (matez-moi ce rafiot censé mettre à jour de manière réaliste la barque de Charon, à proximité d’une île des morts encore plus dépressive que celle de Böcklin, cependant moins martiale que son avatar celtique et psychique dans Avalon). Doté d’un lyrisme de télénovela, d’un esprit de sérieux risible (évitons de pouffer lorsque les scientifiques applaudissent au « contact » mental des deux cobayes, à la réussite d’un protocole à base « d’interface » et « d’ondes cérébrales » à faire passer la technologie naïve de la SF filmée US des années 50 pour un sommet de crédibilité, d’intelligence, de préférence « artificielle ») et d’un glacis formaliste (dans les cadrages, la lumière, la musique) en cache-misère de sa pauvreté thématique – tourte étouffante de la permutation de point de vue, plat réchauffé de la « virtualité », pain rassis de l’amour plus fort que le trépas, etc. –, Real incarne sa désincarnation (effet boomerang d’un opus comateux portraiturant un coma), son vide réflexif (homophonie avec reel, tu piges, Edwige anglophone ?), son enfilage d’évidences (le cinéma, art des fantômes et des femmes mortes, des dictateurs blessés, des solitaires en circuit fermé, « bons à enfermer », blablabla + mea culpa), ses truismes d’étudiant de La Fémis (le niveau scolaire primaire, stase-origine du récit, duplique-situe ironiquement la hauteur du film adulte), dans un couple « d’adulescents » au charisme d’endive, dont on se contrefiche, à vrai dire, de l’odyssée de chambre (pas une once d’érotisme, sinon sous la blouse immaculée de la doctoresse à la chevelure et aux escarpins noirs, devinée un chouïa perverse), de la romance mémorielle (faute collective maladroitement collée sur l’individuelle, au moyen d’une imagerie de ruines, réminiscences de Hiroshima ou de Fukushima, voilà, voilà, sans omettre la grande roue du destin taquin presque empruntée à Carnival of Souls, possible titre de secours) et sucrée à déconseiller aux cinéphiles diabétiques ou parvenus à leur majorité.


Le périple immobile, puéril, futile, qui se voudrait fable, allégorie, mélodrame (heureux, comme les imbéciles), leçon de psychologie (appliquée) et de cinéma (au carré), se déroule dans un temps figé à la Marker sur sa Jetée, dans un temps « scellé » à la Tarkovski sur Solaris, sa planète féminine, symboliquement humide ; on s’y épuise (en vain, car privé de corps organique) au squash, on pérégrine au clubde gym, on visite un musée (d’histoire dite naturelle, réservoir du passé préhistorique, fin de l’Histoire, les Adam & Ève nippons réunis en pure abstraction, totalement à côté, ou « à l’Ouest », d’un quelconque contexte socio-professionnel avéré, dématérialisation digne d’un film français, « social » ou pas). Les accessoires citationnels (ou correspondances en avance) abondent, dès lors marqueurs de la pénurie théorique et narrative, crayon de Kubrick en apesanteur, votre honneur, grande flaque d’eau domestique à la Nanni Moretti (celui de Mia madre), murs effondrés (la chute se fait hors-champ, passe par le son, par un panoramique à la Carpenter) singeant la décrépitude poesque de Roderick Usher, pistolet assourdi chipé à eXistenZ, miroir incontournable, caricatural (Kurosawa regarde sa propre filmographie, Narcisse autarcique) et gros plans granuleux du spectre en marcel (vade retro, Brando), en écho à l’œil dilaté (anus visuel en rime au puits matriciel, pérorent les psys) de Ring (jamais prophète en son pays, indeed). Un chromatisme ponctuel à la Edgar Reitz (Heimat mon amour) ou Steven Spielberg (Petit Chaperon d’extermination dans LaListe de Schindler) – drapeau rouge planté dans la mer métallique, fleur parme sur une table de bar – éclaire brièvement des trajectoires sur les rails (de travellings) d’un imaginaire de couloirs (spécialité de l’horreur, mon saigneur, cartographie familière des coins cornus, des angles foutrement morts, des points aveugles aux yeux crevés), dans lequel errent (souvenir refroidissant du très gonflant Les Revenants) une mère remariée, MILF à la Colette, en sus de deux ou trois « zombies philosophiques » (ne riez pas, please).

Tout, c’est-à-dire presque rien, si peu, mes aïeux, se résume au final à un double accident, de maladresse-ivresse aquatique, à un cas de harcèlement scolaire (tu ne fouetteras pas ton « petit camarade » qui, peut-être, apprécie secrètement cela, surtout au territoire du bondage), à une paranoïa de plagiat (ne me volez pas mon manga inédit, implore le Phantom démasqué, pas encore rendu au Paradis de l’Empereur démis), une bévue de nécrologie impromptue, signes du cynisme capitaliste généralisé, de l’exploitation d’outre-tombe (oh, la « société » me fait trop mal, je me retire en moi-même), à une paix du cœur (baume de l’heuristique) et à un partage de pardon (christianisme délocalisé), grâce aux bienvenus hauts faits, à la douce pugnacité d’une super-héroïne en coda de pietà. Kurosawa bis, outre commettre un mauvais film (« crime » mineur, fort répandu, en vérité, péché audiovisuel véniel), confond rêve et cinéma, en délivre une équivalence explicitement et didactiquement formulée par une ligne de dialogue, erreur d’écolier, de planqué, de magicien miraud et mesquin faisant mumuse avec ses effets spéciaux de minot, voire de parvenu. Ah, ma bonne dame, heureusement que les métrages, y compris dramatiques (double acception), nous consolent de nos vies pas si jolies, nous dépaysent, nous sentimentalisent, nous rendent à notre « humanisme », à notre humanité, pensez le bazar que cela mettrait, si à l’occasion il nous venait la tentation de tout détruire, et en priorité l’ordre « castrateur » de l’univers, ou simplement, modestement, à son échelle singulière, de tout questionner avec une lucidité sauvage, dynamique, mélancolique, de refonder le corpus spéculaire (défiguration de la figuration et inversement, a fortioriaprès l’irreprésentable verbalisé d’Auschwitz) de « l’être-là » muni du marteau nietzschéen ou d’une claire caméra obscura.


J’entends d’ici, de ma cellule à la Caligari, à la DiCaprio, les objections des belles et bonnes âmes, éprise de « citoyenneté », de « décence » et de « cinéphilie » (au secours), ces dernières me parlant de Wes Craven ou de David Lynch, alors que le premier, cinéaste foncièrement politique, sonda d’abord, sous le voile léger de l’onirisme nocturne et griffu, le cauchemar américain, à Elm Street (JFK défile dans sa Lincoln de corbillard) et ailleurs, explora la scène mentale (« primitive ») des abominations familiales, de la mauvaise conscience sociale, tandis que le second, artiste essentiellement satirique, « dévoya », avant de se convertir aux délires de la Méditation transcendantale, l’Americana de Norman Rockwell, sut avec une maestria plastique et sensorielle en révéler la « part maudite », cruelle, rationnelle dans son insanité. Le rêve, ce terrain (à louer, à commercialiser) surfait, sinistré (qui dit à l’instar du sexe ?), ne représente, au mieux, qu’un carburant immanent, un matériau d’occasion ou un prétexte permissif (il permet de quitter, le temps d’une œuvre, tels les amoureux de Peter Ibbetson, l’espace-temps euclidien, de se retrouver en supposée liberté au royaume quantique, champ des possibles à la profondeur de champ quasiment infinie) pour alimenter le cinéma, les deux expressivités un peu vite estampillées en « langages » (quant à leurs « économies » respectives, avec ou sans jeu de mots, elles se dissocient d’elles-mêmes, sans que l’on y revienne) cohérents, articulés, normalisés (« l’obsession » d’une insaisissable « normalité », le souci pathologique d’une praxis curative, sinon eugéniste, hante le discours psychanalytique, en constitue le « contenu latent », le fonds de commerce conservateur à peine masqué sous son attirail de farces et attrapes « scandaleuses »).

On ne fait pas des films avec ses rêves, même en s’appelant Buñuel, et nul ne rêve sa vie, même si la « vraie vie » participe aussi d’une mythologie, personnelle et à plusieurs. On écrit avec son sang (nous souffle Zarathoustra) et on cadre (avec) son cri (renchérit Munch). Pire, KK, en VRP de la vulgaire vulgate du Sigmund au cigare, réduit la création à de la  « sublimation », à un recyclage cathartique, dissimulation dessinée du sacro-saint trauma, origine de l’art, du « septième » ou « huitième » idem, explication ultime valant pour toutes les autres (les fascistes soft ou hard se cament au sens, raffolent du « message », se goinfrent de la moralité, unicité dernière de ce que l’œuvre veut dire, de ce qu’elle signifie, en lien, si possible, avec la biographie de l’auteur, dorénavant son « orientation sexuelle », cf. la crasse crétinerie des interprétations esthétiques selon les lobbyistes branleurs de la « théorie du genre » ; l’idée d’une polysémie en métamorphose constante, d’une absurdité pertinente et impertinente, d’un jeu de formes, de sensations, de motifs musicaux ou intellectuels leur échappe entièrement, leur donne des Sueurs froides, actuel totem de la doxa critique, auteuriste, qui, ne leur en déplaise, prête également à sourire, notamment et justement lors de la scène de rêve vertigineux, où James Stewart étêté arbore une étonnante crête capillaire aryenne à la Flash Gordon). Oui, Kiyoshi, tu oses, en artiste, là réside ton impardonnable forfait, nous resservir la soupe pâteuse, plâtrée, insipide, de « l’inconscient » (du « subconscient », disent les sous-titres, énonce-t-on outre-Atlantique), brume à la Stephen King, évanescence de suppléance (Dieu mort, la Sainte-Trinité enterrée, il faudrait désormais se farcir le Ça, le Moi et le Surmoi, leur triple ersatz laïque, sans même parler de l’instrumentalisation d’une religion par un terrorisme de saison), hypothèse balèze nous dispensant de l’épuisante conscience, de l’affolant libre-arbitre (Alex DeLarge jubile, « guéri », élargi, oh oui, chérie).



Real, placé sous le signe de l’eau (pareil au Psychose III de Perkins, so), se néantise au niveau zéro (voyez sa ville dissoute, « poésie » publicitaire de CGI, en matière de peinture, on renverra plutôt vers Pialat), s’aplatit aux poncifs nationaux du surmenage, du suicide (peu importe s’il les conjure in extremis), invite, définitivement, à voguer Vers l’autre rive, précédemment loué par nos soins (sans rancune, donc) ou, pourquoi pas, pour les plus « pervers », vers la prison psychogénique et SM de The Cell, « kitscherie » fantasmatique (néanmoins appréciée par un Roger Ebert) en matrice apocryphe, JLo versus D’Onofrio par Tarsem dans le désert de la maltraitance infantile paternelle, ce qui nous ramène à Stanley K., cette fois à l’Overlook, Shining en étalon (impuissant) du « film-cerveau » dans le sillage de Vidéodrome, faux distique et vraies réussites, « pour le coup » (de fouet ou de batte de baseball) à propos de couple, de création, de présence des cadavres intimes dans nos vies miroitées ou brisées de spectateurs, voyeurs ou évasifs, complices et rétifs – sors-toi (moi) de là, camarade rétrograde, de l’hôtel, du labo, de la salle et de ton crâne !  

Les Merveilles : L’Apiculteur

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Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre d’Alice Rohrwacher.


La réalisatrice trentenaire (flanquée de sa sœur actrice), originaire de Toscane, ancienne universitaire (littérature et philosophie) formée au cinéma à Turin, connaît-elle le film de Theo Angelopoulos, L’Esprit de la ruche de Víctor Erice ou Candyman de Bernard Rose ? « Me ne frego », affirmait il (pas vraiment) caro Benito. Elle délivre en deuxième salve, en Ombrie de fiction, une chronique adolescente, apicole et en partie autobiographique assez anodine (très généreux prix à Cannes), digérant maladroitement et interminablement disons La dolce vita (ruralité versusvulgarité, autarcie face à l’horizon), L’Effrontée (fascination d’une apparition, Monica Bellucci en Brunehilde magnanime et méta), L’Été où j'ai grandi (fantastique du réel, présence anxiogène des adultes) ; la famille devient une ruche dépareillée mais solidaire et la puberté un espace d’émancipation féminine : Gelsomina (oui, comme dans La strada), Électre souriante, vaillante, opposante éprise de son papa, s’endort sur un avatar « étrusque » de L’Île des morts de Böcklin, enlacée à un « délinquant » allemand mutique (bien que siffleur) et le métrage s’achève par un souffle d’air au sein d’une ferme fantomatique. L’Italie de 2014, celle-là, en tout cas, à la fois altermondialiste et berlusconienne, régionaliste et cosmopolite (polyglottisme de co-production), entre dettes et dromadaire, semble se survivre à elle-même, encore un peu sensuelle et cependant déjà disparue sur la (dé)route d’une mémoire muette, commercialisée, littéralement mise dehors, hors de la maison (ou du harem), processus consumériste et funeste autrefois décrit a contrario, en huis clos, à Salò, au plus près de sa « cruauté », par Pier Paolo Pasolini l’enragé. Dans ce constat doux-amer de cimetière solaire réside la meilleure part (ou « jeunesse » à la PPP) d’une version 2.0 de la manière néo-réaliste, tout sauf honteuse – malgré une exposition « scatologique » (pas sadienne) accolée à une ouverture masculine rapportée, chasse nocturne en préambule d’une chasse d’eau, so(seau de miel à changer) – et pour autant, assurément, loin d’être merveilleuse.     


          

De beaux lendemains

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 « Piège à cons » ou poltrons, haleines de moutons, contrefaçon de participation.


Et sans doute est-il étrange aussi de faire de l’homme parfaitement heureux un solitaire : personne, en effet, ne choisirait de posséder tous les biens de ce monde pour en jouir seul, car l’homme est un être politique et naturellement fait pour vivre en société.

Aristote, Éthique à Nicomaque, IX, 9

Est-ce que tu le sens le bonheur
Qui se dessine à l’horizon
Est-ce que tu la sens la chaleur
La nation devient ta maison

TiBZ, Nation

Les revoilà, suivant la loi. Les revoici, tous réunis. Dans d’affreux petits « films de campagne » sous-titrés, diffusés tous les soirs de la semaine à la TV (publique) assermentée, asservie, tam-tam tribal à la Marshall McLuhan de plus en plus assourdi (bien que les « nouvelles » en ligne fassent « grise mine », entre broutilles de l’infotainment et jugements « à l’emporte-pièce » du « café du commerce »), ils nous regardent droit dans les yeux, ils ne nous voient pas, ils quémandent nos voix, nous promettant, en ersatz de Scarlett après l’incendie d’Atlanta, que tout ira mieux demain, restons sereins. Exécrables acteurs d’un psychodrame national quinquennal, ils paradent, ils palabrent, ils s’affrontent sur les plateaux et s’affichent au long des panneaux. Les rues servent de décor, une fois encore, à leurs visages retouchés, agrandis, souriants et déjà gagnants. Ils possèdent les réponses, ils dispensent le désir, ils entendent « redresser », réformer, secourir, guérir. Tels des anticorps retors, ils soigneront le corpus social malade, ils panseront les blessures passées puis à venir, ils nous berceront de promesses, de compresses, de mesures, d’infrastructures. Professionnels de la communication, de la fiction, du storytelling médiatique (à chacun sa fonction, sa responsabilité aliénée), ils racontent-resservent la plus belle et désolante des histoires, conte de fées pour décérébrés à base d’exonération d’imposition, de revenu garanti à demeure, de préférence hexagonale hors de l’Europe, parmi moult propositions de saison. La révolution de salon et le statu quo« bien comme il faut » repassent en boucle, occupent l’espace, les lucarnes, les pensées, aident à « passer le temps », procurent le frisson tout sauf inoffensif du désastre, de l’utopie, de l’inconnu.

La réalisation approximative du spectacle pétri de couacs, d’amateurisme, de retournements (de veste) navrants, laisse certes songeur, ferait presque regretter la rigueur germanique et l’efficacité lyrique de la propagande naguère dirigée par l’excellente et « inconsciente » Leni Riefenstahl. Ailleurs, over the rainbow de Dorothy-Judy, il doit exister une autre forme de démocratie, un peu moins minable, davantage adulte (sinon, autant se suicider sur-le-champ, hors-champ, en adepte du hobbyeschatologique des sectes), mais hic et nunc, on doit se contenter de cela, on doit remercier nos maîtres, on ne doit pas quitter la salle ni l’isoloir. Cependant, n’en déplaise aux VRP de la « citoyenneté », aux énamourés de « l’humanisme », aux cinéphiles qui ne parlent pas (tabou bourgeois) de politique (ils ne défèquent pas non plus, purs cristaux d’expression numérique), à tous les donneurs de leçon de morale, de style, de goût et de psychologie, tout ceci ne nous intéresse pas, et peut « crever la gueule ouverte » (à la Pialat), « pourrir sur pied » (depuis longtemps, mon commandant), « tomber en poussière » (de momie mortifère) aussitôt. Tous ces candidats à leur propre et sale succession ne méritent que la réplique de Michel Poiccard au volant de la voiture de Godard (je n’écris pas pour être pardonné, apprécié, « liké », « plussé », commenté, censuré, eh ouais). Tout ce simulacre de voxpopuli mérite mieux que le fatalisme, le poujadisme ou le pragmatisme (désenchanté, de Sa Majesté) d’un Churchill. Le « Système » (variante : la Finance) qu’ils symbolisent et conspuent, double impératif catégorique contradictoire à l’opportunisme dérisoire, qu’il cesse d’être systématique, modélisé sur celui du docteur Goudron et du professeur Plume de Poe : assez de l’asile, ouvrons pour de bon les fenêtres de la maison de fou, gouvernée par les pensionnaires d’éternité. Que la représentation prenne fin, que les représentants ne nous représentent plus, que le connard derrière la caméra s’écarte, que l’écran devienne différent, radicalement.


Ou alors, baissons la tête, se moque Sergio Leone, un bâton de dynamite pas si gayà la main, sifflotons (un air de « nerf tordu » par Bernard Herrmann) sur le chemin de l’abattoir, habituons-nous à tout et surtout au pire, à la logorrhée ressassée, au replay en épuisant coup d’éclat épuisé des attentats, à la Corée du Nord jouant les matamores, à Donald (Trump, pas Duck, sucker) jouant là-bas à la bataille navale dans sa défroque d’Erich von Stroheim (jouissance bien-pensante de la détestation justifiée). Cela pourrait être pire, apprends à sourire, l’été arrive, les robes vont raccourcir, Cannes se voudra une « respiration » (dixitle duo Frémaux-Lescure, Dupond et Dupont de la « crème de la crème » du « cinématographe » international) bienvenue, salutaire, dans le climat délétère, le contexte anxiogène, et tant pis pour la cara Claudia, hissée en effigie, victime consentante de Photoshop, l’intéressée pacifiant la polémique d’un apaisant « Il y a en ce moment bien des choses plus importantes à discuter dans notre monde. Ce n'est que du cinéma, ne l’oublions pas ! » (vertu dite cardinale des propos de la Cardinale). Oui, tant mieux et tant pis, le cinéma reste à sa place, à la niche de bonniche, à la case du divertissement à consommer de préférence, disent les exploitants qui l’exploitent, dans les mausolées climatisés prévus à cet effet. Le « bon peuple » rassuré ou inquiet par le résultat électoral persistera, « de bon aloi », inch’Allah, à s’y rendre, à s’y détendre, à y faire l’offrande d’une heure trente de son attention, de sa vie, au prix d’un bon blockbusterà la con ou d’un risible parangon d’auteur (l’entre-deux s’évanouit, à l’instar de l’image manquante entre deux coupures-collures, absence mélancolique des possibles, du montage émancipé).

Votons, bons compagnons, votons donc, quitte à se boucher le nez afin de ne pas succomber aux odeurs de vomi, à la nausée (sartrienne ou pas) généralisée, à la stupidité fière d’elle-même (règne pérenne des « idiots » à la von Trier). Élisons nos séides et nos scélérats en toute bonne foi, « par défaut », en plan B, en « sursaut républicain », de peur (principe de gouvernance) que le village gaulois ne se retransforme en Vichy ou Drancy, en leurs versions mises à jour, citrouille indigeste et amère après la liesse footballistique ou l’œcuménisme nordique (Dany Boon, abbé Pierre millionnaire). Vivons d’espoir et de confiance, laissons nos enfants réparer la planète, visionnons les feuilletons sur nos tablettes proprettes. Tout reste sous contrôle, la baguette reste accessible, la braguette docile, le sexe (voire la romance) nous baise à l’aise, Blaise (Gainsbourg copule avec Pascal ou, nous assure Jean-Bernard Pouy, satiriste impoli, Hegel encule Spinoza, on ne sait plus/pas), les « migrants » se malaxent (Bashung à la rescousse) en expédient d’une « installation » (écrin sur la Croisette d’un court métrage shooté de surcroît en « réalité virtuelle », au secours) signée du parvenu Iñárritu dépourvu de son revenant dicaprioesque ou en arguments émollients (ah, tous ces pauvres gens, ma pauvre dame). Le monde t’appartient, Tony, but don’t fuck me, sinon en deux temps, en deux dimanches, « jusqu’à la garde », « jusqu’à la gorge », jusqu’à me « faire rendre gorge » (littéralement) et « crier grâce » pour tant d’institutionnels outrages (et personne pour croquer la pomme pourrie de l’anarchie, pas même cet amnésique primitivement muséal de Jacques Chirac). Vive la France, vive l’incompétence, vive l’immanence et la clémence – au-delà, crois-moi, du discours, du cadre, des dates, quelque chose d’invisible et d’indicible nous attend patiemment, demain, maintenant, et finira par nous rattraper, nous aveugler, nous faire taire. La société, le cinéma, les blogs, les existences-anecdotes, le cosmos à l’infini, en régression ou « en expansion », l’ensemble (« Tous ensemble ! »), dans un souffle d’allumette (celle, solaire, de Lawrence en Arabie), s’éteint, enfin. 


Homo Sapiens : La Sagesse des crocodiles

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Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Nikolaus Geyrhalter.


« Oui, c’est le lieu. »
Shoah

Pas d’histoire(s).

Fin de l’Histoire.

Plus de témoins.

On ne saura rien.

Des plans fixes.

Une certaine idée fixe de l’avenir.

Des cadrages au cordeau.

Une science du cadre à la Kubrick.

Point commun de la praxis photographique.

Des perspectives précises.

Des lignes de fuite vers nulle part.

Une géométrie dynamique et immobile.

Des rails de funérailles.

Des fours refroidis.

Le train en gare de La Ciotat et les convois pour Auschwitz.

De Nagasaki à Fukushima.

D’une mosaïque fellinienne à une neige de fondu au blanc naturel.

La soucoupe du PC attend pour l’éternité.

Le stade circonscrit sa circularité.

Un bateau échoué sur la mer verte.

Des centrales à l’arrêt.



Des habitations ensablées.

Des immeubles fortifiés.

Bonifacio ma non troppo.

Un hôpital spectral.

Une église saccagée.

Des ordinateurs victimes d’une inconnue fureur.

L’horizon jaunâtre au bout des arbres et des poteaux gris.

La végétation amnésique du Japon.

Un centre commercial envahi par la rocaille.

Des montagnes russes sur le point d’être submergées.

On pourrait continuer ainsi longtemps.

La caméra Red continuerait à filmer sans nous.

Une eschatologie en 4K et Dolby Atmos à écouter avec un casque.

Un atlas du désastre.

La cartographie de la décrépitude.

Un acte de décès.

Un procès-verbal de disparition.

Un sounddesign exemplaire.

Un montage minuté.

Une locationresearch inspirée.

Pas d’hypnose ni de sidération.

Rien qu’une sérénité viennoise.

Une ataraxie autrichienne.

L’espèce perçue en épiphénomène.

Ne reste qu’une trace inefficace.

Demeurent à la dernière demeure des références ou des correspondances.



Des échos du chaos.

Andreï Tarkovski.

Chris Marker.

Christopher Nolan.

Michel Houellebecq.

Une fiction et pas un documentaire.

Un cinéma en effet du réel.

Un oxymoron de saison.

De l’écologie liée à l’archéologie.

Une évocation de bande-son.

Une recomposition de la décomposition.

L’héritage du romantisme germanique.

Les ruines dans la nature et la nature des ruines.

Une saturation d’humanité par son évidement.

La belle présence-absence des évanouis d’aujourd’hui.

Comme le contrechamp du courant dominant.

Comme le reactionshot de l’overdose de mouvements.

Des signes et des enseignes.

La poésie en énigme.

Le cinéma en sémiologie.

Des cuts et des écrans noirs.

Une scansion d’oraison.

L’exosquelette d’une structure thématique.   

Les animaux ne se taisent pas.

Le crapaud ne cesse de croasser.

Les insectes invisibles et les oiseaux aperçus.



Le vent parfois présent.

Des jeux de lumière célestes.

Un Tchernobyl puissance mille.

Un jeu sérieux.

Un objet d’art contemporain et une œuvre romanesque.

Quatre-vingt-dix minutes rythmées.

Une heure trente itérative.

De l’eau partout.

Tels un leitmotiv sonore et une imagerie à la douceur hardcore.

De la pluie sur les vélos et les autos.

Une salle de cinéma inondée.

Un grand rectangle virginal inviolé.

Un projecteur analogique en antiquité antédiluvienne.

Les plantes vertes prolifèrent sur la paperasse.

Nul ne se servira plus du bloc opératoire.

Bye-bye aux cobayes.

Un volet se referme tout seul au soleil.

Une prison s’ouvre totalement à l’abandon.

Une décharge pourrit gentiment en plein air.

Une épave de voiture croupit dans un canal phosphorescent.

Lascaux revisitée.

La carlingue éventrée de l’avion d’outre-tombe de Robert Powell.

Un tank forestier.

Un bâtiment de guerre enfin pacifié.

Lac de conflits enfouis + abolition des maladies.

Une plage de bunkers sans débarquement.



L’océan surcadré tout autour d’une île immobilière mortifère.

Un complexe touristique désormais squatté par le vide.

Des sculptures de sel en bordure maritime.

Un cimetière au désert dans un western phénoménologique.

Un bleu et un casque blanc d’ouvrier pendus au mur.

Une station hivernale hantée à la John Carpenter.  

Le cinéma permet aussi cela.

Il s’agit d’une illusion parfaite.

Il convient de créditer cette copie d’une possible immanence.

La mémoire de demain et le tourisme noir à portée de main.

Le réalisateur redevient opérateur.

La prospective sociétale rejoint la préhistoire esthétique.

Un regard en miroir offert à des spectres de spectateurs.

Des yeux sans visage sondant le pur paysage.

Une impureté des formes et une rigueur d’écriture formelle.

Le plaisir de la collaboration.

L’immensité en solo de la création en studio.

Le cosmos à lire dans la paume de William Blake.

L’univers à doubler à partir d’un film muet.

Un tour de force et de finesse.

Une once d’ennui.

Pourquoi pas et merci.       

Comment écrire sur ce métrage.

Avec des phrases courtes uniquement.

Comment prolonger son envoûtement.

Par un entretien en anglais assez intéressant.


     

Prends, Seigneur, Prends : Des hommes et des dieux

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Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Cédric Dupire et Gaspard Kuentz.


Ma p’tite âme a mal
Prends-moi nue dans tes bras
Et on s’en ira loin si loin si loin
Oh vieux Malin

Laurent Boutonnat, Vieux Bouc 

À Pâques, on ressuscite, rassure le « scénario » catholique ; ailleurs, en Inde, les vivants s’adressent à leurs morts. Voici ce que montre, donne à entendre ce documentaire vu aujourd’hui (ou jamais, ouais). Prends, Seigneur, Prends(superbe titre, érotique et pragmatique, appréciable même et surtout par un athée, un mécréant, un impie), nous plonge – il s’agit d’une expression littérale, cf. le caractère immersif revendiqué par les auteurs – dans un festival mille fois plus passionnant que celui de Cannes, croyez-moi. Là-bas, tout près, dans la proximité de l’altérité, les cérémonies, les consécrations, les sacrements, les possessions s’enchaînent comme les images, sans fondus enchaînés, sans discours rapporté (adieu Jean Rouch), sans contextualisation didactique. Le spectateur se retrouve projeté au cœur du foyer, du brasier, de la matière filmique, visuelle et sonore (le générique précise les rôles et les tâches, à Dupire l’image, à Kuentz le son, à Jaike Stambach le montage phonique et le sounddesign ; n’omettons pas l’apport déterminant de Lom Nath Panwar, co-scénariste, traducteur et directeur de production local). Dans cette communion numérique de l’ethnographie et de la cinématographie, dans ce cinéma de la cruauté renouvelé, les boucs (émissaires, offerts) passent un mauvais quart d’heure (remember la chèvre sacrifiée de Still the Water) et les membres de la SPA aussi (invitons les âmes sensibles promptes à condamner la violence des sauvages enturbannés à visiter les abattoirs européens). D’un geste admirable de précision, de professionnel dévoué au surnaturel, le serviteur vient couper la tête de la bête, correction hardcore d’un plan précédent obstrué par le hors-champ du tombeau (hindou, forcément).

L’acte, la coupure (montage ultime), éclatent à l’œil, au visage, le reliquat de l’animal frémit encore, à l’instar du corps de ses congénères aspergés d’eau, marque d’acceptation divine, ou celui des hommes transis par la présence en eux de la déité, pris (au jeu) d’une prise de vues totalement acceptée, les Blancs pris sous l’aile protectrice du Prêtre confiant, sympathique, centre du récit et dernier acteur à quitter la scène, avant l’orage en surplomb. Comment l’être humain peut-il dialoguer avec ce qui le dépasse et l’excède, sinon via sa chair ? Le métrage incandescent et ironique (pas dupe, en tout cas) duplique l’incarnation première et prend des faux airs de happening mystique et sociologique, de cérémonie barbare (acception géographique, non éthique) et ludique (des sourires affleurent des deux côtés de l’écran). Le Ciel voisine avec la trivialité, les souvenirs autobiographiques, épiques et mythologiques, en voix off, s’enracinent dans des anecdotes devinées de soupçons, d’impostures, de querelles entre cousins, d’adultère, d’alcoolisme. Le duo ne filme pas de petits saints, encore moins des cinglés (interprétation psychanalytique : tous des névrosés) ou des faussaires (analyse matérialiste : tous des comédiens). Il enregistre au plus près et cependant à distance – place toujours juste de l’emplacement de la caméra, y compris quand elle filme un affrontement-ballet de bâtons en hauteur, à la verticale, œil de Dieu ou grue artisanale – une communauté en quête de spiritualité incarnée, de transmission orale, des individus en hindi pour lesquels transe rime avec transcendance.



De l’énergie, de la joie, du défi (frapper au fléau afin de faire surgir une vérité, questionner l’esprit à propos de son nom, pas Légion), de la mélancolie et de la poésie (une poignée de répliques charment aussitôt : « Je vais enfermer ton âme dans un arbre », « Mon destin est à l’envers : retourne-le, Seigneur », « Dieu réside dans les enfants ») circulent durant ce voyage qui cartographie un territoire immense et réduit, qui cadre la scène capitale (exécution et pâmoison) et primitive (Freud, bis, noces avec l’absence, l’entrevu) d’un mausolée sacré, décoré, honoré, nourri, fragile, à deux pas de la modernité, celle des trains et des cellulaires. Deux régimes d’images donc d’énonciation divisent l’ouvrage, schizophrénie réflexive en signe de mariage entre les ordres du monde, de l’extériorité la plus spectaculaire et de l’intériorité la plus secrète. Des fragments granuleux en Super 8 (on pense à Seurat), des morceaux d’espace-temps exogène viennent scander en répons (terme religieux, musical) la pureté glacée de la HD, contaminer l’objectivité du documentaire (un mythe en soi) d’une seconde voie (étroite, certainement) heuristique, subjective. Nul hasard si l’ouverture nocturne et funèbre (installation d’un piège spirituel) évoque Le Projet Blair Witch ou si l’arrivée lointaine d’un cavalier héroïque, légendaire, fait resurgir la longue épiphanie laïque, onirique, d’un Omar Sharif dans Lawrence d’Arabie : Prends, Seigneur, Prends, film de Gitans, de fantômes (effrayants ou effrayés), de mouvements et d’immobilité, de mémoire (horizontalité) et d’élévation (verticalité ou, à un niveau davantage organique, aspiration des malédictions à la façon d’un serpent, affirme une officiante), s’avère un film de cinéma, pléonasme-assomption des contradictions.

S’il fallait lui trouver une chambre d’écho, on pencherait vers le studio radio où Artaud et sa petite troupe d’énervés (une pensée pour Le Pèse-nerfs) interprétèrent/enregistrèrent naguère (en 1947, soixante-dix ans juvéniles) le mémorable et sidérant Pour en finir avec le jugement de dieu. Oubliez Renoir ou Rossellini (quoique, le réalisme, ancien ou nouveau, ne cesse d’affleurer sous la surface scandaleuse, et le film peint en creux la condition tout sauf royale d’une population en ce sens réellement identifiable, fraternelle dans sa misère économique et existentielle), l’occidentalisme mélodramatique (belle et féconde rencontre d’univers) d’un Satyajit Ray, l’exotisme en français d’un Tony Gatlif (idem), les atours irrésistibles ou soûlants de Bollywood (comme désignent cette imagerie ceux qui la méconnaissent ou s’en gaussent), notre épicée cinéphilie. Les saris brillent à la manière du sang versé, les danses se parent d’une dimension propitiatoire, la police, en Surmoi hors caméra, finit par juguler un débordement fervent. Cinéma du réel et du surréel, surréaliste et politique, Prends, Seigneur, Prends documente une hallucination collective (reformulons : une compréhensible nécessité d’être ensemble, par-delà la dureté des temps, au-delà de la mort, notamment celle de ceux que l’on aime puis vénère ou récupère, tel ce fils enfiévré bientôt réincarné), une stratégie de pouvoir (la liturgie de sa conservation magnanime par le vrai roi de Panchwa, patriarche à la moustache repeinte) et un essai surhumain, humain, trop humain, repris (illustré, pour le meilleur et le pire) à son compte (logique cynique, parfois inspirée) par le dit genre fantastique, horrifique, hollywoodien et récemment sud-coréen, ou l’auteurisme croyant, métaphysique (Dreyer, Bergman, Bresson, Tarkovski) : avérer l’invisible, capturer le captivant vertige, attester d’un mystère.


Parmi les objets du quotidien, les artefactsà dessein – jarre bénéfique scellée, drapeau en métaphore de légèreté dépossédée, mèches arrachées d’un trait, poupées hindoues, pas vaudoues, de glaise et de bouse + pythies voilées – apparaissent de troublants moments de grâce, par exemple une prière crépusculaire ou des larmes masculines essuyées avec tendresse. Souvent impressionnante et gentiment brechtienne – le spectacle au carré se sait tel, il révèle un couple de témoins impliqués, non de médiums soumis –, l’œuvre modeste et puissante dépeint avec ou sans piments (de couleur, d’holocauste) un royaume (de pauvres riches) absurde et sensé, d’une parfaite cohérence et d’une spéculaire étrangeté. Prenez, mes bien chers frères et sœurs, prenez le chemin de ce film : il ranimera votre foi dans tous les signes et possibles (coda téléphonique d’une progéniture future, d’un héritier hypothétique) du cinéma, art des morts reliant au présent, heureusement, désespérément, les vivants.

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